Chapitre 2 Arrivée à Belsir

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Le brouillard s'élevait en volutes sur Belsir, ourlant le paysage d'un halo blanchâtre. Le soleil n'était pas encore levé que déjà, le port grouillait de vie. Des femmes emmitouflées dans de larges châles de laine déballaient leurs marchandises sur des étals de bois, simples planches posées sur des tréteaux. Des marins mal réveillés ou encore ivres d'une nuit de beuverie secoués par la fraîcheur de la nuit qui les avait engourdis grognaient en se lançant des injures. Les grands et majestueux navires marchands arrivés la veille nécessitaient de nombreux préparatifs, précédant un énième départ sur la Grande Bleue.


Aldthos, propriétaire de l'armurerie de l'Elfe Sombre, ouvrit aussi. Le petit homme jovial semblait être l'archétype du riche bourgeois. Célèbre dans les Trois Royaumes pour la qualité de ses armes, l'Elfe Sombre constituait la référence pour tout bon soldat. Les professeurs de l'académie Royale des Chevaliers eux-mêmes achetaient leur matériel chez Aldthos qui proposait des articles de valeur pour toute bourse et tous effectifs. Le gros marchand espérait bien faire une bonne journée, car celle de la veille ne l'avait pas satisfait. On le disait le meilleur commerçant d'Astror. Pour la forme, il grommela dans sa barbe quand le fils du voisin le bouscula en courant après ses camarades. Il aimait bien les enfants, surtout ce garçon vif et intelligent. Une voix familière le héla, le tirant de sa rêverie matinale.

" Vieil homme !

- Oh, mais qui voilà ! Canaille ! "

Samantha sauta à terre pour donner l'accolade à son vieil ami.

" De retour parmi nous ?

- Oui."

L'homme ne l'interrogea pas plus avant. Il savait qu'elle préférait ignorer les questions auxquelles elle ne pouvait ou ne voulait pas répondre, et remarquait quand elle esquivait ses interrogations.

Il donna une caresse machinale à Nerd, son noir pur-sang qu'elle attacha à l'un des anneaux de fer scellés dans le mur de la bâtisse.

-Tu entres ?

Samantha emboîta le pas de son hôte, saluant au passage le garde de service, Charles.

Dans l'arrière-boutique, Aldthos tira d'une étagère deux verres et un carafon de vin tandis que la jeune fille s'installait à la table de chêne.

" Comment vont les affaires ?

- Comme toujours. Tu sais bien que ce n'est pas facile. Je perds des clients, les jeunes sont de plus en plus exigeants, et j'ai du mal à me fournir les matériaux nécessaires pour mes artisans. Les soucis m'accablent.

Elle sourit ironiquement : il se plaignait beaucoup pour le plus riche armurier du royaume et son physique réjoui n'était pas celui d'un homme abattu.

- Et ta mission ? avança ce dernier, tu n'es pas blessée ?

- Tout va bien, mais j'ai besoin que tu me rendes un service.

Il avait senti l'urgence dans son regard et ne l'interrogea ni ne discuta. C'eut été pure perte, elle ne révélait jamais rien de ses missions.

- Tout ce que tu voudras, jeune fille.

- Je dois avoir accès à mon coffre. Tu peux m'ouvrir la salle ?

- Bien sûr.

L'homme tira une clé d'une chaîne pendue à son cou et entraîna son amie à sa suite.

- Ah, oui, ton nouveau poignard m'a été livré. Je l'ai mis en sûreté. Tu le veux aussi ?

- Oui. J'en aurai besoin.

La fin de sa phrase, murmurée, était passée inaperçue, couverte par le bruit de la lourde porte de chêne bardée de métal que venait de pousser l'armurier. Elle donnait sur une pièce de taille moyenne dans laquelle ce dernier conservait ses armes de grande valeur dans des casiers sécurisés.

Samantha avait le sien. La magie enseignée à l'Académie lui était bien utile. Pour l'ouvrir, elle devait désactiver les sorts qu'elle y avait placés, et appliquer une goutte de sang. Elle lécha son pouce qu'elle venait d'entailler à cet effet et tira la porte de l'autre main. Un sourire détendit son visage soucieux tandis qu'elle en retirait un objet enveloppé de toile blanche. Elle fit discrètement glisser un autre objet plus petit dans sa poche et referma le casier.

Elle avait confiance en son vieil ami, mais on n'est jamais trop prudent. Aldthos n'avait jamais eu aucune mauvaise intention à son égard, mais ce n'était pas le cas de nombreux magiciens qui n'auraient qu'à lire son esprit pour trouver les informations dont ils avaient besoin.

- Aldthos ...

- Samantha ?

Son visage souriant s'assombrit quand il la vit si sérieuse.

" Comme d'habitude, je suppose ?

- Oui. Si d'ici trois jours, je n'ai pas donné signe de vie, tu préviens Lahs.

Ce dernier était son mentor à l'Académie et son tuteur.

- Soit. Fais attention à toi jeune fille.

Elle lui sourit et le serra dans ses bras. La chaude étreinte ne suffit pas à le rassurer. La guerrière se recula pour le regarder dans les yeux :

" Je reviendrai en bonne santé, alors je t'emmènerai en vacances chez ton cousin forgeron, d'accord ?

- Ne prends pas ce ton maternel quand tu t'adresses à moi. J'ai plus du double de ton âge !

Il s'énervait pour cacher l'émotion qui l'envahissait. Célibataire endurci , il s'était vite attaché à Samantha qui voyait en lui une figure paternelle. Il l'aurait sans doute prise pour fille si elle n'avait pas refusé : plus leur relation serait étroite, plus il serait en danger, et elle refusait que quoi que ce soit ne lui arrive par sa faute. Elle se sentait déjà coupable de disparaître la majorité du temps sans le concerter, de l'inquiéter à chaque départ. Elle ravala les larmes qui lui montaient. L'heure n'était pas aux émotions.

- Aldthos, merci pour tout.

- Ton poignard ! J'ai failli oublier !

Le tableau du vieil homme s'empressant avec son gros ventre aurait d'ordinaire été comique et source de plaisanteries. De son arrière-boutique, il tira un paquet ficelé qu'il tendit à Samantha.

La lame était la jumelle de celle qu'elle portait à la ceinture. Elle en possédait autrefois la paire, mais elle en avait perdu l'une des deux, et s'était vue obligée d'en faire reforger une.

Elle défit le petit paquet : le poignard était parfaitement effilé, solide et brillant. Pour le tester, elle le lança dans le mur qui lui faisait face dans lequel il s'enfonça jusqu'à la garde. Elle sourit.

- Parfait. Tu pourras féliciter le ferronier, Aldthos.

La nouvelle lame rejoignit la première à sa ceinture. Cette fois-ci, elle était sur le départ. Un dernier adieu et la jeune femme enfourchait son destrier, partant sans un regard en arrière.

Aldthos resta à l'observer du pas de sa porte, sentant le poids des années peser plus lourdement sur ses épaules à chaque seconde qui s'écoulait et éloignait de lui la cavalière.












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