Chapitre 12 Maladie et divisions

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La demeure de Nusexea était semblable à toutes les autres de l'extérieur, sauf que ses volets étaient le plus souvent fermés, et que la magicienne sortait peu et communiquait encore moins. Mais, si on parvenait à jeter un coup d'œil par-dessus son épaule quand elle passait le balai sur le seuil, on apercevait confusément, dans une semi-pénombre, des étagère couvertes de fioles et de flacons, des piles de grimoires et un feu toujours allumé. Puis la femme fusillait du regard l'importun qui s'enfuyait en courant, sans demander son reste.

Sa propriétaire semblait effrayante au premier abord, non pas que son apparence soit repoussante, mais les expressions de son visage, moroses ou énervées, ne rassuraient pas. Pourtant, elle avait vite été acceptée par tout le village. Sa réputation de sage-femme et de guérisseuse avait grandi avec les années, et on n'imaginait désormais plus la vie sans elle.

Ce que la majorité de villageois ignoraient, c'était que son arrivée coincidait avec l'adoption de Chrysante par Denethor et son épouse, mais y était surtout liée. C'était elle qui aidait la petite fille à chacune de ses crises, qui s'était faites plus fréquentes tandis que l'enfant croissait. Cette dernière en avait gardé des séquelles, et un caractère difficile qui se cachait sous des apparences de douceur.

Sa relation d'amour-haine avec l'enchanteresse étonnait sa mère. Elles se disputaient souvent, mais ne pouvaient pas se passer l'une de l'autre. Nusexea mettait un point d'honneur à offrir un présent original à sa filleule pour son anniversaire. Ces derniers sortaient toujours de l'ordinaire, mais Chrysante avait une préférence pour une dague solide, lisse et brillante comme un miroir, qu'elle portait à la taille, pendue dans son étui de cuir.

La mage, à l'ordinaire positive sur la santé de sa patiente, semblait aujourd'hui très inquiète, comme le témoignait la ride profonde qui barrait son front soucieux. Penchée sur le lit où Chrysante était allongée, une main sur sa poitrine, elle tentait de déchiffrer les maux dont souffrait sa malade. Matthieu s'était assis sur le sol, le visage fermé, inquiet à l'extrême.

Sur un geste de la sorcière, il se leva pour l'assister, lui tendant des potions, et remuait d'étranges mixtures dans une grande marmite de cuivre. Plusieurs fois au cours de la nuit, il s'empressa à ramasser du bois pour alimenter le foyer. Il ne s'arrêta pas pour répondre aux questions pressantes des proches alarmés et d'Aranwäe angoissée.

En proie à une forte fièvre, sa fille se tordait de douleur sur sa couche, prononçant des paroles insensées en gémissant. Avec une diligence toute féminine, son frère de lait rafraîchissait son corps brûlant de linges humides.

Nusexea feuilletait des manuscrits, affairée. Elle dérangeait ses réserves de plantes, essayait différentes recettes, et tentait de trouver celle qui lui permettrait d'alléger pour un temps les tourments de celle qui était comme une fille pour elle. Des mèches collées sur le front, débraillée, à bout de souffle, la mède s'agita jusqu'au lever du jour.

Au petit matin, les fenêtres de la maisonnette s'ouvrirent en grand pour que l'air surchauffé se rafraîchisse. Las de sa nuit blanche, le garçon ouvrit la porte jusque-là fermée aux visiteurs et Aranwäe se précipita aux nouvelles, le visage creusé par le tracas de l'ignorance.

  • Comment va-t elle ?

La vision de sa fille calmement endormie et apaisée ne la rassura qu'à moitié. Elle implora la mage du regard.

  • Dis-moi tout.
  • Soit, mais sortons, et que ton époux nous rejoigne.

Des larmes dans les yeux, la femme obéit dans discuter, en se mordant la lèvre d'appréhension. Quelques minutes plus tard, le couple écoutait les paroles de la sorcière, qui expliquait, le regard dur et déterminé.

  • Elle doit partir. Le plus tôt serait le mieux. Demain ou le surlendemain au plus tard.
  • Explique-toi, Nusexea. Je ne prendrai aucune décision sans savoir ce qu'il se passe.

Denethor croisa ses bras puissants sur sa poitrine, le front têtu. C'était un paysan de bon-sens, et réfléchi.

  • Où ma fille doit-elle se rendre ? Et pourquoi ?
  • Ami, je pensais que tu me connaissais suffisamment pour savoir que je ne choisis rien à la légère. L'état de Chrysante est alarmant. Je n'ai ni les lumières ni le matériel nécessaire pour la soigner ici. Je vais contacter l'un de mes amis et lui demander de nous accueillir à la capitale. Là-bas, elle pourra guérir.
  • C'est non.
  • Comment ? !

Aranwäe intervint pour calmer l'orage.

  • Il s'agit de la santé de notre enfant, nous devons lui faire confiance.
  • Je refuse de la laisser seule avec des étrangers, dans une ville lointaine, sans possibilité de contact. De plus, voyager dans son état ? Belsir est à plus de quatre jours de marche d'ici, alors avec une malade, ce serait encore plus long. "

La sorcière soupira longuement, et rejeta ses cheveux derrière ses épaules.

  • Si c'est cela qui t'inquiète, homme, j'utiliserai la magie pour nous transporter. Ensuite, elle ne sera pas seule, mais avec moi, et je peux emmener une troisième personne, mais c'est mon maximum. Enfin, je me dois de te prévenir que tu n'as pas le choix.
  • Pardon ?!

Denethor fut interloqué. La colère l'envahit et le rouge lui monta au front.

  • Je ne prends mes ordres de personne, femme !!

Cette dernière répondit d'une voix douce :

  • Dois-je te rappeler qu'elle n'est pas tienne ? Je vous l'ai confiée, vous l'avez élevée, certes, mais je ne vous ai jamais donné tout droit sur sa vie comme sur ses actes. Elle aura bientôt dix-huit ans, ce n'est plus une enfant, Denethor, souviens-t-en.
  • Je refuse d'accepter !
  • Tu y seras contraint.

L'enchanteresse semblait soudainement plus grande, et une aura terrifiante se dégageait d'elle. Des étincelles dorées crépitaient au bout de ses doigts, et elle toisa son interlocuteur. Dans ses yeux brillait la force de l'orage et la puissance d'un volcan, dont la lave en fusion brûle toute nature sur son passage.

Denethor, pourtant plus grand, les épaules larges et massives, endurcis par les travaux des champs, avait reculé, sans baisser les yeux ni renoncer. Il porta la main à sa ceinture, prêt à en découdre quel qu'en soit le prix.

J'irai.

Matthieu venait de s'interposer entre les belligérants, désamorçant la querelle.

Je la protégerai.

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