La moitié

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La mine est déconfite, le teint cireux. Le regard est bas, fuyant. La respiration est morne. La tenue est négligée. Les cheveux sont hirsutes, la barbe clairsemée. Il est assis par terre, le dos voûté. Une cigarette achève de se consumer dans un cendrier où s’entremêlent les mégots écrasés, les cendres humides et les promesses de mort à petit feu. Autour de lui s’amoncellent les vestiges d’une ancienne vie heureuse et les relents de sa récente descente aux enfers. Cadres photos brisés, vêtements sales, bouteilles d’alcool ingurgité et répandu, emballages de pizzas vides et mouchoirs en tissus usagés jonchent le sol. Aux lettres d’amour d’antan s’additionnent désormais les factures, les relances pour impayés et les injonctions administratives. Sa forteresse de solitude, à l’instar d’un château de cartes chancelant, gît sur le sol au même titre que sa fierté, sa dignité et son honneur. Mourir, c’est ce qu’il voudrait. Une juste récompense après avoir tout perdu.

 


Encore et encore, il cherche à trouver les mots qui soigneront ses maux. Je t’aime plus que tout. Je suis prêt à tout pour nous sauver. Il n’a pourtant pas l’allure d’un sauveur et s’est surtout manifesté par son talent inné pour tout détruire. Tous les couples peuvent avoir des périodes de turbulences. J’aimerais que nous en sortions. Là encore, il sait que ça ne mènera à rien. Comment peut on affirmer sortir de là après avoir précipité l’avion dans la tempête au mépris des directives / supplications du commandant en second ?  Réfléchis, réfléchis. Tu es la femme de ma vie. Tu es tout ce que j’aime et tout ce que je veux. Classique, simple, inefficace. Ressassé, encore et encore jusqu’à plus soif. L’artifice ne fonctionne plus. Aime-moi encore s’il te plaît. Je ferai tout ce qu’il faut pour ne plus te faire supporter mes angoisses. Là encore, des paroles creuses, martelées après chaque crise jusqu’à en devenir un grossier leitmotiv à chaque reprise de conscience. Il la découvrait alors à chaque fois, prostrée dans un coin, les mains en protection devant son visage ravagée par les larmes. À chaque fois, elle l’avait menacée de partir. À chaque fois, il avait supplié pour une dernière chance. À chaque fois, elle avait cédé, jusqu’à maintenant.

 


C’était inscrit dans ses gènes. Un penchant prononcé pour l’autodestruction qu’elle n’avait découvert que trop tard. La première fois, c’était parti d’une broutille. Lui qui était si gentil, si affectueux, romantique et passionné, s’était mué en un être froid, distant. Son regard, si chaleureux d’habitude, lui avait glacé le sang. Petit à petit, les crises s’étaient faites plus violentes. Il contemplait impuissant les traces de ses méfaits une fois l’épisode passé.

 


Recroquevillé contre le mur de la chambre, il assiste au ballet frénétique de ses pensées tortueuses et désespérées. Il ferme les yeux, retient sa respiration, essaie de faire le vide. Changer ? La reconquérir ? Disparaître à tout jamais ? Tout recommencer, ailleurs ? Il ne peut s’y résoudre. Sa vie est ici. Elle est là. Tout devient alors clair. Je ne veux pas d’une vie sans toi.

 


Lentement, il se lève, traverse la pièce d’un pas décidé et retourne jusqu’à sa moitié. Il s’avance, prend une grande inspiration et se lance : « Je ne peux pas vivre sans toi. J’ai besoin de toi. J’ai besoin que tu sois là, pour me guider. J’ai besoin de ta lumière, d’entendre ton rire, tes paroles rassurantes. » Pas de réponse. Il reprend, plus déterminé que jamais à faire passer le message. « Tu as cet effet-là sur les autres. Tu arrives à les mettre à l’aise, à provoquer chez eux un rire. Ton sourire charmeur, ton regard plein de malice. J’ai besoin que tu prennes les rênes. »

 


Lentement, il pose la main sur la surface plane du miroir. Son reflet lui renvoie un regard empli d’espoir, une bouche en cœur. Ça ne dure qu’un temps, puis le regard se mue … compréhensif, rassurant, déterminé. Un sourire se forme au coin de sa bouche. Ses épaules s’élargissent, son dos se redresse. Lentement, il enlève la main du miroir et lui adresse un dernier regard.

                            « Ne t’inquiète pas, je suis là maintenant.

                                Laisse-moi faire ».

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