Qui a parlé d'abolition de l'esclavage?
Rio dos camaroes, Traduisant en portugais l'image d'une rivière de crevettes, tellement abondantes qu'il n'y avait qu'à se baisser pour en sortir des brassées de l'estuaire du Wouri.
Le portugais, une des premières langues marchandes occidentales au cameroun, devint très vite la principale langue véhiculaire tournée vers le commerce extérieur. En particulier celui d'hommes, de femmes et d'enfants arrachés à leur terre ancestrale. S'y sont rapidement melés d'autres vocables: l'anglais, l'allemand, peut-être même que l'espagnol et le néerlendais ont aussi résonné dans les places et les cours intérieures où s'échangeaient les tributs humains et les armes, ou les étoffes rares, chacune de ces langues luttant pour agrandir sa zone d'influence sur le territoire, lui garantissant le monopole de ce commerce lucratif. Le Douala, le Bassa, l' Haoussa, le Bami ou l' Ewondo s'y mélèrent rapidement. Commerce innovant pouvant multiplier jusqu'à 400 fois son investissement, la traite fit passer en quelques siècles des économies occidentales, sortant à peine de l' ère médiévale au miracle industriel: moteur économique, levier de developpement et de progrès technologique, fleuron de la marine marchande assurant la tranquille prospérité de plusieurs dizaines de ports...
Elle n'avait d'amertume que pour les enfants d' Afrique, y compris l'ultraminorité qui y participa sans pourtant jamais s'enrichir: La longue route solitaire et fantomatique des esclaves, dont le destin éteint était d'autant plus amer s'ils étaient nés libres, et que l'appel de la liberté avait subitement deserté leurs vies, désormais peuplées de morts sans nom.
Else avait entendu dire qu'à Bimbia , au Cameroun, là où se trouvait l'ancien marché aux esclaves , colonisé par la faune reprenant ses droits, la terre continuait d'appeler ses enfants volés du nom de leurs ancêtres. On ne pouvait y entrer sans frisonner: il s'en était parfois fallu de peu pour que les leurs ne finissent enchainés aux fers, près des mangeoires entre les pilones restés debouts, vestiges d'une Histoire qu'on ne peut pas oublier. Elle avait retrouvé la trace silencieuse aux Antilles, sur l'une des 54 marches à Petit Canal, de la colonne disparue de jeunes et vigoureux bamilékés, entassés dans des cales pendant la traversée, avant d'être oints à l'huile de palme pour le "blanchiment" précédant les ventes.
Et elle, Else, pour combien l'avait-on acheté ou revendu, peu importe, ce commerce était resté pour certains le même. Avant qu'elle ne soit concernée, elle recevait toujours avec une prudente réserve l'argument suivant lequel la nature de ce commerce en transformant l'esclave en travailleur pauvre ne disposant que de sa force de travail, mal rétribuée, s'était inscrit durablement, profondément dans le pacte economique et social qui les sanglait tous. C'était avant. Aujourd'hui , un réseau souterrain de traite humaine avait apposé un prix sur sa vie, s'était assis sur sa liberté et considérait que la propriété de ses livres, tout comme les revenus des ventes associées, leur appartenait. Parmi eux des militants wokistes et esclavagistes, se pressant aux portes de l'ambassade lybienne pour dénoncer certains abus, tout perpétuant les mêmes dans leurs sphères ultraconfidentielles.
Quelque part en France. Ou aux Etats-Unis. S'il était déjà difficile d'accepter le fait qu'il y ait pu avoir des esclavagistes noirs dans le passé, l'idée, trés politisée, était inconcevable aujourd'hui que se posait l'épineuse question des responsabilités et des légitimes réparations. L'actualité confirmait pourtant cette tendance, bien qu'ultraminoritaire.
Il suffisait pourtant de considérer l'esclavage comme le premier , incontestable et éclatant succès du capitalisme pour comprendre la participation de certains noirs à cet infâme commerce, qui se prolongeait aujourd'hui dans différentes traites humaines: du traffic sexuel à celui d'organes. La merchandisation des corps n'avait jamais cessé. Les gens, qu'importe leur couleur, l'argent n'en ayant pas, continuaient d'investir dans des marchés porteurs leur assurant un rendement rapide.
Certains de ces marchés étaient illicites, mais d'autres à la moralité pourtant douteuse, pouvaient facilement faire l'objet d'un habile woke-washing par de fervents activistes aux idées larges.
Prenons le cas d' Irma, brillante francophone avec un double parcours de type grande école française-Ivy League américaine, parfaitement bilingue et dotée d'une solide expérience professionnelle dans le management associatif, en particulier dans la réinsertion professionnelle.
Après un stage réussi dans une grande entreprise française de l'IAE (Insertion par l'Activité Economique) et une brève période de bénévolat au sein d'une prison d'état américaine, Irma a monté sa propre start-up, Wakhagra. Son enthousiasme pour le secteur dans lequel elle déploie ses activités, est contagieux. Le projet a déjà convaincu de nombreux actionnaires, grâce à son déroutant argumentaire:
"L'idée est venu d'un constat simple: le parrallèle entre l'incarcération de masse, de populations souvent noires ou racisées...(soyons francs) ET les profits vertigineux du complexe militaro-industriel, à travers ,notamment les prisons d'état à la gestion de plus en plus managérialiste. Et enfin l'essor des prisons publiques, qui comme vous le savez jouissent d'afflux massif de capitaux en raison de leur très haut niveau de rentabilité. C'est un système pervers qui nourrit un cercle vicieux.
Ma fibre sociale et l'expérience passée auprès de prisonniers en voie de réinsertion m'a poussé à reflechir à un système de "prisons ouvertes", système beaucoup plus humain et dont la nécéssité s'impose si l'on souligne le parrallèle évident entre incarcération de masse et système esclavagiste.
Les progrès technologiques et scientifiques, en particulier dans le domaine des NBIC (-paniquez pas, je vais "traduire- NBIC pour Neurosciences, Biotechnologies, Informatiques et sciences cognitives), ainsi que les expérimentations menées dans certains cadres communautaires ayant une expérience séculaire de la "coercition ouverte" nous permettent d'envisager un nouveau modèle de prison, en quelque sorte cognitive si j'ose dire. Et laissant surtout aux prisonniers leur liberté de mouvement, puisque la coercition s'exerce ailleurs...
Et nous sommes très fiers d'avoir pu, grâce à des business-devils lever 30 millions pour le projet Wakhagra! "
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