Le vampire
(Je me réveille au petit matin dans les draps blancs de l'hôtel, seule une tache écarlate sur le rebord immaculé de ma couche atteste que je n’ai pas rêvé, il est venu. Comment m’a-t-il retrouvé?
Je revois dans un cauchemar son ombre grandissante masquant la faible lueur lunaire, je sens encore… Et je porte la main à mon cou et la retire. Elle est tachée de sang, il m’a mordue.
Je frissonne. Et lentement, me glisse hors du lit. Je me redresse. Mais trop faibles, mes jambes ne me portent plus. Je me laisse choir sur le mince édredon d'une éclatante blancheur.
Mes forces vont revenir, je dois juste patienter. Les yeux mi-clos je me remémore notre première rencontre, il était si beau et tellement galant. Chaque mot qui sortait de sa bouche était un enchantement, il m'a séduite dès les premiers instants, dès le premier regard.
En me serrant tout contre lui, ses yeux rivés aux miens, il m'a entraînée dans une valse qui n’en finissait pas, j’étais complètement subjuguée par cet homme. Il a posé ses lèvres sur les miennes, il m’embrassait avec voracité, et avec ce baiser j’avais la sensation de lui appartenir tout entière.
Lentement, il m’attira à l’écart des couples virevoltants sous la lumière tamisée des lampions, je n’opposais aucune résistance.
Il me caressa les cheveux et ma tête bascula en arrière. Je fixais les étoiles, quand je sentis dans mon cou offert à la chaleur de sa bouche, la brûlure de la morsure.
J’eu un sursaut, et je m'écartai de lui, mais trop tard, il s’éclipsa en me promettant de revenir, et semblant s’évanouir dans l’obscurité de la nuit, il me quitta.
D’une démarche hésitante, je me dirige vers la fenêtre, une aube brumeuse étouffe l’horizon.
Après une douche revigorante, j’enfile une robe et une légère veste de mi-saison ; un foulard assorti à ma tenue dissimulera la marque laissée par mon visiteur de la nuit.
Il est grand temps que je rentre chez moi, s’il m’a retrouvée ici il est inutile que je demeure dans cet hôtel.
Je dispose mes quelques affaires dans mon sac et jette un dernier regard vers le lit défait, la tache se dissimule discrètement dans l’un des replis du drap.
Mais quelque chose attire mon attention, un papier traîne sur le sol, je le ramasse, c’est une invitation à la soirée « Aux roses rouges ».
Je suis perplexe. L’aurait-il sciemment déposé pour moi ou simplement perdu ?
Je le plie et le glisse dans la poche de ma veste.
Curieuse, je ne peux résister à la tentation, la soirée est prévue pour la fin de la journée, mais déjà j'ai une furieuse envie de voir cet endroit.
Je demande mon chemin à plusieurs reprises et arrive enfin en vue de la salle, l’endroit est isolé et entouré d’arbres et je stationne prudemment la voiture à une vingtaine de mètres de l’entrée.
Placardé sur la porte close, je remarque une affiche identique à mon prospectus : une danseuse immobilisée dans une pose lascive avec à ses pieds un homme lui tendant trois roses rouges.
" Invitation pour la réouverture du cabaret « aux roses rouges » entrée libre à partir de 22 heures."
Je jette discrètement un coup d’œil aux carreaux protégés par des grillages, mais ne distingue pas grand-chose.
Je reviendrai tout à l’heure, l’accès est autorisé à tous et en plus je possède ce prospectus.
Malgré mes craintes, je suis déraisonnablement attirée vers ce jeune homme que je voulais fuir et qui occupe à présent toutes mes pensées et j’espère qu'il sera présent.
Mais il est encore bien tôt et je reprends le chemin de la maison. Je pousse la porte. Assis à la table, mon père me fixe avec animosité.
— Où donc étais-tu ? J’admets que tu sois majeure, mais tu aurais pu prévenir ton père. Partir sans un mot comme une voleuse. Je t’ai vue t’écarter de la fête avec ce jeune homme, c’est à cause de lui n’est-ce pas, tu es vraiment comme ta mère.
— Papa arrête ! Je t’interdis de parler de Maman comme tu le fais, et je n’étais pas avec cet homme, j’avais besoin de changer d’air.
— Je me saigne aux quatre veines pour t’offrir une vie décente, et tu disparais le lendemain de ta fête d’anniversaire, elle est jolie la jeunesse. Et le vieil homme avale une lampée de la bouteille trônant sur la table.
— Si Maman est partie, c’est de ta faute, elle ne supportait plus de te voir ivre à longueur de journée.
— Ferme –la ! Tu n’es qu’une petite traînée. Menaçant, il se lève et la jeune fille s’élance dans l’escalier et se réfugie dans sa chambre. Elle sait que quand il est dans cet état, il est inutile de discuter avec lui.
Butant sur la porte close, je l’entends redescendre les marches en maugréant.
— Oh, Maman, pourquoi m’as-tu laissée ?
Je patiente un long moment, et ne tarde pas à entendre les ronflements puissants de mon père.
Rassurée, je retourne dans la cuisine et me réchauffe un plat préparé. Il reste quelques bouteilles entamées dans le frigo. Je ne me berce pas d’illusions, elles n’y végéteront pas longtemps. Après tout, qu’il se saoule. Ce soir, je vais aller « Aux roses rouges », je m’en réjouis par avance.
Après la morsure qu'il m’infligea, une sensation étrange m’avait envahi, une sorte d’euphorie mêlée de crainte. Et la raison l’emporta sur le désir, je devais fuir ce jeune homme si différent des autres. Entraînée par la foule qui m’entourait, je sentais encore son regard me pénétrer, et un désir insensé me submerger quand il m’étreignait. À la hâte, je rangeais alors quelques vêtements dans un sac. Je partais pour m'éloigner de cet homme et de la sensualité qui émanait de lui, de son regard hypnotique qui incendiait mon corps et troublait mon esprit.
Mais cette nuit, abritée dans cet hôtel, il m’a retrouvée. Et c’est moi à présent qui vais à sa rencontre. Toutes mes hésitations ont disparu.
J'entre "aux roses rouges" l'invitation à la main, mais personne ne me demande rien. Je l'aperçois, il est là, assis à une table entourée de trois filles magnifiques, il est tellement accaparé par ces femmes qui le couvent de regards gourmands qu'il n'a même pas fait attention à moi.
J'ai envie de faire demi-tour, de m'éclipser. Qu'importe, il ne saura jamais que je suis venue, que j'ai franchi cette porte afin de le revoir.
La pièce est plongée dans une pénombre éclairée seulement par des lueurs jaillissant de la scène où deux jeunes filles à moitié nues dansent lascivement.
Ne le quittant pas des yeux, je me coule dans l’ombre. Une femme vulgaire, à la poitrine opulente et habillée d'une robe lui collant à la peau, danse avec un jeune homme qui pourrait être son fils, elle rit de toutes ses dents quand le jeune homme la serre tout contre lui.
La salle est bondée et je me déplace avec difficulté entre ces hommes et ces femmes agglutinés l'un à l'autre pour apercevoir celui pour qui je suis venue.
Il est si beau avec ses traits si parfaits, son teint pâle, sa peau aussi douce que celle d'un enfant, sa peau que j'ai envie de caresser encore et encore.
Et tout me revient en mémoire. Nos étreintes passionnées, je n'appartiens qu'à lui, je le dévore du regard, et il l'a certainement senti, car il a tourné les yeux dans ma direction. Il sourit, un sourire à la fois ironique et envoûtant. Il me fait signe d'approcher.
Je ne vois plus que lui, tout le reste n'existe plus, je m'approche ne le quittant pas du regard. Je le vois échapper aux femelles en chaleur qui tentent de le retenir, il se lève et se dirige vers moi.
Il m'enlace contre lui, j'entends son cœur tambouriner dans sa poitrine. Ou bien est-ce le mien? Je ne peux en être certaine, car nous sommes soudés l'un à l'autre. Je suis les mouvements de la danse dans laquelle il m'entraîne. Son souffle dans mon cou, et l'extase quand ses canines s'insinuent lentement sous le fragile rempart de ma peau.
Ensuite son baiser qui me dévore le cœur. Je perçois des cris étouffés puis plus appuyés autour de nous, il m'attire vers l'extérieur, loin de cette salle juste avant que les portes ne soient scellées.
Il m’emporte. Je flotte avec lui entre le ciel et la terre, aucune crainte en moi, seulement la certitude d'un amour infini. J'ignore où il m'emmène, mais là où il ira je serai avec lui.)
Il m'appelle , je reconnais cette voix , je l'entends et ses mots tambourinent dans ma tête. Il me dit de venir jusqu'à lui mais pourquoi m'a t'il laissé ici enveloppée dans ce draps usé dégageant cette odeur nauséabonde?
J'essaie en vain de me souvenir , je revois un visage , et une immense joie m'envahit. Peu à peu les souvenirs me reviennent, il m'a emportée , et confiante j'ai fermé les yeux tandis qu'il m'emmenait dans les airs comme un oisillon captif.
Il m'appelle avec insistance, j'ai grand peine à me relever, mes jambes sont lourdes , et je frissonne, sous ce tissu qui me recouvre je suis entièrement nue. Et celle lueur d'où vient elle? ce n'est pas la lumière du jour . je croyais me trouver dans une chambre, mais je m'aperçois vite de mon erreur, autour de moi ce que je pensais être des statues sont en fait des corps humains, immobiles, recouverts tout comme je le suis moi même, d'un linceul .
Avec effroi je viens de comprendre , je suis morte, non plutôt j'étais morte et je viens de refaire surface, de renaître.
Tout me revient en mémoire, le bal, et le moment où il m'a enlevée juste avant que les portes ne se referment. Les étoiles emplissaient mes yeux , peut importe où il m'emmenait , nous étions ensemble , cela seul importait.
Et je me réveille à présent dans cette crypte entourée de ces êtres sans vie, il m'a tuée, il m'a tuée pour que je n'appartienne qu'a lui, et je ne peut plus résister, je met un pied à terre , j'avance vers cette lueur éblouissante, je progresse vers lui, vers mon amour, mon maître, mon tout, ma seule raison d'exister encore, même si au fond de moi je sais que ne suis plus qu'une morte vivante, tout comme lui , une vampire qui bientôt sera assoiffée de sang humain, et qui demeurera éternellement à ses côtés loin des rayons mortels du soleil.
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