12 - Verdict [Réserve] {sf}=9

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— ʽMin… Qu’est-ce qu’il fait…

Lith se penchait à la fenêtre, vérifiait que la navette n’avait pas bougé, puis retournait scruter le couloir. Ses mouvements fébriles trahissaient son agacement. Il n’y tint plus.

— Tchar ! Tu te ramènes ?

La voix puissante se répercuta jusqu’aux appartements du fond. Une porte s’ouvrit.

— Ça va, ça va, j’arrive !

Le dénommé Tchar déboula tranquillement, sans paraître le moins du monde poussé par une urgence quelconque.

— ʽMin, on va être en retard ! On va rater le meilleur. C’est toujours le début qui est le meilleur…

— Mais non ! Aucun risque. J’ai dit au chef que j’avais une nouvelle idée. Ils ne vont pas commencer sans nous.

— Une nouvelle méthode de chasse ?

— Oui. Mais pas que. Tu verras, on va s’amuser ! Allez, viens, on y va…

Ils pénétrèrent dans le sas puis s’installèrent dans la capsule de transport. Lith indiqua le point de chute et quelques instants plus tard, ils se retrouvèrent à bord de la navette qui assurait la liaison entre les stations.

Tout en se dirigeant vers le point de rendez-vous, Tchar se retourna vers son compagnon.

— Tu en as déjà tenu dans tes mains ?

— Une fois.

Lith gloussa. Le souvenir d’avoir pu tripoter l’une des bestioles le mettait mal à l’aise, mais l’emplissait d’une excitation qui n’aurait demandé qu’à croître. La chasse aux bestioles était addictive. Il se rappela la scène.

— J’en avais chopé une et je voulais savoir. J’avais réussi à la dépouiller sans l’abîmer et elle a trouvé le moyen de m’échapper. Mes doigts ont glissé sur elle quand j’ai voulu l’arrêter. Elle est tombée et je l’ai attrapée par la queue. Tu aurais vu comme elle s’est mise à gigoter quand je l’ai tenue à bout de bras entre mes deux doigts ! Et comme elle couinait ! Du coup, je l’ai lâchée. Mais c’est qu’elles sont fragiles ! Par terre, elle n’a plus bougé. Quand je l’ai ramassée, j’ai senti qu’elle était cassée à l’intérieur. J’en ai quand même profité pour l’examiner.

— Tu as eu un mâle, les femelles n’ont pas de queue. Ils sont plus agressifs. Quoique. Il y a des femelles qui résistent aussi. De sales bestioles !

Ils arrivèrent à la salle de débriefing et s’installèrent après avoir salué d’un bref mouvement l’ensemble des participants qui s’étaient retournés. Lith était curieux et aurait aimé en savoir un peu plus. Tchar était un vétéran de la chasse aux bestioles.

— Les femelles n’ont pas de queue ? Autrement, comment tu distingues mâle et femelle ?

— En réalité, ce n’est pas une queue. C’est leur sexe. Je crois que c’est sensible. Sinon, pas facile de les distinguer.

— Ça alors… Je me disais aussi qu’une queue courte sur le devant, c’était bizarre… Et ce serait sensible… Bah, après tout, ils n’ont qu’à se reproduire comme tout le monde !

Le silence se fit. Le chef venait de franchir la porte.

— Salut à tous. On attend encore un peu les retardataires mais, je vous rassure, on y va dès que Tchar nous aura présenté sa nouvelle lubie.

Tous se retournèrent. Tchar se leva.

— C’est vrai qu’on finit par s’ennuyer. Les chasses se suivent et se ressemblent. Les bestioles emploient parfois un peu d’inventivité pour échapper à nos poursuites, mais dès qu’on les tient, il n’y a plus guère de plaisir. Alors j’ai pensé qu’on pourrait continuer à s’amuser en fin de chasse. J’en ai parlé au chef et il est d’accord avec l’idée.

Le chef opina. Tchar se dirigea vers le présentoir et s’empara de l’un des objets exposés.

— Tout d’abord, je vous présente ce nouvel accessoire, mis au point par mes soins. Comme vous le voyez, il prend peu de place et ne devrait pas vous encombrer. Il s’agit d’un pistolet lance-filet. Facile d’emploi et réutilisable. Chaque recharge contient une centaine de filets. Vous visez devant un groupe qui tente de s’échapper. Comme ça… Le filet s’écarte pour englober tout le groupe. Vous tirez un coup sec d’un mouvement de poignet. Comme ça… Et vous ramenez toutes les bestioles prises dans le filet. Jusqu’à cinquante en un coup bien ajusté. Ça, c’est pour la capture.

Tchar parcourut des yeux l’assemblée qui était tout ouïe. Il continua.

— Cela nous servira pour l’amusement en fin de chasse car, pour une fois, il s’agira de ramener des bestioles vivantes. Donc, vous faites les prises que vous voulez et vous essayez de les stocker sans trop en étouffer. Quand on aura fini de courir et de pister ces saloperies, on se retrouvera près d’un lac. Le chef fixera le point de rassemblement.

Tchar jeta un coup d’œil au chef qui approuva. Quelques voix s’élevèrent.

— Mais arrête de nous faire saliver, dis-nous en quoi va consister le jeu !

— Bon, c’est simple. Après avoir bu un coup, on va lancer les paris. Ensuite, chacun jette une bestiole à la flotte – on emportera de la peinture de différentes couleurs pour les marquer et repérer laquelle est à qui. Le jeu consistera à donner de petits coups sur la tête des bestioles des copains pour les enfoncer sous l’eau. Je dis des petits coups. Juste pour qu’elles plongent ! Pas les maintenir sous l’eau sinon c’est pas marrant !

Le regard de Tchar se fit sévère et personne ne pipa.

— Donc, vous repoussez autant de bestioles que vous voulez sous la flotte dès qu’elles refont surface. Mais attention à ne pas le faire pour la vôtre, hein ? Celui qui a la dernière bestiole qui reste vivante a gagné. Je crois qu’on devrait bien s’amuser. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Une ovation lui répondit.

— Tchar ! Tchar ! J’ai une question !

Tout le monde, ou presque, voulait prendre la parole. La voix puissante de Tchar imposa le silence en désignant l’un des participants.

— Oui, Nurp. Que veux-tu savoir ?

Nurp s’efforça de se faire entendre.

— Oui, pour la petite fête finale : combien de bestioles vivantes devons-nous rapporter ?

— Une vingtaine chacun, je pense que ça suffira. Essayez de choisir parmi celles qui vous paraissent les plus résistantes, hein !

Cela fit rire l’assemblée. Le chef reprit la parole.

— Et pour les autres, celles qui ne seront pas bonnes, vous les tuez de la manière que vous voulez, comme d’habitude. Inutile de s’encombrer.

Tandis que le brouhaha reprenait, le chef haussa le ton.

— On discutera des détails plus tard ! Je vais commencer par vous présenter le plan de chasse, alors écoutez bien ! Les bestioles se font plus rares et ça devient plus difficile de s’en faire beaucoup en une seule chasse. Voici la zone…

Une carte holographique s’afficha.

— On reprend une partie de la ruche qu’on a commencé à raser. Là, il y a quelques petits groupes isolés qui tentent de fuir. Là, là et là…

Des points mobiles en surbrillance parsemaient la carte.

— D’autres se terrent. Il vous faudra creuser. Je sais, c’est moins intéressant que de courir après, mais dites-vous que vous faites œuvre de salubrité. Et puis, rien ne dit que les spécimens enterrés valent moins que les autres…

Aux têtes de son auditoire, le chef vit qu’il n’avait dupé personne, mais il savait que nombre de participants se rabattraient sur les points immobiles car la densité y était plus importante.

— On voit quelques très jeunes bestioles. N’en laissez pas de vivantes, même si vous vous dites qu’elles finiront par crever toutes seules. Un coup de talon, c’est plus sûr. Oui, Nurp ?

— Chef, moi j’aimerai bien en ramener une pour en faire un animal de compagnie…

Tous les autres s’esclaffèrent.

— Mais Nurp, ça ne va pas ? Tu vas pas ramener ces trucs dégueulasses chez nous ? Elles n’ont même pas de fourrure ! À peine une petite touffe. Et encore… quand elles sont jeunes !

Nurp ne se démonta pas.

— Moi, je les trouve rigolotes. ʽMin on pourrait leur apprendre des tours… On pourrait les muter pour qu’elles soient plus grosses… Avec une ʽmin de fourrure…

Le chef s’imposa pour calmer tout le monde.

— Nurp, je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Tu ne trouves pas qu’elles ont fait assez de dégâts dans leur environnement ? Tu voudrais introduire ce genre de bestioles chez nous et courir le risque – par une mutation, en plus ! – de voir un pareil désastre se répandre ? Et arrête de jurer ! Ce n’est pas parce que nous sommes entre nous que tu dois ramener dans toutes tes phrases tes ʽmin de ʽmin de « ʽmin » !

— Euh, Chef… Vous l’avez dit trois fois… On pourrait demander l’autorisation, non ?

— Nurp, évite de me faire fâcher, tu veux ? Et pour l’autorisation, tu pourras bientôt la demander toi-même : on devrait avoir la visite du commandeur d’un instant à l’autre… Je crois qu’il aura des choses à nous dire.

D’avoir mentionné le commandeur fit revenir un calme relatif. Le chef en profita pour terminer son exposé.

— Pour en revenir à notre chasse… Le lieu de rendez-vous est près de ce lac, à la périphérie de ce qui reste de la ruche. Vous essayez de faire le vide dans tout ce secteur, là, à la gauche du lac. On va raser la zone dès que possible. Maintenant, vous pouvez aller voir de plus près les pistolets lance-filet. Il y en a pour tout le monde. Tchar répondra à vos questions. Nurp, qu’est-ce qu’il y a encore ?

— Chef, si on continue comme ça, bientôt on n’aura plus de bestioles à chasser. On rase et elles ne reviennent pas. En plus, j’ai l’impression qu’elles ne se reproduisent pas si vite que ça…

Un visiteur était entré durant l’intervention de Nurp. Un silence tendu s’installa. Le commandeur prit d’autorité la parole.

— Bonjour à tous. Bonjour Chef.

Il fit un signe de reconnaissance à Tchar qui le lui rendit.

— Je vois que je tombe au bon moment. Je viens de recevoir les ordres du Conseil des Sages. La consigne est on ne peut plus claire : on extermine ces bestioles jusqu’à la dernière ! Leur population est passée de plus de dix milliards d’individus à quelques centaines de mille : cela promet encore de belles parties de chasse ! Je pense avoir répondu à votre question. Inutile de vous affoler, nous avons du temps devant nous et les chasses ne s’arrêteront pas du jour au lendemain. Alors, bonnes chasses à tous et amusez-vous.

Le chef se pencha vers l’oreille du commandeur pour lui murmurer quelques mots. Le commandeur hocha la tête et reprit la parole face à l’auditoire.

— Et quand je dis exterminer, cela veut bien dire qu’aucune bestiole ne doit rester vivante ! Nous n’en garderons même pas pour la recherche et encore moins pour les transformer en animaux de compagnie. Est-ce bien clair ? Pour les animaux de compagnie, il y a d’autres races plus intéressantes, avec plus de fourrure. Nos chercheurs ont déjà commencé à leur appliquer des mutations pour les adapter à la demande. Vous les verrez bientôt apparaître sur le marché. Quant à cette planète, il faudra vous faire à l’idée qu’elle restera une réserve, mais une réserve sans cette fichue race de bestioles !

Après la fin de l’intervention, les participants se levèrent pour examiner les nouvelles armes de chasse dans un joyeux tumulte.

Le chef en profita pour se rapprocher du commandeur.

— Je suis content de la décision prise par le Conseil des Sages. Ces bestioles me sortent par les yeux. Vivement que la dernière disparaisse ! Au reste, je ne supporte plus cette insulte que tous les jeunes, et souvent les moins jeunes, emploient à tout bout de phrase ! J’espère bien qu’elle va s’éteindre avec cette sale race !

Comme un fait exprès, Lith, tenant un pistolet, passa près d’eux en lançant à Nurp :

— Non, mais t’as vu l’engin ? Ça, c’est un ʽmin de lanceur ! On va les avoir ces ʽmin de bestioles !

Le chef leva les yeux au plafond. Le commandeur sourit.

— Pour la fin des bestioles, je pense que vous pourrez bientôt dormir tranquille. Mais pour ce qui est de l’insulte…

Le sourire du commandeur s’accentua.

— … vous devrez vous y faire : elle a encore de beaux jours devant elle. Cette race de bestioles était si vile, qu’il n’y a rien de plus insultant que le nom qu’elle s’était donné et cela risque de perdurer dans les mémoires. Venez, allons boire un verre… Au dernier de ces ʽmin d’humains !


Juillet 2015

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