Chapitre 8

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 Gabrielle sifflotait au vent, assise au sommet de la colline qui habritait sa cabane, s’imaginant répondre à la brise. À ses côtés, l’oncle Feirild murmurait ses réflexions et gribouillait des notes sur une page en cuir.

– Tu fais quoi ? demanda la jeune femme en tentant de jeter un coup d’œil.

– Je développe une théorie personnelle, pour mieux comprendre le comportement des monstres.

– Et ça dit quoi ? Moi je t’en fais une si tu veux : ils veulent bouffer tout ce qu’ils croisent et c’est tout.

– Ce que tu décris n’est pas tout à fait faux, mais cela va bien plus loinVois-tu, sur le continent il existe d’autres bêtes dangereuses : des loups, des ours ou des sangliers. Mais elles ne sont pas pour autant considérées comme hérétiques.

– Et pourquoi ça ?

– Parce qu’elles font partie d’un cycle uni. Un monstre, quant à lui, ne crée que le désordre puisqu’il prend sans ne jamais rendre en retour. C’est pour cela que la nature est morte ici, parce que nous sommes dans le domaine d’Haeresia où aucun équilibre n’est possible.

– Et pour les humains, tu penses qu’on est comme eux ou c’est différent ?

– Moi, je n’ai pas encore tranché la question. Mais les gens qui nous ont envoyé ici nous ont accusés d’être corrompus par ce mal. Cependant, la volonté divine n’en est écarté que de très peu, c’est que j’ai essayé de théoriser avant qu’on me condamne.

– Je vais prendre ça comme un non alors.

– Et toi Gabrielle, qu’en penses-tu ?

– Honnêtement, je n’aime pas me casser la tête pour rien. Tout ce qu’on fait c’est essayer de survivre. Si ça c’est mal, alors tant pis.

– Comme des goules qui partent chasser, en soi.

– Peut-être… Au moins, nous, on essaie de se poser la question.

– Oui, c’est déjà quelque chose… murmura Feirild avant de retourner à ses notes.

Sur ces mots, la jeune femme se tourna à nouveau vers l’horizon. Le ciel se teint peu à peu d'une couleur orageuse, puis à la pénombre. Après une profonde inspiration, elle rouvrit les yeux, avachi dans un chariot.

Devant elle, Joacquim était recroquevillé contre sa lame qu’il inspectait avec minutie. La chasseresse sursauta et repris sa flamberge dans ses bras.

Attention jeune femme ! Ne fais pas de gestes brusques avec ça !

Mais qu’est-ce que tu foutais !

Je regardais simplement ton arme. Cet alliage noirci, je n’ai jamais rien vu de tel. Sa lourdeur et sa densité sont tout bonnement incroyables. Il n’est qu’une force surhumaine qui pourrait la manier au combat. Pardonne-moi ma curiosité, mais où l’as-tu trouvée ?

Elle appartenait à une amie qui me l’a donnée. La lame était normale avant, je pensais que c’était la rouille qui avait changé sa couleur.

Non ça ne peut être ça… Il y a d’étranges phénomènes à l’œuvre ici…

Arrête de te rapprocher ! Je n'aime pas qu'on touche à mon épée.

Bien, nous verrons cela plus tard alors… Tiens, tant que tu es éveillé, prend ça.

L’alchimiste sortit d’une petite sacoche une fiole à la couleur verdâtre et la tendit.

C’est quoi ?

La vespièvre est une espèce capable d’injecter une puissante toxine paralysante par ses griffes. S’il t’arrive d’être touché par l’une d’elle, bois l’intégralité de ce remède sans hésiter. Il te permettra de contenir les effets durant un temps, mais l’intervention d’un guérisseur sera vite de mise.

D’accord… et elles ont quoi comme point faible ces choses-là ?

Ce sont des bêtes nocturnes, elles détestent la lumière. C’est donc une bonne chose que nous ayons Ikaar avec nous. Suis toujours ses ordres sans te poser de question, peut importe la situation.

J’essaierais…

La jeune femme poussa un soupir discret et regarda par l’ouverture du chariot. Elle vit défiler sous ses yeux des arbres radieux aux feuillages verdoyant. Loin des marais désolés qui l’avaient vu naître, elle pouvait entendre cette vie grouillante et luxuriante tout autour d’elle.

Des tapements sourds résonnèrent contre la paroi du chariot.

On se réveille là-dedans ! Nous sommes bientôt arrivés.” cria Ikaar aux chasseurs.

La chasseresse sortit par l’avant du chariot et alla s’asseoir aux côtés d'Aria. Au coin du chemin leur faisant face, le lieu de l’incident de la veille se révélait à eux. Contre la carcasse des soldats et de la vespièvre, une troupe de follet fouillait et désossait les corps. Ces petits êtres trapus au sourire vicieux et aux longs doigts acérés se repaissaient de la chaire décomposée et contemplaient avec émerveillement chaque objet brillant leur passant sous les yeux. À la vue de ce spectacle, le paladin s’écria :

Gabrielle, montre-nous ce que tu vaux et occupe-toi d’eux !

La mâchoire serrée et le regard perçant, l’arbalétrieuse murmura :

Je te couvrirais si ça devient…

Il était trop tard, son interlocutrice venait de sauter et courut sans attendre vers la menace, la flamberge au poing. La voyant arrivée, les monstres se relevèrent et se préparèrent au combat. Dans une attaque coordonnée, ils bondirent tous sur leur adversaire.

La chasseresse répliqua en fendant sa lame. Plusieurs follets furent emportés et déchiquetés sur le coup, mais d’autres survécurent. Un premier s’agrippa à son épaule et la mordit profondément. Sans sourciller face à la douleur, elle lui brisa le crâne d’un revers du poing. Un deuxième tenta d’agripper son mollet avant qu’elle ne l’empale.

Face à cette force, les bêtes prirent peur et se retournèrent vers les bois pour s’enfuir. Mais la guerrière les poursuivit sans répit, les écrasants de ses bottes et broyant leurs entrailles en y remuant sa lame.

C’est bon, je m’en suis occupé.

Ikaar approcha sa monture du massacre et répondit d’une voix grave :

Tu ne gardes aucune pitié pour l’hérésie, j’aime bien cela. Mais il faudra revoir ta défense.

Aria arriva à son tour et posa ses mains sur l’épaule de Gabrielle :

Je vais m’occuper de cette plaie avant que ça s’infecte. Ne bouge pas.

Bien, attelons-nous à l’inspection des corps, ou ce qu’il en reste… soupira Joacquim en sortant du chariot.

Le paladin et l’érudit rejoignirent le corps de la vespièvre. Autour des dépouilles, les moucherons et les verres pullulaient déjà dans une odeur fétide.

La chaleur de la saison n’a pas aidé à conserver les cadavres on dirait… soupira Ikaar en se couvrant le nez.

Les pattes arrièrent et les tripes ont étés boulottées par les follets et les insectes. Mais il nous reste quand même de quoi travailler.

Je n’ai pas beaucoup servi dans le sud, mais cette vespièvre me paraît bien dodue.

Il n’y a pas que ça, reprit le viel homme en feuilletant un schéma anatomique. Ses muscles semblent atrophiés. Même dans cet état, elle n’a pas la carrure de ses congénères… La masse osseuse est peut être aussi affectée.

Elle a quand même renversé un chariot et dépecé deux hommes la nuit dernière. Je ne l’ai pas trouvée si faible.

Oui, les sylvidés de son espèce sont capables de se développer très rapidement. Tout ceci me fait plutôt penser à une période d’inactivité prolongée. Peut-être est-ce dû au gibier plus abondant dans la région.

Regarde ici, il y a une marque.

Sur le torse de la bête, un bout de peau ensanglanté exhibait une profonde cicatrice à la forme troublante.

On dirait un cercle quasi-parfait décoré d’un sigle en losange, reprit Joacquim en gribouillant la forme sur une page… C’est illisible, mais ça devrait nous aider à remonter sa piste.

Tu penses à quoi ? Une marque au fer rouge peut être ?

Oui, ça ne peut être que ça. Je propose que nous nous rendions à Varfort sans attendre. Il est probable que notre bête tienne sa blessure de là-bas.

En combien de temps on pourra y être ?

Avant la mi-journée si nous partons maintenant.

Dans ce cas, n’attendons pas plus longtemps.

Les chasseurs reprirent leur cheval et leur chariot et firent demi-tour en direction de la citée environnante. Il s’agissait d’une bourgade engouffrée dans une plaine et bordée par la forêt. Sa grandeur n’avait rien de comparable à la Capitale. Les routes, pour la plupart, restaient tout juste creusées dans un sillon de terre et les étroites maison des petites gens croulaient sous le poids de leurs années. Il n’y avait bien que les gigantesques entrepôts recroquevillés contre la rivière qui voyaient passer les marchandises, l’agitation et les foules.

Arrivés au cœur de la ville, ils furent inviter dans la cour du château et accueillis par un serviteur qui les guida jusqu’au seigneur local. Ils arrivèrent dans une grande salle, parsemée de bannières et d’armures chatoyante. L’homme qui siégeait en son centre se leva de son trône et baissa humblement la tête devant ses invités.

Il est un honneur personnel de vous accueillir au sein de ma cité. Dites-moi, quelle mission emmène la Chasse Royale à Varfort ?

Tous les chasseurs se courbèrent à leur tour dans une politesse silencieuse. À l’exception de Gabrielle, qui resta debout, les bras croisés et le regard fixé devant elle.

Seigneur Ostengarld, la piste d’un monstre nous a mené à votre cité, répondit Ikaar.

Puis-je en connaître son origine, ou son espèce ?

Il nous est préférable de ne pas en dire plus. Mais il s’agit là de la bête responsable des attaques ayant récemment touché les bois de Viazur.

Très bien, s’il s’agit de cela, je ne peux que vous conseiller de vous entretenir avec notre giboyeur, Vincent. Il est celui qui a trouvé les traces du premier incident de la nombreuse liste qui accable notre ville depuis plusieurs nuits. Sa demeure se trouve non loin, aux abords du chemin repartant vers l’est.

Merci votre seigneurie, nous dédierons la plus grande ferveur à accomplir notre tâche et à protéger la ville ainsi que ses habitants.

J’espère que ces informations aideront votre quête. S’il vous vient la moindre demande, je tâcherais de la satisfaire. Dans l’attente, je demanderais à mes hommes de restaurer vos vivres et de vous préparer des quartiers au sein du château.

Sur ces mots le groupe sortit de la salle et se dirigea en direction des montures.

Dit, Aria, ils s’appellent tous Ostengarl les nobles par ici ? murmura Gabrielle.

Non, c’est simplement une lignée issue des premiers chasseurs. Tu sais, les gens n’atteignent pas les haut rang comme toi normalement. Le sang est ce qui prévaut le plus.

Et toi ? T’es arrivé ici comme eux ?

Aria poussa un profond soupir. Des rayons de soleil discrets vinrent percer la vitre à ses côtés et illuminèrent le vide dans son regard.

Plus ou moins… En fait, j’ai surtout eu de la chance, c’est tout… Bon, cesse de papotage, allons retrouver les traces de notre monstre !

Gabrielle acquiesça et accélérera sa marche. Au fond du gouffre de l'appréhension qui lui serait la gorge, elle pouvait ressentir, entre les battements lourds de son cœur, la même hardeur que dégageaient les autres chasseurs.

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