Chapitre 15

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 Gabrielle était traînée dans la boue, les pieds nus et les poignets attachés par la même corde qui lui serrait la gorge. Du haut de son corps frêle, ses yeux larmoient, ses petites jambes tremblaient et ses cris s’étouffaient contre son bâillon.

“Allez, avance gamine, je te porterais pas une minute de plus. Tu m’entends ! Bouge !

L’oncle Honïr, devant elle, emboîtait le pas en tirant sur ses liens.

“Chiale pas comme ça, tu me déconcentres ! J’ai pas besoin que tu m’énerves encore. Peut-être que quand ta mère était là tu avais ton mot à dire, mais maintenant tu la fermes et tu marches !

L’Homme soupira et accéléra le pas en tirant un coup sec sur la corde, qui ne manqua pas d’étrangler la petite fille dans quelques gémissements pénibles.

“Non, ne pense plus à cette folle, elle ne passera même pas l’hiver… Tous des cons, putain je te jure. Trois semaines qu’on a rien à bouffer, trois semaines qu’on galère parce qu’elle est pas foutue de prendre la bonne décision… Ça va aller petite, on va rentrer à Azur toi et moi. Tu leur montreras ce que tu sais faire, et ils iront chercher ta mère pour qu’elle serve son roi. Toi aussi tu y passera d’ailleurs…

En entendant ces paroles, la respiration de Gabrielle s’accéléra. Dans un mouvement désespéré, elle tenta de se débattre, se jeta au sol et gesticula les bras avec une frénésie incontrôlable. En réponse, son ravisseur l’attrapa et la gifla avant de la plaquer contre un tronc d’arbre.

“Rahhhhh, ferme là et arrête avant que je ne m’occupe de toi ! Tu ne sais pas quelle chance tu as ! Toi, toi au moins tu peux être utile, tu ne le réalises même pas. Petite insolente, je suis en train de te sauver de ces terres maudites, tu devrais m’être reconnaissante !

La fille continua de bouger jusqu’à donner un violent coup de pieds à Honïr dans l’estomac. Elle profita de l’effet de surprise pour se faufiler hors de ses mains et commença une course effrénée vers la forêt morte.

“Reviens là !

Son ravisseur la rattrapa au bout de quelques mètres et bondit sur elle avec fureur.

“Tu sais quoi, tu as gagné, je vais t’apprendre à me respecter !

Sans hésiter, il plongea sa main sur son torse et déchira son haillon, exhibant sa poitrine naissante contre laquelle il plaqua son visage. Les battements de Gabrielle devinrent hystériques et son souffle incontrôlable. Malgré tout ses efforts, elle ne sentait que le serrement continue de ses membres qu’elle arrivait à peine à bouger.

“Petite chanceuse va, je vais faire de toi une femme, ça va te changer tiens !

Honïr n’attendit plus et défroqua la fille d’un mouvement sec et bestiale. Il plaqua sa main contre son entrejambe et commença à user de ses doigts. Mais quelque chose n’allait plus. Il s’était arrêté, livide. Ses yeux se tournèrent sur leur orbite et sa mâchoire se relâcha. Sous sa peau, les veines éclatèrent les unes à la suite des autres et sa chair tourmenté se retourna sur elle-même. Dans un dernier sursaut, l’homme vomit ses tripes ensanglantées avant de s’écrouler contre la jeune fille.

Gabrielle tremblait, son esprit demeurait pétrifié devant ce spectacle. En un instant, le cadavre qui l’écrasait fut propulsé sur le côté. Devant elle, non loin, se tenait une silhouette familière. Sa mère, Cassandra, était là, les yeux ensanglantés et le regard encore empli d’une rage bouillonnante. Son souffle était lourd et intense, ses pieds trempés de boue et ses bras couverts d’écorchures vives.

Elle s’avança d’un pas lent vers sa fille et une fois arrivé à son niveau, se baissa et enleva délicatement son haillon.

“Gabrielle, jeje suis tellement désolée que tu aies eu à me voir comme çaPlus jamais je ne laisserais quelqu’un t’amener loin de moi.”

– Maman… Tu… Tu l’as tué !?

L’enfant, encore terrorisé, regarda sa mère sans n’oser faire le moindre geste.

– Il s’est condamné lui-même. Je ne faisais que te protéger.

– Mais… Tu m’avais dit qu’on avait pas le droit de…

Cassandra enlaça sa fille dans ses bras en rétorquant.

– N’y pense plus mon cœur… L’important est que tu ailles bien. Allez, rentrons.

Gabrielle fit échapper un profond soupire et baissa les yeux.

– D’accord

Tandis qu’elle se relevait, et se faisait porter par sa mère en direction des bois, ses paupières se refermèrent et son esprit s’envola. Au fond d’une tente percée par le clair de lune, recroquevillée contre la terre, elle se réveilla.

Les joues encore humides, elle se leva et sortie à l’extérieur. Dans le camp de la Chasse établie au cœur de la cour, il n’y avait plus aucune âme éveillée. Seule la légère brise nocturne et glaciale dont elle étant tant accoutumée était là pour l’accueillir.

En marchant en direction des remparts, elle vit entre quelques chariots la lueur étincelante d’un petit feu éloigné du reste. En s’en rapprochant, elle vit Aria, assis aux côtés des flammes, le regard vide.

Sans dire un mot, elle alla s’y installer et profita de la chaleur du feu. Après de longues secondes à contempler le brasier d’un air inexpressif, l’arbalétrieuse soupira :

Toi non plus tu ne trouves pas le sommeil ? Laisse-moi deviner, tu as fait un mauvais rêve ?

Oui, enfin, ce n’était pas vraiment un rêve. Au vu de la mine que tu fais, ça doit être pareil pour toi.

Aria souffla nerveusement du nez.

Ça se voit tant que ça ? J’ai juste besoin de me réchauffer un peu. Il fait si froid dans ces tentes.

Dit, Aria, je suis désolé si ça paraît étrange. Mais, il t’est déjà arrivé de… enfin, d’avoir à tuer des gens ?

Comme toute guerrière en ce monde, pourquoi ?

Alors il faut tuer pour devenir un guerrier ? C’est ça ?

Non, non, c’est juste quelque chose auquel on ne peut pas échapper. Peu importe la cause, la bannière ou l’ennemi. On finit toujours par y être obligé, ne serrait-ce que pour survivre. C’est comme ça que la vie est, ici comme ailleurs. Et toi, tu as déjà ôté la vie de quelqu’un ?

Jamais… J’en ai vu mourir, depuis toute petite, mais… je ne sais pas si j’en serais capable un jour.

Si tu continues sur la voie de la Chasse, tu finiras forcément par devoir faire ce choix : toi ou la personne en face. Je sais qu’il est dur, la première fois est terrifiante. Mais tu en as vus bien d’autre, je ne doute pas que tu sauras t’en sortir quoi qu’il arrive. Tu as survécu à la Terre des Géants tout de même.

Pas vraiment, enfin, ce n’est pas l’impression que j’en aie eu. Tellement de gens ont donné leur vie pour que je survive là-bas… Toutes les personnes que j’ai jamais aimés enfaîte. Il ne reste personne.

Sur ces mots, Aria posa sa main sur le genou de Gabrielle et la regarda avec un léger sourire compatissant.

Moi je t’aime bien tu sais, et je suis là. Tu n’es plus dans cet enfer, c’est fini tout ça. Moi, ça me fait du bien que tu sois là, de plus être la seule femme ici.

Merci… Ça me fait du bien de savoir que je peux compter sur toi pour couvrir mes arrières.

Et moi de pas avoir à me frotter aux goules de trop près quand tu es là !

Gabrielle pouffa d’un air timide avant de lever les yeux aux ciels pour contempler les étoiles.

Quelques heures plus tard, la Chasse, accompagnée du prince Geoffroy, se rendit devant un atelier marchant à l’allure imposante et à l’enseigne décrépie Dès leur arrivée, un homme sorti du bâtiment et les accueillis en s’inclinant avec respect.

Bienvenue à la Chasse dans mon humble établissement. Je suis André Grild, j’ai été prévenu par notre Baron de votre arrivée. Veillez entrez, nous parlerons dans mon bureau.

D’accord… Gabrielle, Joacquim et le prince vous venez avec moi. Aria et Vaïque vous restez dehors et vous vous assurez qu’on ne soit pas dérangé.

Une fois à l’intérieur, le marchant n’attendit pas une seconde avant de commencer son récit.

Je vais être directe, je n’ai pas vu la bête de près directement. Tout s’est passé il y a cinq jours. Voyez-vous, je venais de la route de Port-neuf et à quelques lieux seulement de la ville, j’ai vu cette silhouette gigantesque apparaître dans le ciel. Sans crier gare, mes chevaux se sont affolés et j’ai perdu complètement le contrôle de ma charrette, me faisant perdre les reines et tombé au sol. Il m’a fallu de nombreuses minutes pour la retrouvée, avant de n’entendre les hennissements de mes bêtes. Quand je suis arrivé, il ne restait plus rien d’elles ni des marchandises, si ce n’est des traces de sangs et des morceaux de chariots explosés.

Et donc, le griffon a tout pris selon vous ? Demanda le paladin.

Je n’en sais rien messire, mais j’ai bien vu sa silhouette entre la cime des arbres. Le monstre portait un cheval entier entre ses griffes !

À propos de ça, repris Joacquim, aviez-vous remarqué des signes sur le Griffon ? Des cornes, des ailes particulièrement larges ?

Je… je ne sais point.

De grâce, essayez de vous rappeler au mieux. Peu d’espèces sont enclines a ramené une proie aussi lourde qu’un cheval, la plupart en seraient même presque incapable. Il est primordial que nous arrivions à l’identifier le plus tôt possible pour le traquer efficacement.

En entendant ces mots, le marchand déglutit et posa ses mains sur son bureau.

Hm, c’est-à-dire, oui ! Oui, je pense avoir vus des cornes sur sa tête ! Larges et courbées !

Dites-moi, s’exclama Geoffroy, avez-vous la bête partir de vos yeux ?

C’est exact !

Elle fuyait donc, pour ramener sa prise à son nid.

C’est ce que je suppose, je ne sais plus dans quelle direction, j’étais perdue, mais elle partait loin.

Donc, elle était de dos.

Eu… Oui.

Et vous avez vu ses cornes ?

André commença à trembler légèrement tandis qu’Ikaar poussa un profond soupir.

Oui c’est ce que je vous aie dit, je ne suis sûre de rien ! Je n’ai pas pu avoir une bonne vue de ce Griffon.

Messire Ikaar, je crois que cet homme vous ment.

Quoi !? Mais qui êtes-vous pour lancer de tels accusations ? Jamais je ne me permettrais de…

Je me présente, Prince Geoffroy du Royaume éternel d’Azur, vingt-huitième descendant de la lignée divine des rois fondateurs.

Q… Vous êtes ?… Pardonnez-moi votre altesse ! Je ne souhaitais en aucun cas vous offenser !

J’en ai vu assez, s’exclama le paladin d’un ton grave, on va le faire parler ! Gabrielle, cogne-le.

La jeune femme, qui était jusqu’à présent accoudée contre la porte, releva la tête et demanda :

Eu… Quoi ? Comment ça ?

Tu m’as attendu. Je t’ai pas fait venir ici pour me servir de décoration. Il faut t’initier un peu. Allez attrape lui le col et met lui en une !

Non, je vous en prie, soyez raisonnable ! Tout est vrai ! Nul besoin d’en arriver à de tels extrêmes !

Gabrielle s’avança en direction d’André, qui recula jusqu’au mur et essaya de se protéger avec ses bras. Elle finit par l’attraper et serra fermement sa tunique. Elle mordit sa lèvre inférieure et, d’une main tremblante, elle le gifla.

Tu te fous de moi Gabrielle ! Frappe le plus fort, ne retient pas tes coups sous paratexte qu’il est faible. Cet homme nous cache des choses importantes, il met en pérille la chasse et par la même, la vie de nombreuse personnes.

Arrêtez, non, de grâce !

Cette fois-ci, Gabrielle ferma son poing et se prépara à frapper.

Allez, vas-y !

La guerrière assena un puissant coup dans le ventre du marchant, qui eu le souffle coupé net et commença à vaciller. Geoffroy fini par se rapprocher en s’exclamant :

Arrêtez ! Les coups sont peut-être efficaces, mais je connais une meilleure méthode.

Nous sommes tout ouï, répondit le paladin.

Sur ces mots, le prince pris en main la bougie allumée sur le bureau et fit signe à Gabrielle de pencher le marchand en avant.

La cire brûlante, elle peut être douloureuse pour la peau mais peu dangereuse, à moins qu’elle ne soit appliquée à des endroits sensibles. Comme l’intérieur des oreilles par exemple, ou les yeux. C’est une vielle méthode qui as su être décisive lors des guerres divines.

Ikaar eu un léger sourire en coin en entendant ces mots.

Vous m’intéressez beaucoup votre altesse. Il est vrai que cela fait une éternité que j’ai pas employé ces moyens-là.

Me permettriez-vous de procéder messire Ikaar ?

Bien sûr ! C’est une excellente initiative, faites donc à votre guise !

Attendez, reprit Gabrielle, on va vraiment le faire ? Je… je ne pense pas qu’il nous mente.

Laisse faire et prend en de la graine, lui rétorqua le Paladin.

Le prince inclina la tête d’André et approcha la bougie.

Non, non, ne faites pas ça ! Je vous ai tout dit ! Tout !

Sans hésiter, il versa la cire dans l’oreille de sa victime. Le marchand hurla de douleur et se débâta si fort qu’il faillit se défaire de l’emprise de Gabrielle.

Je t’en prie, dit leur un truc… Murmura la chasseresse.

Le… le griffon… je ne l’ai jamais vu !

Ah, enfin ! Nous vous écoutons messire Grild.

Je suis revenu les mains vides de l’Est, je n’avais pas le choix. Je devais protéger mon héritage ! Sans les dédommagements donnés pour l’incident j’aurais simplement mis la clé sous la porte ! C’est toute la vérité je vous le jure ! Je ne sais rien de ce maudit Griffon, ni de ses cornes ni de ses ailes, rien !

Voilà qui ne nous avance pas à grande chose, soupira Joacquim.

Sans prévenir, Vaïque ouvra la porte du bureau et entra dans la pièce en criant :

Le Griffon attaque la citée ! On doit bouger de là !

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