Partie 1 : Terres Brûlées Chapitre 2 bis : Cette terre où je suis née

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Depuis que je suis enfant, rien ne me fait peur, et c’est encore le cas aujourd’hui. La vie m’a privée du droit de parler et pourtant je n’éprouve aucun manque. Avec ma famille, nous avons établi un mode de communication qui rend notre quotidien plus facile. Je vais bientôt fêter mes vingt ans et rien ne me semble plus beau.

Nous vivons sur cette terre brûlée par des lunes que nous ne pouvons plus regarder au risque de voir nos rétines abîmées à jamais. Elle est balayée par des vents qui ne laissent que peu de place à la végétation. Tout ce qui nous entoure est fait de poussière. L’air que nous respirons agresse nos poumons. Mais nous nous sommes adaptés, nos corps ont évolué pour se protéger de cet oxygène vicié qui nous consumait de l’intérieur.

Nous habitons dans une maison à l’écart de la cité. Mon père ramasse la limaille de fer enfouie sous le sable, muni d’un simple disque magnétique. Il marche des heures et des heures sans jamais se plaindre, remplissant inlassablement sa petite charrette, tirée par un chameau. Et après une journée de dur labeur, il rentre, un sourire aux lèvres, satisfait de pouvoir apporter sa modeste contribution à notre société toujours plus avide de cette poudre précieuse.

Ce soir, l’ambiance est étrange. Papa est assis en face de moi et évite mon regard. Pourquoi ce silence si pesant m’interpelle-t-il ? Mes frères et sœurs ne sont pas là, pourtant je fête mes vingt ans, pourquoi leur absence me pèse-t-elle ? Maman à l’écart, essuie une larme, elle me tend mon assiette, qu'elle échappe et qu'elle s’empresse de nettoyer, pourquoi cette nervosité me chagrine-t-elle ? Un curieux pressentiment m’envahit, je ne peux expliquer ce que je ressens à cet instant. Qui va commencer par oser parler en premier ?

Le repas se poursuit dans le silence, des voix résonnent en moi comme si je pouvais entendre leurs cris. Ils fuient mon regard, mon corps frissonne. Pourquoi sont-ils si différents ? Je ne peux plus continuer, rester là, muette. Alors je me lance, et mes doigts commencent à pianoter le code en morse que nous utilisons. Mes questions restent sans réponse, une fois de plus, il me semblent les entendre parler entre eux sans émettre de son. Suis-je devenue sourde ? Non, la bouilloire siffle dans la cheminée et le son qu’elle émet me casse les oreilles.

Je me lève pour la saisir, et servir un thé aux feuilles de cactus desséchées. L’élixir est apprécié dans nos contrées, pour ses bienfaits et son goût agréable en bouche. Je prends la tasse dans mes mains, à son contact je me sens tellement bien, comme si la chaleur m'apaisait. Ici, le jour, nous frôlons les quarante degrés et la nuit, hélas, c'est pareil. Mes doigts à nouveau dansent sur la table avec frénésie. Je n’en peux plus, dites quelque chose.

Papa se lève et sort, suivi de maman. Comment peuvent-ils me laisser seule sans réponse ? Que me cachent-ils ? À mon tour, je sors de table pour les rejoindre dehors, pour les questionner, je suis triste, je ne comprends rien à ce qui se passe. J’ouvre la porte, quel est ce cauchemar ? Des gardes sont debout devant moi, maman pleure dans les bras de papa. Papa semble furieux et ne pas pouvoir faire quoi que ce soit, résigné.

Le grand maître de nos terres brûlées s’avance, il est si imposant que personne n’ose le défier. Il attrape ma main, à son contact mon sang se glace. De nouveau, des mots et des paroles incompréhensibles se bousculent dans ma tête, sans vraiment les comprendre. Et moi je ne peux rien dire, et ce qui me semblait depuis toujours comme une simple formalité à ce moment devient un fardeau lourd à porter. Je voudrais pouvoir m’exprimer à voix haute et crier. Maman s’approche enfin de moi et me serre fort dans ses bras. Ce geste affectueux et plein de tendresse sonne en moi comme un adieu. Papa est toujours là, fier et droit, à son tour, il vient déposer un baiser sur ma joue et me glisse à l’oreille : FUIS.

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