Carpe Diem, mon amour !
Ah mes amis, quelle histoire je m'en vais vous conter là ! Vous n'allez pas en croire vos oreilles tant le destin s'amuse parfois à titiller nos zygomatiques. Figurez-vous qu'en ce soir d'octobre parisien, plus triste qu'un cimetière sous la pluie, notre chère Sélène s'ennuyait ferme accoudée au comptoir d'un troquet miteux. Faut dire qu'à force de voir défiler les siècles comme vous avalez vos petits déjeuners, il y a de quoi attraper le bourdon. Même ses souvenirs, pourtant riches à faire pâlir d'envie les plus grands de ce monde, commençaient sérieusement à sentir le rance.
C'est alors qu'un ouragan nommé Raphaël fit irruption dans sa vie. Ah le bougre ! Un jeune coq à peine sorti de l'œuf, mais avec un sacré culot et un sourire à faire fondre la banquise. Le genre de minois à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, tout en sachant pertinemment qu'il est en train de nous la faire à l'envers.
Tiens! Je vais vous la raconter cette première rencontre - version longue.
Sélène, belle plante au regard blasé, éclusait son énième verre au comptoir d'un troquet parisien, lasse de son existence qui s'étirait depuis des lustres. Quand soudain, un jeune gars au sourire frimeur vint s'accouder à ses côtés, une lueur de défi dans les mirettes.
« Alors ma jolie, on noie son chagrin dans la bibine ? Si tu veux mon avis, y'a mieux à faire de ses soirées ! », qu'il lui balance, sûr de son effet.
Sélène tique, peu habituée à tant de familiarité. Elle reluque le jeunot de haut en bas, notant au passage son air canaille et son p'tit côté retro qui lui plaît bien.
« Dis donc, Bel-Ami, tu t'prends pour qui à m'accoster comme ça ? J'pourrais être ta mère, voire plus si affinités ! », qu'elle rétorque, piquée au vif.
Mais Raphaël, pas déconcerté pour deux sous, s'esclaffe de plus belle :
« Ma mère ? Laisse-moi rire ! T'as plutôt un p'tit air d'Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany's. Un brin mélancolique, mais diablement charmante. »
Et voilà Sélène qui s'empourpre malgré elle, peu accoutumée aux compliments. Faut dire que les prétendants, elle les compte plus sur les doigts d'une main arthritique ces derniers temps. Alors, ce p'tit jeune qui la branche au culot, ça la titille dans les entrailles.
« Audrey Hepburn, hein ? T'es gentil, mais j'crois que Holly Golightly à côté, c'est une gamine ! », qu'elle marmonne , troublée par ce brin de galanterie.
« Allons, allons, ne sois pas modeste, belle mystérieuse. Je suis sûr que t'en as des vertes et des pas mûres à raconter. Ça te dirait de jouer les conteuses d'un soir ? », insiste Raphaël, bien décidé à percer la carapace de sa Dulcinée.
Et là, Sélène a comme un moment d'absence. Un flottement imperceptible mais qui n'échappe pas à l'œil aguerri de notre soupirant. Comme si elle se perdait un instant dans les brumes de sa mémoire millénaire. Avant de se secouer d'un petit rire sarcastique :
« Des histoires ? Mon chou, si je te racontais le quart de ce que j'ai vécu, tu t'enfuirais en courant ! »
« Je demande à voir ! J'ai le cuir solide, tu sais. Et puis quoi, qu'est-ce que je risque à écouter les récits d'une belle inconnue ? »
L'immortelle jauge un instant ce petit effronté. Et puis, pourquoi pas ? Ça lui ferait un bien fou de vider un peu son sac. De partager enfin ce fardeau d'immortalité qui lui bousille les épaules.
« Ok, Roméo. Mais je te préviens : tiens-toi prêt à en entendre de belles. Des trucs à faire pâlir tes cheveux de peur ! », qu'elle abdique dans un soupir mi-figue mi-raisin.
« Vas-y, ma belle, accouche. Je suis tout ouïe. Et j'ai la trouille chevillée au corps ! », fanfaronne Raphaël en se penchant vers elle, les mirettes brillantes d'excitation.
Alors Sélène se lance. Parce que zut à la fin, ça fait trop longtemps qu'elle rumine ses vieux souvenirs dans son coin, sans personne à qui les confier.
« Très bien. Alors écoute-moi bien, joli cœur. Je suis née il y a très, très longtemps. Tellement longtemps que j'ai arrêté de compter les bougies sur mon gâteau. Disons que j'ai connu Mathusalem...et que je lui ai donné des cours de maintien ! »
Raphaël ouvre des yeux ronds comme des soucoupes. Il a bien noté l'allusion piquante à la Bible. Pas courant pour une pépée à la plastique avantageuse !
« Mazette ! T'es sérieuse, là ? T'es en train de me dire que t'as connu les dinosaures ou je rêve ? »
Sélène part d'un grand rire, un brin rocailleux, comme un volcan qui se réveille. Ça fait un bail qu'on ne l'avait pas fait marrer comme ça, le gamin !
« Les dinosaures, non. Quoique j'ai bien dû croiser deux ou trois fossiles au fil des siècles. Des mecs tellement préhistoriques dans leur approche que je me demande s'ils ne chassaient pas le mammouth à leurs heures perdues ! »
« Sérieux ? Eh ben, ça c'est de la comparaison ! T'es en train de me dire que t'es une espèce de...d'immortelle, c'est ça ? Et que t'as traversé les époques comme on enfile des perles ? »
Sélène blêmit légèrement. Aïe. Elle a dit ça comme ça, pour épater le garçon, pas pour qu'il découvre son secret en deux coups de cuiller à pot ! La voilà bien, tiens. Que répondre maintenant ?
« Euh...c'est-à-dire que...c'est un peu plus compliqué que ça. Disons que j'ai une horloge biologique qui fonctionne au ralenti. Très, très au ralenti. Genre, une journée pour moi, c'est un siècle pour le commun des mortels ! »
Ouf, pas trop mal rattrapé. Même si techniquement, elle est à côté de la plaque. Mais bon, inutile d'entrer dans les détails. Surtout face à un jeunot de 25 piges qui la regarde comme une attraction de foire !
Raphaël, lui, en reste comme deux ronds de flan. Une gonzesse canon, dotée d'une espérance de vie à faire pâlir Dracula de jalousie ? Il achète direct ! Son petit côté baroudeur en quête de frissons s'en trouve tout émoustillé.
« Attends, attends...T'es en train de me dire que tu traverses le temps comme moi je sèche un cours de philo ? Mais c'est dingue, ça ! J'ai jamais rencontré de créature surnaturelle, moi ! », qu'il s'exclame, les mirettes écarquillées d'émerveillement.
Et voilà Sélène qui rosit de plaisir, flattée par la fascination non dissimulée de son galant. Pour une fois qu'on s'extasie sur sa différence au lieu de s'enfuir à toutes jambes !
« Créature surnaturelle, tout de suite les grands mots ! Je suis juste...disons que je suis unique en mon genre. Mais je t'en prie, ne t'avise pas de crier ça sur tous les toits ! J'ai une réputation à tenir, moi, Monsieur ! », qu'elle bougonne, faussement outrée.
« Motus et bouche cousue, mon cœur. Je serai muet comme une carpe. Ou plutôt comme une truite, vu que je compte bien te tirer les vers du nez ! Fais-moi rêver, raconte-moi tes mille vies. Je veux tout savoir ! »
Sélène lève un sourcil mi-amusé, mi-agacé. En voilà un qui ne doute de rien ! Mais qu'importe, après tout. Pour une fois que quelqu'un insiste pour en apprendre davantage sur elle, au lieu de la traiter en vieille chose un peu moisie...
« Très bien, Casanova. Accroche-toi bien à ton slip, parce que ça va décoiffer ! Par où commencer...Tiens, je pourrais te raconter la fois où j'ai sauvé la mise à ce cher Léonard de Vinci. Le pauvre bougre avait un jour de retard pour livrer La Joconde et il était dans tous ses états. Moi, d'un petit coup de pinceau magique, je lui ai redonné son sourire à cette brave dame ! Tu parles qu'il m'en a été reconnaissant, le lascar. M'a seriné des "Grazie mille, Bella Donna !" pendant des semaines. À tel point que j'ai bien cru qu'il allait me demander en mariage. Te rends compte un peu ? Moi, Madame de Vinci ! »
Elle ponctue son anecdote d'un clin d'œil mutin. Raphaël est suspendu à ses lèvres, fasciné par le piquant de ces confidences.
« Attends...T'es quand même pas en train de me dire que t'as personnellement connu Léonard de Vinci ? LE Léonard ? Celui qui a peint des trucs de fou et inventé des machins révolutionnaires ? »
« Et comment, mon mignon ! Une bien belle époque, d'ailleurs, la Renaissance. Tous ces génies qui éclosaient comme des pâquerettes au printemps, cette soif de connaissance et de beauté... Un vrai régal pour une éternelle assoiffée de nouveautés comme moi ! »
Raphaël en reste bouche bée, partagé entre admiration et scepticisme. Cette nana, c'est quand même un sacré numéro ! À l'entendre, elle a côtoyé les plus grands noms de l'Histoire comme lui sa bande de potes. C'est à vous donner le tournis !
Sélène, elle, se laisse porter par le flot des souvenirs, savourant l'effet produit sur son auditoire captivé. Pour une fois qu'elle peut épater la galerie avec son vécu hors norme ! D'habitude, elle la joue profil bas, de peur de passer pour une illuminée. Mais là, avec ce p'tit jeune avide de sensations fortes, elle sent qu'elle peut se lâcher un peu.
« Et tiens, tant qu'on y est, je peux aussi te parler de mon aventure avec ce bon vieux Hemingway. Sacré loustic, celui-là ! Un soir de beuverie à Cuba, il a absolument tenu à ce que je lui serve de muse pour écrire "Le Vieil Homme et la Mer". Tu parles d'une idée à la noix ! Moi, tout ce que je voulais, c'était siffler des mojitos en le regardant pêcher des marlins. Mais non, il a fallu qu'il me casse les pieds avec sa prose. Résultat, j'ai dû poireauter des heures sur son rafiot pourri, à l'écouter me bassiner avec ses théories fumeuses sur le sens de la vie. J'te jure, y'a des claques qui se perdent ! »
Cette fois, Raphaël manque de tomber de sa chaise. Hemingway, rien que ça ? Cette gonzesse a fréquenté Hemingway en chair et en os ? Le père de la littérature américaine himself ? Là, il est définitivement conquis. Cette fille, c'est une mine d'or à souvenirs !
« Nom d'un chien, j'y crois pas ! T'as vraiment connu Hemingway ? LE Hemingway ? L'auteur culte de "Paris est une fête" ? L'idole des écrivains en herbe et des poivrots distingués ? »
« Et comment, Roméo ! Un sacré zigoto, je te dis. Toujours à chercher la bagarre et à rouler des mécaniques. Mais bon, fallait bien que quelqu'un supporte ses caprices de génie torturé. Et comme j'étais dans le coin à ce moment-là... »
Et voilà Sélène lancée dans le récit de ses folles équipées avec Monsieur Gueule de Bois. Cuba, l'alcool, la chasse au fauve, les délires mystiques sur un bout de caillou paumé... Elle en a, des anecdotes savoureuses à partager ! Et Raphaël boit ses paroles, fasciné par cette piquante étrangeté venue d'une autre époque.
D'ailleurs, à l'entendre déblatérer avec verve sur ses illustres fréquentations, on jurerait entendre une Miss Marple sous amphétamines. Son bagout d'un autre âge, son franc-parler suranné...Y'a comme un décalage savoureux avec sa plastique de jeune premier. Une curiosité vintage, en somme. Et ça, ça plaît bien à notre Raphaël en mal de sensations fortes !
Il faut dire qu'en face, le garçon n'est pas en reste. Ses commentaires potaches, son humour décapant...le parfait contrepoint bille en tête à la sagesse millénaire de sa compagne. Un vrai numéro de stand-up à lui tout seul ! Si bien qu'au fil des confidences éméchées, une complicité malicieuse s'installe entre eux.
Comme un pied de nez à la bienséance. Un clin d'œil effronté à Dame Nature qui a eu le bon goût de réunir ces deux-là. L'Ancienne et le Moderne, le Classique et l'Iconoclaste. Un duo aussi improbable qu'irrésistible !
« Et sinon, à part jouer les G.O. pour célébrités en goguette, tu fais quoi de ton éternité, ma jolie ? », s'enquiert Raphaël.
« Oh, tu sais, un peu de ci, un peu de ça...Je papillonne, je butine la vie en évitant de me faire trop remarquer. Pas facile de passer inaperçue quand on a mon C.V. ! »
« Attends...T'es en train de me dire que t'as jamais eu de béguins pour l'un de tes illustres potes ? Même pas un petit faible pour ce bon vieux Léonard et sa barbe fleurie ? »
Sélène s'étouffe de rire dans son cocktail. Ce mec est pas croyable ! Toujours à chercher le détail croustillant, la petite bête qui fait mouche. Elle qui croyait avoir tout entendu !
« Léonard ? Tu rigoles ! C'était un vrai misogyne, ce lascar. Toujours à regarder les femmes de haut, à cause de ses théories à la noix sur "L'Homme de Vitruve". Alors les béguins, tu penses...Très peu pour moi ! »
« Ah ouais ? Ben moi, je parie qu'il en pinçait quand même pour toi, le bougre. Avec ton sourire enjôleur et tes courbes affriolantes... Sûr qu'il a dû te croquer en douce dans un coin de son atelier ! », insiste Raphaël avec un clin d'œil grivois.
« Mais qu'est-ce que tu vas chercher là, petit impertinent ? Je suis une dame, moi, Monsieur ! Pas une de ces donzelles qui se pâment devant le premier génie venu ! », s'offusque Sélène, les joues en feu.
« À d'autres, Mata Hari ! Je suis sûr que t'en as fait tourner, des têtes, avec ton bagout et ton petit air mystérieux. Allez, avoue : t'as bien dû en croquer quelques-uns, des mecs célèbres, non ? Ne serait-ce que pour pimenter ton éternité... »
La belle immortelle prend un air faussement outré, dissimulant mal son trouble. Ce petit effronté a touché juste. Bien sûr qu'elle en a fait tourner, des caboches, au fil des siècles. Comment résister à l'appel de la chair quand on a le temps pour seul amant ?
« Bon, ok, j'avoue : j'ai peut-être cédé une ou deux fois à la tentation. Mais que veux-tu, quand tu traînes ta vieille carcasse depuis Mathusalem, faut bien trouver de quoi s'occuper ! », admet-elle de mauvaise grâce.
« Ah ! Je le savais ! Allez, balance les noms, ma belle. Promis, je le garde pour moi. De toute façon, qui me croirait ? »
Sélène soupire, vaincue. Après tout, pourquoi ne pas jouer cartes sur table, pour une fois ? Ce gamin a l'air réglo. Et tellement avide de ses confidences croustillantes...
« Très bien, Roméo. Mais ça reste entre nous, hein ? Pas un mot à la presse people ou je t'étripe avec mes dents ! », qu'elle menace en pointant sur lui un index menaçant.
« Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer ! Allez, accouche, ma vieille. Je trépigne, là ! »
« Bon, voyons voir...Il y a bien eu cette petite aventure avec Lord Byron. Un sacré coquin, celui-là ! Toujours à me déclamer des vers enflammés en me reluquant comme un morceau de viande. Mais j'avoue, il embrassait comme un dieu, le bougre. M'a fait voir des étoiles, si tu vois ce que je veux dire... »
Raphaël manque de s'étrangler avec son cocktail. Lord Byron, sérieux ? LE tombeur de ces dames, l'étalon des gentes damoiselles ? Ah, la vache !
« Purée, la chance ! Et sinon, à part ce vieux coureur de jupons, t'as connu d'autres pointures ? Des mecs plus...glamour ? »
Sélène prend un air pensif, farfouillant dans sa mémoire sans fond. Puis ses yeux s'illuminent d'une lueur coquine.
« Tiens, en parlant de glamour...Je me souviens d'un flirt assez torride avec ce cher Gatsby, dans les années 20. Un vrai gentleman, celui-là. Classe et paillettes de la tête aux pieds. M'a fait danser le charleston jusqu'au bout de la nuit...si tu vois ce que je veux dire ! »
Cette fois, Raphaël reste bouche bée, les mirettes écarquillées. Gatsby ? LE Gatsby ? Celui de Fitzgerald, des fêtes grandioses et des amours impossibles ? Nom d'un chien, mais c'est qui cette fille ?
« Attends, attends...T'es quand même pas en train de me dire que t'as personnellement connu Jay Gatsby ? LE héros tragique de la littérature américaine ? Celui qui a inspiré Leonardo DiCaprio dans le film ? »
« Si, si, en chair et en os ! Enfin, façon de parler, hein. Parce que bon, c'était quand même un sacré fantôme, ce Gatsby. Toujours à courir après sa dulcinée, là...C'était quoi son nom déjà ? Daisy, voilà ! Une pimbêche blonde sans cervelle. Je te jure, tous les mêmes, ces mecs ! »
Et voilà Sélène repartie dans ses élucubrations nostalgiques, évoquant avec gourmandise le charme suranné des Années Folles. Les paillettes, le gin, les voitures rutilantes...Un monde merveilleux de strass et de contrastes dont elle conte les délices avec un plaisir non dissimulé.
Raphaël, lui, est complètement absorbé par ses confidences acidulées. Cette nana, c'est une bombe à retardement, un concentré d'anecdotes invraisemblables et pourtant si vivaces ! Chacun de ses mots le transporte dans un ailleurs mythique, le propulse au cœur de l'Histoire avec un grand H.
Faut dire qu'elle a une sacrée tendance à romancer son passé, la miss. À l'entendre, sa vie est un véritable roman-fleuve truffé de célébrités en goguette et d'aventures rocambolesques. Pas étonnant qu'il en perde son latin, le gamin !
Mais qu'importe, après tout. L'essentiel, c'est qu'elle lui en mette plein les mirettes. C'est tellement plus excitant que son petit train-train d'étudiant !
Alors il en redemande, le bougre.
Et mine de rien, à force de confidences poivrées, le petit Raphaël commence à s'emballer sérieux pour sa carrosserie. Et pour cause : la belle déploie des trésors d'expérience pour le garder sous son charme.
Parce qu'elle le sent bien, Sélène, qu'elle est en train de s'attacher à ce moucheron insolent. Trop, sans doute. Mais comment résister à tant de fraîcheur, tant d'appétit de vivre ?
Alors elle s'abandonne, pour une fois. Laisse les vannes grandes ouvertes, déverse son trop-plein d'existence dans les oreilles avides de son soupirant. Tant pis pour les conséquences, carpe diem !
Et Raphaël boit ses paroles, fasciné par cette créature hors du temps qui semble pourtant si vivante, si provocante dans sa robe d'un autre âge. Une pin-up de la Belle Époque, en somme.
Subjugué, il se rapproche imperceptiblement, se laisse enivrer par son parfum suave et désuet. Un effluve capiteux, mélange d'ambre et de poudre de riz qui lui fait tourner la tête. Gare à toi, mon bonhomme, tu t'aventures en terrain glissant !
Mais trop tard, le mal est fait. A force de frôler sa peau diaphane, d'effleurer ses boucles mordorées, le voilà pris dans ses filets. M'est avis que Cupidon a encore frappé !
Tel est pris qui croyait prendre, comme dirait l'autre. Car Sélène n'est pas née de la dernière pluie (et pour cause!). À force de jouer les ingénues, elle a fini par se piquer à son propre jeu. Et la voilà toute chose, à rougir comme une collégienne sous les compliments énamourés de son jouvenceau.
Un vrai numéro de charme, ce Raphaël. Pas étonnant qu'elle en perde ses moyens, la madone ! Surtout lorsqu'il lui susurre des mots doux au creux de l'oreille, sa jeune main brûlante posée au creux de ses reins.
« Tu sais que t'es une sacrée dame, toi ? Une vraie Mona Lisa des temps modernes... », qu'il lui glisse, le souffle court.
Sélène frisonne malgré elle, électrisée par ce timbre rauque et ce regard fiévreux qui la déshabille. Et voilà qu'il se penche vers elle, si près qu'elle peut presque compter ses taches de rousseur. Mon Dieu, ce que ses lèvres ont l'air douces...
« Si Vinci avait eu la chance de te croquer, sûr qu'il aurait flanqué sa Joconde aux oubliettes ! », continue-t-il en effleurant sa pommette d'une caresse.
La belle immortelle ferme brièvement les yeux, savourant ce contact délicieux sur sa peau. Avant de les rouvrir, noyés de désir. Et zut, elle n'est qu'une femme, après tout ! Même dopée aux hormones de jouvence...
« Fais gaffe, Roméo...Je pourrais te prendre au mot et t'embarquer faire un tour du côté de la Renaissance. Juste pour voir la tête du maestro devant une beauté du XXIe siècle ! », qu'elle réplique, mutine.
« Marché conclu, ma belle. Mais d'abord, que dirais-tu d'un petit voyage en ma compagnie ? Une virée en amoureux, rien que toi et moi... »
Raphaël se fait plus pressant, glissant une main conquérante le long de sa cuisse gainée de soie. Sélène frémit de plus belle, écartelée entre la sagesse et l'abandon. Oh, et puis flûte ! Pour quoi se priverait-elle ? Elle a bien le droit de se laisser aller, pour une fois ! La vie est si courte...Enfin, pour les autres, en tout cas.
« Tu ne recules devant rien, hein, Don Juan ? T'as du culot de me proposer ça, à moi, la reine des cœurs solitaires ! », qu'elle soupire, déjà vaincue.
« Justement, ma jolie. Il est temps que quelqu'un te rappelle la saveur des amours terrestres...Et je me porte volontaire pour cette délicieuse mission ! »
Joignant le geste à la parole, il se penche pour effleurer ses lèvres des siennes, tout en douceur. Un baiser papillon qui fait pourtant l'effet d'un électrochoc à notre héroïne. Comme une décharge de vie pure dans ses veines fossilisées !
Alors elle bascule, ma foi. Se laisse emporter par l'étreinte impérieuse de ce jeune fou qui réveille des sens trop longtemps assoupis. Ses lèvres s'entrouvrent, implorent davantage de cette morsure exquise. Plus, encore...
« Cette fois, ma belle, je te kidnappe! Direction la chambre...J'ai très envie de te montrer à quel point la jeunesse peut être créative... », gronde-t-il contre sa bouche.
Pour toute réponse, Sélène noue ses bras autour de sa nuque et approfondit leur baiser. Elle a le cœur qui cogne, les jambes en coton. Un vertige délicieux la saisit, mélange d'excitation et de reconnaissance éperdue. Car elle le sent bien, qu'il lui offre là un cadeau sans prix. Une bouffée d'air frais et de désir incandescent, comme autant de piques à sa solitude millénaire.
Oui, cette nuit, elle ne sera plus seule. Grâce à ce merveilleux petit impertinent qui lui rappelle ce que vivre veut dire !
Alors elle se laisse entraîner, confiante et le sourire aux lèvres. Vers la chambre, vers ce lit qui sera le théâtre de leurs émois...Et pourquoi pas de leur amour naissant ?
Nul ne sait de quoi demain sera fait. Encore moins quand on a l'éternité devant soi ! Alors autant profiter de l'instant présent, nom d'un petit bonhomme ! Et croquer la vie à pleines dents, tant qu'il est encore temps...
Foi de Sélène, elle compte bien se rattraper cette nuit. Faire des folies de son corps. Étreindre, caresser, embrasser comme si sa vie en dépendait. Ce qui est sans doute le cas, d'ailleurs...Du moins, sa vie de femme amoureuse !
Car c'est bien connu : même les cœurs les plus secs finissent par s'embraser, pour peu qu'on y mette le feu. Et Raphaël a justement tout du bel incendiaire, avec ses mains baladeuses et ses baisers affolants...
À la guerre comme à la guerre, ma bonne dame ! Quand Cupidon vous tombe dessus, mieux vaut lui ouvrir la porte que de le fuir. Sous peine de passer à côté de l'essentiel, de ce frisson incomparable que seul l'amour véritable procure.
Et ça, Sélène l'a bien compris. Malgré sa longue expérience des choses de la vie...Ou peut-être grâce à elle, justement ! Alors, elle plonge...Sans se poser de questions. Sans chercher à freiner des quatre fers.
Pour la première fois depuis une éternité, elle lâche prise. Complètement, éperdument. À corps et à cris !
Et vous savez quoi, mes biquets ? Ça fait un bien fou ! Un bonheur indescriptible de se sentir vivante, désirée, aimée...Tout simplement femme, en somme.
Gageons que notre Raphaël saura la combler sur tous les plans, l'animal. Lui faire voir les mille et une nuits, version XXIe siècle !
Parce que l'amour, c'est un peu ça, au fond. Un feu d'artifice sous la couette. Un tourbillon d'émotions qui soulève et rend plus léger. Plus heureux aussi, accessoirement...
À condition d'y croire, bien sûr. D'oser se lancer dans le grand huit des sentiments, sans filet ni garde-fou.
Un sacré numéro d'équilibriste, en somme. Mais qui en vaut largement la peine...À en juger par les soupirs extatiques qui s'échappent de la chambre !
Allez, on les laisse à leurs affaires, ces deux-là. Non mais oh, un peu d'intimité que diable ! Nous n'allons pas jouer les voyeurs en plus...
Quoique...Non, non, je plaisante ! Rangez-moi ces faces de débauchés, bande de petits coquinous !
On arrête là les frais et on souhaite bonne route à nos amoureux. Une belle histoire qui commence pour ces deux âmes en quête d'absolu. Un chemin parsemé d'embûches et de délices, qui promet bien des rebondissements !
Car entre nous, j'ai comme dans l'idée que leur romance ne va pas être un long fleuve tranquille. Avec un électron libre comme Sélène et un jeune coq aussi impétueux que Raphaël, ça risque de swinguer sévère dans les chaumières !
Faut les voir nos deux tourtereaux improbables, en train de se chamailler comme des écoliers, ponctuant leurs joutes verbales de regards assassins et de sourires entendus. Je vous le dis, moi : y'a de l'amour dans l'air, et du lourd ! Enfin, pour peu qu'on soit adepte des étincelles et des noms d'oiseaux qui fusent.
Mais revenons à nos moutons. Que pensiez-vous qu'il advint de ce curieux attelage ? Eh bien figurez-vous que contre toute attente, Sélène et Raphaël sont devenus inséparables. Qui l'eût cru, hein ? L'immortelle imbue d'elle-même et le jeunot au sang chaud, follement épris l'un de l'autre ? On aura tout vu !
Et pourtant, c'était bel et bien de l'amour qui se tramait dans les rues de Paname, aussi improbable soit-il. Un amour taquin, insolent, pétri de chamailleries puériles et de fous-rires sonores. Le genre qui vous réveille sur le tard et qui scotche un sourire idiot sur votre bille du matin au soir.
Ainsi allaient les jours de nos improbables amants, comme autant de pieds de nez au destin et à la morale. Des balades complices le long de la Seine aux virées fantasques dans les catacombes oubliées de Sélène, ils s'amusaient comme des petits fous, portés par un amour qui ne cessait de les étonner. Et à défaut de se dire des mots tendres - très peu pour eux les mièvreries dégoulinantes -, ils prenaient un malin plaisir à s'asticoter, déguisant leurs sentiments sous une couche d'ironie kitch
Jusqu'au jour où, entre deux estafilades verbales, Raphaël lâcha le morceau :
« Dis-moi, l’ancêtre, ça te dirait de jouer les Bonnie and Clyde et de te faire la malle avec moi ? Histoire de fuir cette bonne vieille routine que tu traînes comme un boulet ? »
Pour toute réponse, Sélène lui octroya une œillade assassine suivie d'un sourire carnassier :
« Voyez-vous ça, le pirate au cœur d'artichaut joue les kidnappers d'immortelles ? Moi qui croyais que tu préférais jouer le rôle de la potiche rigolarde... »
Et Raphaël de rétorquer avec son bagout gouailleur :
« Rigole, vieille branche. En attendant, faudrait voir à pas trop traîner. Ton éternité, elle commence à sentir légèrement le renfermé ! »
S'en suivit une magistrale bataille de chatouilles et de projections de polochons qui, hélas, est impossible à retranscrire ici. Quoi ? Vous pensiez que nos deux affranchis allaient s'épancher en déclarations convenues ? Ah, on voit bien que vous n'avez rien suivi à cette histoire !
Toujours est-il que de fil en aiguille, c'est main dans la main qu'on les vit dévaler les escaliers, un sac plein à craquer sur l'épaule et des folies plein les globes oculaires. Avec pour seul mot d'ordre : croquer la vie à pleines dents et tant pis pour les convenances !
Et croyez-moi, mes petits chats, quand je vous dis que l'histoire ne fait que commencer ! Avec ces deux-là aux commandes, on peut s'attendre à un sacré remue-ménage. Des coups de sang épiques, des fou-rires tonitruants et, qui sait ? Peut-être bien une ode à l'amour inconditionnel en guise de bouquet final...
Mais chut ! J'en ai déjà trop dit ! Il est temps pour votre serviteur de se retirer sur la pointe des pieds pour laisser nos héros continuer leurs pérégrinations fantasques en toute intimité. Non mais oh, un peu de décence que diable ! Arrêtez de vouloir jouer les voyeurs !
Allez, je vous laisse rêvasser sur les mille et un rebondissements à venir. Mais n'oubliez pas : il faut toujours se méfier de l'eau qui dort et des éternelles jouvencelles. C'est votre humble narrateur qui vous le dit !
Trinquons à l'Amour. Celui avec un grand A.
Hommage à ce sentiment roi qui nous gouverne et nous esclavage.
Longue vie à l'amour fou ! Et que tous les Roméo et les Juliette de ce monde trouvent le courage de s'y abandonner sans réserve...
Alors aimez-vous, enivrez-vous ! Et croquez la vie comme Sélène et Raphaël : sans modération, avec l'ardeur des affamés !
Carpe Diem, mes coquins ! Et à la revoyure !
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