Épilogue : Écrit par Robert junior

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Tous les ans, depuis 1983, je venais passer a minima une semaine avec Robert, mon parrain. Il était passionnant. Je ne me lassais pas de l’écouter me parler de cette aventure spatiale française. Il fourmillait d’anecdotes. Au moins une fois durant mon séjour, nous allions faire une promenade en bateau. Nous ne pêchions pas vraiment, cette sortie en mer était pour lui un prétexte pour me montrer la beauté de ce qu’il appelait dorénavant « mon île ». J’appréciais tellement ces moments privilégiés avec lui.

Après le décès de Simone, son amour de toujours, tous ses proches ont aussi disparu petit à petit. Ainsi, il a perdu ses parents dans leur sommeil, ensemble, en 1984, à près de 90 ans. Son frère est mort en 1989, en partant en vacances sur l’autoroute A7, dans un carambolage qui a fait plusieurs victimes. Il ne portait pas sa ceinture de sécurité, ce qui était encore assez fréquent à l’époque. Jean-Paul, le frère de Simone, a succombé en 1992 à un infarctus foudroyant, en quelques secondes.

Mes parents ont péri tous les deux en 1995, à la suite d’un court-circuit électrique dans leur maison qui a brûlé très vite. Ils ne se sont rendu compte de rien, asphyxiés dans leur sommeil d’après les pompiers qui étaient sur place. Mon père était resté en contact avec Robert. Ils s’appelaient régulièrement et, jusqu’en 1994 je crois, tous les deux venaient tous les ans le voir à Ouessant. Lui n’avait plus quitté son île depuis les obsèques de Jean-Paul. Son absence lors des funérailles de mes parents avait été dure à supporter pour moi, mais j’avais fini par comprendre qu’il n’avait pas eu la force de s’y rendre. C’était devenu trop difficile pour lui. Il me l’avait avoué à demi-mot, au cours de mon séjour en 1997 la dernière fois que je l’ai vu en chair et en os.




Fin juillet 1998, j’avais essayé en vain de le contacter pour caler ma visite annuelle à Ouessant. En désespoir de cause, j’ai appelé ses voisins. Ils m’apprirent, encore bouleversés, que Robert avait disparu, et qu’on avait retrouvé son bateau vide, au large de l’île, quelques jours plus tôt. Ils avaient apparemment voulu me joindre, mais personne n’avait mes coordonnées en dehors de mon parrain. Toutes affaires cessantes, je me suis rendu sur place. Mon frère et moi étions dorénavant tout ce qui lui tenait lieu de famille. Les voisins, qui me connaissaient bien étant donné qu’il me voyaient ici tous les ans depuis plus de quinze ans, sont venus à ma rencontre. La mine grave, ils m’ont raconté comment s’étaient déroulés ces derniers jours :

Vitamine, la petite chienne qui la suivait comme son ombre et à laquelle il était terriblement attaché, était morte fin juin, après une vie exceptionnellement longue. À partir de ce moment-là, ils avaient eu l’impression que Robert s’était comme éteint. Il était allé enterrer son animal au fond de son jardin, sous un gros hortensia. Peu de temps après, il était parti en mer avec son bateau, non sans avoir distribué tous ses produits frais aux alentours. Le lendemain, ne le voyant pas revenir, ils s’étaient inquiétés et avaient prévenu la vedette de la SNSM[1] et l’ensemble des pêcheurs de l’île. Une fois l’embarcation retrouvée, il fut constaté que le canot de sauvetage n’avait pas été utilisé, ce qui rendait difficile toute projection sur ce qui avait pu se passer au large. Tout ce qu’on pouvait affirmer pour le moment, c’est que mon parrain était porté disparu.




Je leur ai emprunté la clé de la maison et, seul, j’y suis allé. Celle-ci avait effectivement été parfaitement rangée. Le frigidaire avait été vidé, nettoyé et débranché. Comme me l’avaient dit les voisins, il n’e subsistait plus aucune denrées périssable. Les lits avaient été défaits, et les draps lavés et pliés dans les armoires. Sur la table de la salle à manger, j’ai trouvé une pile de carnets ainsi que deux lettres. L’une était adressée au maire de Lampaul et l’autre à moi.

Aussitôt, je me suis rendu à la mairie pour remettre son courrier à l’élu, qui l’ouvrit devant moi, très ému. Robert, qui savait que l’édile qu’il connaissait bien, lorgnait sur sa maison depuis quelques années, me confiait mandat pour la lui vendre. Il faisait aussi don de sa lunette astronomique à la commune. Il léguait également tous ses livres à la bibliothèque municipale. Il faisait enfin cadeau spécifiquement au maire, l’un des membres les plus assidus de son club d’astronomie, la photographie encadrée du lever de Terre qui lui avait été offerte lors de son départ à la retraite.

En quittant Lampaul, je suis retourné dans la maison de mon parrain et j’ai ouvert la lettre qui m’était destinée. Il m’annonçait qu’il était arrivé au bout de son chemin et qu’il n’avait qu’une envie désormais, d’aller retrouver ses proches qui étaient partis avant lui, Simone, Vitamine, ses parents, les miens… Il me transmettait ses carnets, sur lesquels il avait écrit toute son histoire, en me demandant d’essayer de faire publier celle-ci. Lui n’en avait pas eu le courage. Il m’informait également que je devais vendre sa maison au maire et transférer le produit de cette vente en Guyane, à une association de mon choix, pour venir en aide à la population en difficulté

Ainsi, comme c’était son salaire de Kourou qui lui avait permis cet achat, Robert s’était dit que cet argent allait, d’une certaine façon, retourner de là où il provenait, en profitant cette fois-ci, à ceux qui n’avaient rien vu des retombées économiques locales d’Ariane.




Ayant compris dans la lettre qui m’était adressée qu’il avait signifié en toutes lettres son intention de quitter ce monde, je décidai d’aller discuter avec l’édile de la situation juridique exacte de Robert, qui n’était que porté disparu pour le moment. Il y eut plusieurs échanges entre l’élu, le responsable de l’antenne ouessantine de gendarmerie, le commandant de la compagnie de Brest, le notaire du Conquet et le président du Tribunal de Brest. Cela dura quelques semaines – ce qui fut finalement assez rapide compte tenu du fait que nous étions en pleines vacances scolaires d’été – et Robert fut déclaré mort à la date de sa disparition en mer. Cela allait grandement simplifier les démarches administratives à venir.

Le soir, je restai pour finir de trier les affaires de mon parrain et en particulier vérifier que je n’avais pas oublié un de ces précieux cahiers dans lequel il avait retranscrit toute sa vie. Après plusieurs heures de rangement, je sortis fumer une cigarette, une habitude prise dans la jungle avec mes amis chasseurs. C’est alors que tourné vers l’est et levant le nez vers la voute céleste, il me revint en mémoire ce que Robert m’avait confié durant l’une de mes dernières visites. Il m’avait évoqué cet astre lointain et mystérieux, dans le Triangle d’été. À ma plus grande surprise, quand je scrutai cette zone, je découvris non pas une, mais trois étoiles dans ce fameux Triangle. Je me frottai un instant les yeux, mais non, elles étaient bien trois, dont une un peu plus petite ou légèrement moins lumineuse, mais qui semblait clignoter joyeusement.

Si j’en parle, je suis persuadé que personne ne me croira, mais je sais, moi, qu’il s’agit de Robert et Simone avec leur chienne Vitamine qui gambade parmi les étoiles dans le ciel d’été.

Quelques jours plus tard, une fois la maison vendue et l’argent transféré sur un compte ouvert spécifiquement pour cela en Guyane, je décidai de me charger de son manuscrit. Il était en effet impossible d’adresser cette pile de carnets à un éditeur. Il me fallait trouver quelqu’un pour tout dactylographier et en faire ensuite plusieurs tirages. Je contactai Albert à Cayenne qui dénicha quelques secrétaires ayant bien connu Robert qui ont été ravies de tout taper à l’ordinateur. Je leur ai envoyé une caisse contenant tous les cahiers. Elles n’ont même pas accepté le moindre dédommagement pour leur travail. Une fois que j’ai récupéré toutes les impressions, j’ai pris mon bâton de pèlerin, avec son manuscrit sous le bras et suis allé frapper aux portes de toutes les maisons d’éditions parisiennes que j’avais repérées dans le bottin[2]. Si vous lisez ces lignes, c’est le signe que j’ai réussi et que ce fabuleux récit a été publié.




À ce jour, même si son corps n’a pas été retrouvé et ne le sera sans doute jamais, moi, comme je l’ai vu dans le ciel cet été-là, je sais qu’il est allé rejoindre Simone et Vitamine, et qu’ils font de longues balades, tous les trois ensembles, en riant au milieu des étoiles.




[1] SNSM : Société Nationale de Secours en Mer. C’est une association dont les missions sont de sauver des vies humaines, en mer et sur le littoral, former les sauveteurs et participer aux missions de sécurité civile. En parallèle, son action préventive auprès des usagers de la mer est permanente. Elle est fiancée à plus de 70% par des dons privés. Une grande partie des sauveteurs sont des bénévoles.

[2] Le bottin était l’ancêtre de l’annuaire, lui-même prédécesseur des pages jaunes et pages blanches dans lesquelles sont répertoriés les numéros de téléphones professionnels et privés.

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