Chapitre 8 – Léna : La morsure du destin
Un goût de fer persistait sur ma langue, mélange amer de sang et de poussière. Le choc avait laissé mon corps lourd, engourdi, chaque nerf tendu à l’extrême, prêt à céder. Les événements défilaient dans un flou confus, trop rapides, trop violents. L’attaque soudaine, les chasseurs surgis des ombres, et ce loup… ce loup qui, contre toute attente, m’avait sauvée.
Le silence était retombé, dense et pesant, mais je savais que je n’étais pas seule. Une douleur sourde, brûlante, pulsait à mon épaule. Ce n’était pas une blessure ordinaire. Quelque chose clochait dans ma chair, dans mon sang. La régénération, pourtant rapide chez nous, semblait ralentie, perturbée, comme si un poison invisible freinait le cours naturel de la vie en moi. Mon souffle était court, mes gestes hésitants, fragiles. Il fallait que je me cache, que je survive à tout prix.
Avec un effort presque surhumain, je m’étais hissée derrière un amas de racines noueuses, une cachette improvisée, fragile refuge entre les troncs millénaires. Puis, l’esprit vacillant, mon corps s’était effacé dans une étrange suspension, un flou lourd, mêlé de chaleur diffuse.
Des bras puissants m’avaient soulevée, et une voix grave, profonde, familière malgré l’inconnu, avait murmuré dans le tumulte confus de ma conscience :
« Ne t’avise pas de mourir maintenant, sang-froid. »
Je flottais entre ténèbres et lumière, ballotée comme une feuille dans le courant, emportée loin des douleurs et des cris. L’odeur âcre de la terre humide, mêlée à celle plus âpre de la fourrure et du sang, me suivait encore. Puis, le craquement du bois, fragile promesse d’un abri : une cabane, un sanctuaire temporaire.
Je me réveillai en sursaut, le cœur battant à tout rompre, la gorge sèche, les muscles douloureux. Ma main droite chercha un appui tandis que je tentais de me redresser, mais une douleur fulgurante éclata à mon épaule, me tirant un grognement étouffé. Ma vision demeurait trouble, mais je parvins à distinguer une silhouette massive, adossée à la porte de bois grossier, les bras croisés, les yeux brillants d’une lueur à la fois amusée et indéchiffrable.
— Pourquoi… pourquoi je suis encore en vie ? soufflai-je, haletante, les dents serrées, un mélange d’amertume et de défi dans la voix. Un chien comme toi ne laisserait jamais quelqu’un de mon espèce vivre…
Un sourire en coin fendit ses lèvres, ce sourire sûr de lui, presque moqueur, qui avait le don d’irriter autant qu’il intriguait.
— Le chien a un nom. Kael. Et il vient de te sauver la vie. Enfin… la vie pour un sang-froid. Et j’avoue que je ne comprends pas trop pourquoi j’ai fait ça.
Un frisson me parcourut, mélange confus d’irritation, de défi et… d’une étrange fascination. Pour un loup, il avait quelque chose de profondément troublant. Ses yeux perçants, ce regard incandescent. Et cette odeur sauvage, mais pas agressive. Presque familière.
Je le fixai, tentant de masquer mon trouble derrière une façade de froideur, mais mes forces m’abandonnaient peu à peu, ma tête tournait.
— Le sang-froid s’appelle… Léna, murmurais-je avant de sombrer à nouveau dans l’obscurité.
Dans ce noir profond, je sentis un poids s’abattre contre moi, un souffle rassurant, une présence chaude qui ne correspondait pas à la haine que j’avais toujours portée à ceux de sa meute.
Mes derniers sens percevaient encore ce mélange étrange d’hostilité et de protection, comme si nos instincts contraires se défiaient, mais qu’au fond, une chose nouvelle cherchait à naître entre nous. Un lien imprévu, fragile et puissant à la fois, porteur d’espoir et de dangers insoupçonnés.
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