Les bruits du port remplissaient la chambre de sa bande sonore: les cris des hommes qui prévenaient de leur passage lorsqu'ils déchargeaient les navires, le clapotis plus discret de ces derniers qui tanguaient au rythme des vagues, les crissements sourds des cordages qui se tendaient...

Couchée sur son matelas, les yeux fermés, elle savourait chacun de ces sons. Ils l'emportaient loin de cette chambre et de cette obscurité qui s'était refermée sur elle. Elle se revoyait marcher dans ses rues, guidée par les embruns et les cris de la jetée. Mais souvent ses pas l'emmenaient loin du brouhaha et elle se réfugiait de l'autre côté de l'arche naturelle creusée dans la falaise. De là, un chemin escarpé se faufilait entre les bruyères sauvages et, après un effort soutenu de 15 minutes, le marcheur se voyait récompensé par une vue fabuleuse sur l'océan. Elle venait s'asseoir là , de longs moments, entourée des mouettes et goélands qui luttaient contre les vents marins pour se maintenir en équilibre.

Lorsqu'elle était tombée enceinte, il lui était impossible de gravir le chemin. C'était bien dommage car elle avait bien besoin de se souvenir de la leçon de la falaise: lutter pour trouver l'équilibre. Elle était l'une des femmes d'un marin aux nombreux ports, elle avait été si naïve quand elle y repensait.

Et puis Céleste était née, elle était si pleine d'énergie. Alors l'espoir était revenu. Naturellement, elle l'emmenait en haut de la falaise voir les goélands et s'éloigner des médisances des femmes de la jetée.

Le jour où le biberon roula le long de la pente pour enfin tomber dans le vide, elle eut juste le temps de se ret.ourner pour voir disparaitre la petite robe brodée de carottes. Ses poumons s'emplirent d'eau, étouffant son cri, lorsqu'elle se jeta à la suite de sa fille, c'était presqu'un soulagement mais c'était sans compter sur cette immortelle chute.