L'assemblée

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Lorsqu’il arriva en vue de la ville, il fut totalement ébloui. La Grande place centrale illuminait toute la vallée, des feux y brûlaient, comme lors des jours de grandes fêtes, où tout le pays se réunissait pour festoyer gaiement. Tous les Tirgalions étaient rassemblés, et sur une estrade, se trouvait l’Ancien et la vieille Mégère. La tension était palpable, bien que Sighdur se trouvait à quelque distance, il constatait que ses semblables paniquaient. Mais le spectacle dans son ensemble était encore plus inquiétant, et rajoutait encore à la tension. La lune était absente. De grandes nuées vertes luminescente parcouraient le ciel et semblaient annoncer un grand malheur. Les enfants pleuraient, n’ayant jamais vu telle couleur spectrale, leurs mères, quant à elles, tentaient de réprimer leur panique pour les réconforter.

Lorsqu’il franchit la porte de la cité, ils apparurent de nouveau. Ces maudits corbacks étaient là, passaient sur la cité, éructant leurs cris mortifères. La panique se fit de plus en plus ressentir dans la ville, et alors qu’il arrivait sur la place, tous les regards se tournèrent vers lui. Doushdori, l’épandeuse de fiel par excellence, et que l’on nommait – à raison – la Mégère, commença à hurler :

— Regardez qui arrive en retard, cria la Mégère, en le pointant du doigt. Je suis sûre que c’est encore notre Sighdur, l’habitué des moult coups tordus qui apporte le malheur dans notre contrée !

L’ancien se tourna vers Sighdur et l’appela :

— Sighdur, viens ici mon garçon !

Un passage s’ouvrit devant lui, les Tirgalions s’écartant pour le laisser passer jusqu’à l’ancien. Sighdur n’était pas à son aise, il tremblait, tout en avançant, et sentait le regard de colère et de suspicion que ses congénères lui adressaient. Il ne put que baisser le regard, durant sa progression. Mais bon, il était habitué, ce n’était pas le premier savon qu’il se prendrait.

Il arriva à l’estrade où il était attendu. La mégère lui cracha dessus lorsqu’il passa à son hauteur, en lui vociférant toute sorte de nom d’oiseaux. L’ancien, lui, le regardait d’un œil bienveillant, et fit un petit geste pour que l’agresseuse de Sighdur se calme quelque peu. Il était vraiment impressionnant. Sa barbe, qui comportait un nombre incalculable de tresses, atteignait presque le sol, signe qu’il était vieux, sage et respecté.

— Dis-moi, jeune Sighdur, où étais-tu donc passé ? Cela fait déjà quelques heures que nous sommes rassemblés, ici, pour discuter du problème qui nous occupe. Dis-moi, sais-tu de quoi je parle ?

Sighdur baissa les yeux. Il était gêné, et il répondit à voix basse.

— Oui l’Ancien. Vous parlez des corbeaux qui nous ont survolé déjà par trois fois aujourd’hui. De ce voile verdâtre qui nous a volé notre lune.

La voix de Sighdur était tellement basse que l’assemblée ne l’entendait guère. Ils demandèrent à répéter, et l’on fit venir le crieur afin qu’il déclame haut et fort les réponses de notre Tirgalion. Il répéta les mots de Sighdur, mais avec un ton plein de mépris. La foule huait Sighdur à chaque réponse.

— Tu les as donc vus, jeune Tirgalion. Et pourquoi n’es-tu donc pas venu, directement, comme tous tes autres camarades ? Je le répète donc à nouveau, ou étais-tu ?

— Je me promenais, l’Ancien. Vous le savez, j’aime marcher, découvrir de nouveaux lieux, voir de nouveaux paysages.

Il rougit, baissa encore plus la tête. Il s’apprêtait à dire où il était allé. Il savait que le châtiment serait la garnison, en plus de la honte qu’il jetterait sur sa famille. Il aurait tellement voulu se cacher, rapetisser encore et encore, pour pouvoir se faufiler dans un trou de souris.

— J’ai été là où on ne peut aller. J’ai été dans les bois interdits.

À ces mots, la colère de la foule monta en intensité, vivifiée par la Mégère qui hurlait à la trahison et au malheur qu’il apportait en Tirgoval. L’Ancien fit signe à la foule de se calmer, le temps que Sighdur explique son aventure.

— Je sais bien que cela est interdit. Mais si vous saviez, ces bois sont si magnifiques et paisibles, je ne comprends pas pourquoi il nous est totalement défendu d’y mettre les pieds. Oui, ce n’est pas la première fois que j’y mets les pieds, et je n’ai jamais eu de problème, ni fait de mauvaise de rencontre jusqu’à…

— Jusqu’à ? Interrompit cette Mégère, d’une voix pleine d’agressivité, bien déterminée à exalter la furie de la foule.

— Jusqu’à aujourd’hui. Il y avait un géant couché dans les bois. Il était couvert de métal, et je pense qu’il était mort. Il avait ceci sur lui.

Il tendit la bourse de cuir à l’Ancien qui remarqua directement les inscriptions. Il fit un regard étonné, comme si celles-ci sortaient d’un autre âge.

— C’est de l’ancien Inothaï. La langue des rois, disparue depuis bien longtemps ! Sais-tu ce que ces mots veulent dire, jeune Sighdur ?

Sigdur fit un signe de la tête pour montrer qu’il ne savait pas. L’Ancien regarda attentivement les inscriptions, pour finalement dire :

— À seul celui qui aura le pouvoir.

Il demanda ensuite au Tirgalion s’il savait ce que contenait cette bourse.

— Un caillou. Il est poli, et semble vivant à l’intérieur, comme si une brume blanche cherchait à en sortir. Lorsque je l’ai regardé, j’ai comme été aspiré dans la pierre, et j’ai vu plein d’ombres fantomatiques.

— Une pierre de pouvoir !

La Mégère hurla de nouveau

— C’est lui, c’est bien lui cet oiseau de malheur ! Il ramène la désolation et la destruction en Tirgoval ! Rappelez-vous la prophétie !

Lors que par deux fois, en un jour, survoleront les pies noires,
Lorsque par deux fois, elles passeront le même soir,
Lors d’une nuit sombre, ne portant pas l’éclat de la lune,
Et que dans tout le val, sévit cette funeste brume,
Il s’aventurera seul dans les terres interdites,
Il la trouvera et la portera, cette pierre maudite.
C’est alors que Tirgoval connaîtra les ténèbres,
C’est alors que le mal reviendra, nous recouvrant de son voile funèbre.

Les Tirgalions ne connaîtront plus la paix,
Ils subiront guerre, désolation et le fouet,
Finis les rires, la joie, l’allégresse en Tirgoval,
Ce sera l’annonce du retour du mal ancestral.

À peine ces mots prononcés, un terrible bruit se fit entendre dans le ciel, et de nouveau, les corbeaux refirent leur apparition, encore plus nombreux que les trois premières fois où elles étaient passées dans la journée.

La foule, hurlait, paniquait. Ces oiseaux de malheurs fonçaient sur la place, comme s’ils étaient animés par une colère et une haine incommensurable. Les Tirgalions courraient partout, cherchaient à se mettre à l’abri des coups de becs et griffes des volatiles. C’était le chaos total. Une fois tous cachés, certains sous des abris de fortune tels que l’estrade ou sous des tables, ils durent attendre un bon moment avant que cette nuée d’oiseaux disparaisse. Mais leur rage avait tout saccagé. Les bois étaient parsemés de coups de becs et griffes, des vitres avaient été brisées par le vol des corbacks. Mais la foule était bien trop en colère que pour commencer à tout ranger et réparer. Il fallait punir le coupable qui avait ramené le malheur dans leur terre.

— Malheur à toi, Sighdur, qui a ramené ces oiseaux de mauvaise augure sur nous ! Tu nous paieras ça !

— Il faut le pendre à un gibet ! Comme cela si ces volatiles reviennent, ils s’en prendront directement à lui et nous laisseront tranquille !

L’Ancien fit signe à toute la populace de se calmer.

— Mes chers Tirgalions, gardez votre calme ! Ce qui est fait ne peut être défait, car il était de toute façon écrit que cela devait arriver. Mais oui, il nous faut trouver une solution afin que nous puissions éviter le pire ! Puisse Dothiria avoir pitié de nous, et nous envoyer un signe !

L’Ancien s’agenouilla, et tous firent de même. L’ensemble des Tirgalions répétaient la prière de l’Ancien, dans l’espoir qu’elle soit entendue par Dothiria, la divinité préférée des Tirgalions, qui les protégeait et leur donnait une vie longue et prospère.

Ô Douce Dothiria,
Protège-nous dans le noir,
Puisses-tu avoir pitié de nous,
Nous guider dans ces remous,
Réponds à notre appel, je t’en supplie,
Sois la branche sur laquelle je m’appuie.

La foule s’était calmée suite à cette prière, et l’Ancien prit le bâton qui l’aidait dans sa marche. Il entonna d’une voix grave une phrase incompréhensible pour tous les Tirgalions.

— Hak Abazi Muatar Loktarum Ouzefar !

Le bout de son bâton, à ces mots, devint incandescent, et il traça un cercle sur le sol. Il traça ensuite des inscriptions, comme celles sur la bourse trouvée par Sighdur. Il prit ensuite une petite bourse attachée à sa ceinture, qui contenait des petits bouts de bois taillés et gravés, et répéta de nouveau son incantation. Il jeta ensuite celles-ci dans le cercle et observa le résultat.

— Tout espoir n’est pas encore totalement perdu, mais les jours et nuits qui arrivent s’annoncent difficiles et plein de malheur, pas seulement pour les Tirgalions, mais pour tout Alinora. Mais la pierre ne peut rester ici, car tant qu’elle sera parmi nous, les malheurs et désastres s’abattront sur nous. Seuls les grands sages pourront savoir ce qu’il adviendra, mais les oracles sont formels : si de sombres forces la trouvent, Alinora connaîtra les tourments pendant fort longtemps !

— Qu’il s’en aille alors ! Il a trouvé cette foutue pierre, il l’a ramené ici c’est à lui de nous en débarrasser !

La foule acquiesça vigoureusement aux paroles de la Mégère. Mais, Kogndur, le forgeron, s’avança.

— Moi je suis sûr que si on la brise, cette caillasse, cela en sera fini ! Passe-la-moi, Sighdur, que je la démolisse !

Sighdur lui tendit la bourse, bien content de s’en débarrasser. Kogndur ouvrit la bourse, mais lorsque sa main toucha la pierre, son visage se décomposa. Il était assailli par la peur, ses yeux se révulsèrent et se mit à trembler de tout son être. Et il tomba, raide mort !

La foule était stupéfaite. Personne ne se serait attendu à cela. Des rumeurs de magie noire et de démons parcouraient l’assemblée. La Mégère reprit de plus belle

— À seul celui qui détient le pouvoir ! Regardez ce qu’il advient des êtres qui touchent la pierre ! Elle ne peut pas rester ici, et lui avec elle !

L’Ancien reprit la parole, de nouveau en faisant des gestes pour calmer la foule qui recommençait à s’énerver.

— Dis-moi, Sighdur, as-tu touché la pierre, toi aussi ?

— Oui. Comme je l’ai dit, j’ai vu des choses dedans, comme si j’avais été absorbé par elle.

— Tu sembles donc immunisé à son pouvoir ? Comprends-tu, alors, la tâche qui t’incombe ? Tu devras porter la pierre loin d’ici, aux Inothaï, qui en sont les gardiens !

La foule acquiesça les paroles de l’Ancien, l’applaudissant, criant leur accord.

— Mais l’Ancien, comment voulez vous que je trouve ces gens ? Et qui sont-ils ? Comment les reconnaît-on ?

— Je ne sais pas, jeune Sighdur. Mais une fois cette assemblée dissoute, marche avec moi jusqu’à mon logis, car nous aurons à discuter quelque peu avant ton départ.

— Il est donc entendu ! Sighdur ira porter la pierre à qui de droit, en espérant que cela puisse nous éviter les pires heures de notre histoire. Tu partiras dès demain, car l’urgence nous touche désormais. À midi, heure tapante, nous irons te dire au revoir à la garnison. Nous mettons tous nos espoirs en toi, jeune Tirgalion !

À ces mots, l’assemblée se dissout. Les femmes allèrent coucher les enfants, les hommes se mirent à ramasser les débris du passage des corbeaux, toujours inquiets mais quelque peu soulagés que l’ancien ait encore trouvé les mots et les solutions qui convenaient.

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