Enfer me ment

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Enfer me ment


  Les enquêtes, ici ? Elles sont faites par des gens de la ville, des gens qui n'imaginent pas que les monstres d'ici valent bien les leurs.

   Elles sont bâclées, quand les derniers mots de la victime ont été recueillis par des personnes de confiance et qu'ils sont une accusation formelle, désignant nommément un coupable.

   Dans ce cas, d'ailleurs, malgré le décor superbe, ça n'est pas converti en émission racoleuse, truffée d'anecdotes folkloriques pour téléspectateurs voyeurs, ça manque trop de suspens. 

  Aux Cézeaux, Vincent Vidal était un étudiant brillant. A vingt ans, il attaquait la seconde année d’école d’ingénieur. Il était un pingouin du CUST. Moi, les sigles et les règles du jeu de la diplômite, je n’y comprends rien : au même âge, mon parcours ne sortait pas du département, du lycée professionnel et du bureau de recherche d’emploi le plus proche de la loge de mon père, à l’entrée de la copropriété. 

  Je travaillais, en pointillé, en saisonnier, en CDD, perchiste l’hiver, serveur l’été, à la station. Je travaillais déjà quand Vincent venait de la capitale auvergnate, faire la fête, avec ses copains, en train, dans le chalet de ses parents. Je travaillais aussi avec mon père, concierge, qui allume toujours le chauffage, nettoie toujours les éviers, les cuvettes des toilettes, et le bac des réfrigérateurs, où les locataires touristes abandonnent toujours des alluvions qui indisposent les propriétaires. Ces restes font, toujours, pourtant, des suppléments, sur notre table. Je n’ai rien à dire sur les propriétaires, ils sont vieux mais polis, ils gaspillent propre. Leurs gosses, par contre… 

  L’hiver de nos vingt ans ? Neige superbe ! J’ai pelleté dans toutes leurs marches, le soir, après les avoir vu rire en coinçant la rondelle entre leurs cuisses, au tire-fesses. Ils étaient insouciants, ils nous ignoraient, moi, mon mépris et mes envies.

  Ce 28 février, Vincent  est arrivé en patinant, tous phares allumés, dans la poudreuse tombée la nuit précédente. Avec une voiture neuve dont ses initiales entrelacées ornaient le capot. Une allemande. Diesel. A la place du mort, une presque bachelière. Une stagiaire de son père. Une copine. Pas plus, au départ. Plus tard…. 

  Le 29 au matin, avant l’ouverture des pistes, il est sorti, il a refermé à clef derrière lui, il a poussé à la main sa voiture pour qu’elle ne fasse pas de bruit sous les fenêtres, il a acheté les derniers pains au chocolat à la boulangerie, dans le village, après le tunnel. 

  Garé, sans bruit. Cafetière chaude, sans bruit. Déshabillé, sans bruit, avec le sac en papier, tiède encore du contenu extrait du four. Il les apportait sur le plateau, avec les deux cafés, il a tout renversé : elle était en travers du lit, la tête en sang. 

  Il a grogné : « Bon dieu ! ». Il a poussé le tisonnier ensanglanté. Il a renfilé un pantalon sans slip ni caleçon, un pull sans anorak, des chaussures de ville sans chaussette. Il a chamboulé la literie, chargé Magali sur son épaule, enroulée dans les draps. La tête, coiffée de serviettes éponges était calée contre l’épaule de Vincent. Entre la véranda du chalet et la voiture neuve, ça gouttait rouge sur la neige. Il a démarré sans même allumer les phares.

   Il n’est revenu que onze ans plus tard.


  Ce qu’il a vécu, pendant ce temps, est contenu dans un cahier d’écolier. A petits carreaux. Des pattes de mouche, très serrées, presque écrasées. Il a tout raconté : l’attente aux urgences d’Aurillac, le coma de Magali, et, sur la table d’opération, juste avant l’anesthésie, ses derniers mots : « oh ! Vincent, il m’a violée, il m’a violée ». Tout y est, même l’interrogatoire, avec la lampe de bureau dans les yeux, deux jours, deux nuits durant, pour extorquer des aveux qui ne viennent pas. La préventive, où Vincent croit qu’il devient fou parce qu’il se demande s’il n’a pas tué, finalement, sans le savoir. Avec le tisonnier ? A cause d’une dispute ? On lui a tellement répété ce qui s’est vraisemblablement passé. La vérité, sa vérité, il a failli la perdre. Tout y est. Dans le cahier : le procès, la haine des parents de Magali, les hurlements de l’inculpé qui jure son innocence plus fort que son propre avocat. La honte de son père, le désespoir de sa mère. Qui va, quelques pages plus loin, mourir du cancer. « C’est, écrit-il, la forme ultime du chagrin quand on n’en guérit pas »

Et toutes ses journées avec des barreaux. Toutes ses journées qu’il a notées, une à une, avec un détail au moins, pour qu’elles cessent d’être identiques. Mortellement identiques. Même à lire. 

 

« 10 septembre 1996-Depuis le début, j’étais monocellulaire, je végétais seul dans ma cellule. Je croyais que j’allais en crever. Si j’avais su, j’aurai remercier Dieu de ne pas m’avoir accablé plus. Celui qu’on m’inflige, depuis ce matin, un récidiviste, a, dans cette usine, de très nombreux copains. Pas moi. Ici ? Jamais. »

« 11 septembre 1996-Il faut que je me ressaisisse. Je suis innocent. Je suis la victime d’une erreur judiciaire. Mon espace est envahi par un être immonde avec qui je n’ai rien à échanger. Le sort s’acharne. Il faut que je me ressaisisse : j’ai lu  mes phrases d’hier, je ne dois pas appeler Dieu à la rescousse, je ne crois à rien de majuscule, d’éternel et de supérieur, je suis convaincu que ça va s’arranger »(…)

« 30 janvier 1997-Je tiens bon. Plusieurs victoires, ce jour. J’ai obtenu l’autorisation de voir ma mère à l’hôpital. Mon père décolère et celui qui dort au-dessus de moi semble avoir compris que je ne trafiquerai rien avec lui. Il ne me parle plus. Je découvre que je préfère ce silence.  Comment de fois vais-je écrire « je » ? C’est un jeu cruellement idiot, d’être condamné au singulier égocentré. »(…)

« 5 mars 1997- Qui viendra au parloir ? Qui perdra son temps pour meubler le mien ? Qui aura pitié ? La fin d’hiver sent le printemps pourri : c’est l’humidité qui gagne sur le froid, de deux maux, il faut choisir le moindre, il paraît. Mon père répète ça, en me regardant comme un étranger. La pitié, la rancœur, l’indifférence, la défiance, moi, j’en ai, des mots, parmi lesquels je ne veux pas choisir. » (…)

 « 17 octobre 1997-8h00-Toute ma promotion d’ex-copains copines, d’ex-amis amies et plus car affinités, franchit le seuil, les portes vitrées. Je suis dans le reflet des carreaux, je suis dans la fumée des cigarettes qu’ils, qu’elles éteignent, je suis dans l’ombre des sacs en bandoulières avec les polycops. Je voudrai que cet instant dure une éternité, une éternité dépendante de mon éternité, pour avoir une petite chance de les rejoindre. »(…)

« 5 novembre 1997-Je me suis battu. Avec mon codétenu. Parce qu’il pissait sur mon oreiller. Il a une dent cassée de plus que moi. Mon père ne vient plus qu’une fois par semaine. Cancer ou taulard, il a choisi. Sa vie, c’est du Zola. Ma vie ? C’est du rien…   »

« 6 novembre 1997-Il faut que je me concentre sur les détails. Qui a tué Magali ? A la sortie, comment le retrouver ? Avec les traces de roues ? Celles des semelles, dans la neige ? Il y avait tant d’empreintes, chez nous »(…)

« 8 novembre 1997. -Nous sommes trois. Non, deux contre un. Contre moi. Ils ne comprennent pas que je ne veux rien dealer. Je suis maintenant obligé d’attendre deux ronflements au lieu d’un pour sortir  mon cahier et utiliser la lumière de la veilleuse »(…)

« 2 décembre 1997-J’ai peur. Depuis trois mois, si je ne me rase pas, ça pousse dru, hirsute et blanc au milieu du brun. Tondu, je ne vois rien sur mon crâne, mais, dedans, je sens que je vieillis trop vite. »

« 3 décembre 1997-J’ai peur. Les deux de ma cellule complotent, à voix basse, avec des mots intranuisibles »(…) 

« 23 décembre 1998-Je ne fume toujours rien. Les marques de mégots écrasés sur mon dos, pendant qu’ils m’enc… Je ne peux même pas écrire ce verbe ignoble. Y penser me fait mal. Juste un an. Les traces de l’anniversaire, les marques, les cicatrices dessinent des petits ronds rouges, presque lisses, comme si j’avais eu la varicelle.

Je suis toujours séronégatif, je suis toujours innocent. Je suis cramé, à l’intérieur. De l’anus à la cervelle. Je suis noir. Je sais pourquoi j’écris : j’ai cris à revendre, ça fera de la littérature de supermarché. Pour les pervers libres. »(…)

« 26 décembre 1998-Hier, je n’ai rien écrit, j’ai beaucoup vomi. Tout le coq au vin, toute la bûche. A la sortie du  réfectoire. J’ai mangé trop vite ? Non, c’est Noël en cage qui ne passe pas ».

« 27 décembre 1998-Maman est morte » 

  Vincent est donc revenu. Quand je feuillette son cahier, quand je lis son enfer, je ne ressens presque rien. Ce qui me touche ? Rien : ni la folie qui le guette, ni la torture qui le marque. Rien, parce qu’il emploie des mots, du vocabulaire d’intello, des tournures de gamin de riches. Des mots qui déguisent, qui font leur cinéma. Bien centrés sur le martyr héros qu’il croit être. Non, rien ne me touche, quand je feuillette. Pourtant, j’aimerais avoir un peu de satisfaction. Une sorte de plaisir malsain, en imaginant qu’il a oublié tout le savoir compliqué du CUST, et même le nom ou le numéro des salles, et même le chemin pour aller aux Cézeaux. Un plaisir intense, oui, j’aimerais ça, en imaginant la tondeuse dans ses cheveux, ses poignets dans les menottes ou les codétenus qui le bâillonnent et qui l’enc…. Je n’arrive pas à penser ce verbe, ça me déçoit. Sans doute pour ce plaisir qui ne vient pas, je lis, je relis, dès qu’il est hors du chalet.


« 11 février 2000. 

Je hais le tabac. Il m’empêche de me souvenir de l’odeur de l’orme ou du hêtre dans la cheminée. Je hais le petit-déjeuner, parce qu’il faut se nourrir en troupeau. Et se nourrir, c’est commencer une journée, une autre, vide, morte. Et cesser de penser aux gaufres, à la confiture de framboises sauvages, sur le balcon, quand je suis torse nu et que les stalactites de glace bordent le toit de cristal embrasé et gouttent sur la rambarde. Et que mes cheveux fument, tellement j’ai transpiré sous mon bonnet. Je hais l’hiver dans le béton de la plaine. Sans neige, sans glisse. Sauf au fond du trou du désespoir. Je ne sais pas si je peux encore aimer. Avec mon sexe, avec mon cœur. J’ai la main sur l’un, pas sous l’autre, je suis sec de sentiments et mouillé la nuit : pourtant, je n’ai plus de larmes.»


Ce qui me trouble ? Les presque dernières lignes, les presque dernières phrases. 


« 23 février 2006

C’est quand j’ai voulu me pendre avec les draps constellés de crasse (la mienne, ou celles des autres, mal lavée) que j’ai pensé à ce qui va me réhabiliter. 

Il y a juste un an.

 L’assassin n’a rien laissé. Pas une goutte de sueur ou de sperme, pas un poil. Dans Magali. Sur Magali. Il n’y a que moi qui…Mais les draps, les draps ! On les a cherchés partout. Ni dans la morgue, ni au commissariat. Perdus, volés ?

C’est à la fin de ma purge que je les ai trouvés. 

On écrit : « il a purgé sa peine », mais c’est faux, on ne purge rien. Surtout pas la peine infligée par un inconnu, d’un coup, par traîtrise.

Mon père n’a touché à rien, dans son « chez lui », qui était, jadis, notre « chez nous ». Comme si tout ce qui était à moi était contagieux, porteur du virus de la mort. Pas même la voiture, garée sous la pergola. Il ne l’a jamais démarrée : la batterie était morte, comme son envie de me parler, de me considérer comme le dernier membre de sa famille anéantie. Morte comme sa capacité d’aimer, je suppose. Je ne le juge pas, je suis desséché, moi aussi.

Comme les draps, les fameux draps. En boule. Au fond du coffre de ma voiture qui n’a presque pas roulé. Les draps, dans un sac en plastique. Il faut quelques jours pour l’expertise, pour confirmer que les auréoles ne contiennent pas mon ADN mais celui du salaud qui… »


  Cela me trouble, mais je ne suis pas assez sorti de ma montagne pour tout comprendre Quand je l’observe, par la fenêtre, se roulant dans la neige fraîche, je le trouve ridicule. On ne retrouve pas l’enfance en faisant l’enfant. Si j’avais su que la prison, ça vous fait régresser jusqu’à l’âge des bonhommes de neige… Celui que Vincent a sculpté, dans le soleil qui se couche, ressemble à une femme. Les ombres rasantes lui donnent du relief et les yeux tristes d’une petite vieille après une chimiothérapie. 


  Je sais que l’ADN est puissant. Je ne suis pas totalement ignare. Je lis des journaux qui expliquent. Vincent écrirait, avec cette moue de la ville : « qui vulgarisent ».

  Je sais que la police est scientifique, maintenant. Moi, j’en suis resté aux gestes des mains qui se noircissent : je visse, je tords, je serre, je frotte, je maîtrise beaucoup plus de verbes que Vincent n’en aura jamais dans les poings, même quand il les cognent de rage contre la poutre, juste avant de tomber en sanglots, devant la cheminée qu’il n’allume pas. Je crois qu’il a peur de ne pas retrouver l’odeur de la cendre, ou, plutôt, qu’elle lui rappelle une autre odeur, celle de sa chair grillée, ou celle de l’haleine de son père, à travers l’hygiaphone, quand il a refusé de croire que...


  Je sais pourquoi, depuis qu’il est libre, Vincent vient, aussi souvent que possible, ici, au Lioran. Il attend qu’on lui réponde, il affirme, dans son cahier, qu’il a envoyé plus de deux cent cinquante candidatures spontanées. 

  Moi, je suis spontanément smicard, ça ne nécessite pas que je m’en vante par écrit. Je me suis organisé pour qu’on ne vienne pas me chercher. Je n’ai aucune valeur à vendre. Je suis couleur sapin, couleur basalte, couleur gentiane, avec l’accent local. Reclus volontaire dans un pli de montagne, un cul de sac de vallée glaciaire, une entaille dans le plus grand volcan d’Europe, une cache en impasse dans un massif en ruines. Vincent écrirait : « une ruine en impasse qui se cache » Il ajouterait que mes certitudes sont atteintes d’érosion, comme tous les flancs et tous les cônes d’éboulis. Il conclurait que je suis piégé. Que je suis fait comme un rat.

  Il se balancerait en face de moi. Il me dirait : « qu’est-ce que tu as fait de ces onze années ? »

  Je ne lui dois rien. 

  Le soir, quand il rentre, harassé d’avoir usé la neige des rouges et des noires, il plante sa vieille planche, dans la congère, devant sa vieille nouvelle voiture. Il pose son vieil appareil argentique sur le toit, il règle, il enlève ses gants, son bonnet, il se précipite devant l’objectif, il enlace son surf comme une copine et le flash saisit cette scène stupide. Je suppose qu’il ne se lassera pas de comparer les clichés, les uns après les autres, pour constater comment ses cheveux repoussent. Je suppose qu’il s’habitue doucement à ne plus être seul : il commence avec une planche, un objet muet, froid.


  On est bien, solitaire : moi, je ne la photographie pas, ma solitude de prisonnier de copropriété de résidences secondaires. Je ne m’exhibe pas. Je remplace mon père, à la retraite, on se tasse, dans la loge, comme des ours. Ou comme des rats.


  Vincent a osé finir son cahier avec des lignes sur moi :


« 28 février 2006-Finalement, je suis comme Guillaume, un rebut. Les filles se moquent de ses piercings, des cigarettes de mauvais tabac qu’il roule comme des pétards : il joue le mec branché, mais, à trente ans passés…il est branché sur la nostalgie des mauvais choix qu’il a faits comme je suis branché sur la bonne vie que j’aurais pu avoir. 

Je souffre d’enfermement dans mon destin. Enfermement ? Mon enfer me ment, parce qu’il y a le chalet, la neige, le soleil et mon corps qui revit, et mes pensées qui sautent l’horizon. Mais quel espoir ai-je vraiment ?

Depuis que j’ai retrouvé les draps, je cherche qui s’est vautré dedans : mon impatience est de la haine, un besoin irrépressible de vengeance et je me mens à moi-même en pensant que c’est un simple désir de justice, un désir de retrouver ma dignité. Il n’en reste rien de ma dignité. Je n’ai même pas l’amour de mon père à reconquérir : il ne parle à plus personne, les médecins lui infligent une cure de sommeil, pour le guérir de sa dépression. Il broie du noir. Moi, j’ai de la cendre de cigarette à remâcher jusqu’à ce que tous mes poils soient gris.

Je tombe aisément dans l’abject. J’ai pensé, un moment que Guillaume aurait fait un coupable idéal, mais il est trop demeuré, trop… »


  Trop. Oui, c’est trop. Il n’y a pas de place pour lui et moi dans son chalet.

  Pendant onze ans, je vivais là, en pointillé. Son père appelait pour prendre des nouvelles du compteur d’eau, aux premières gelées. Il ne venait jamais, bien sûr, à cause de l’hôpital, du cimetière, de la prison. Sa prison à lui, c’était d’être le père d’un présumé innocent condamné au bénéfice du doute. 

  Il n’a jamais loué : comment louer un chalet dont le fils du propriétaire a violée une gamine ? D’ailleurs, il n’avait pas besoin de cet argent là. 


  Je vivais dans la chambre de Vincent, je lisais ses livres, ça ne me rendait pas plus intelligent. Moi, je pensais que ma prison, c’était l’hérédité. Ce que les citadins étudient sous le nom de consanguinité, génératrice de toutes les tares, physiques et mentales. Je me trompais.


  Quand il est revenu, ça m’a rajeuni d’un coup : j’ai repris mon espionnage. Dès qu’il filait sur les pistes, je me glissais chez lui. Je touchais son bol de chocolat, vide, encore tiède. Je léchais, après lui, les petites cuillères posées près du pot de confiture sans couvercle. Je respirais ses chaussures de ville, comme un chien. J’écoutais, avec ses écouteurs, sa musique étrangère favorite, mélange d'espagnol, d'arabe, d'irlandais, chanté, joué, par des gens et des instruments qui ne sont pas dans les émissions de grande écoute. Je lisais, au jour le jour, dans son cahier, comme il se rapprochait de moi. Ou moi de lui.


 Ce soir, ça fait onze ans ? Peut-être, puisque les parents de Magali sont dans la station, avec des fleurs sur la banquette arrière de leur berline, des fleurs qu'ils déposeront peut-être, tout à l'heure, devant la porte que je laisserai, peut-être, entrouverte.

  Oui, je suis devant sa porte. J’ai la clef, comme toutes les clefs de la copropriété, comme toujours. 

  Il a fini de se doucher, je connais tous les gargouillis de son chalet, c’était ma prison volontaire. Il marche pieds nus, les muscles endoloris d’avoir zigzagué, à fond, du Plomb jusqu’à Font d’Alagnon : j’ai vu, hier, ses traces de pas sur le carrelage.

  Je me trompais. Ma prison, c’est la culpabilité, pour la vie que je lui ai volée, pour la vie que j’ai fracassée, à coup de tisonnier, pour la vie que je n’ai pas engendrée, en me libérant sur les draps. La culpabilité de n’avoir rien fait depuis, alors que j’avais tant éprouvé de plaisir à le faire souffrir.

 Je ne travaille plus au tire-fesses, mais, dans mon blouson, je cache toujours un tournevis. Un gros, bien aiguisé. 

  Je frappe du poing le bois de cette porte que j’ai si souvent déverrouillée. La porte de ma prison. Il ouvre, en peignoir, il me regarde, étonné : « Ah ! C’est toi ? »

  D’un seul coup, je réponds : oui, c’est moi.

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