Chapitre 3 - Et puis le chat...

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« C’est là mon premier nom. Mon véritable nom. ». Les mots de Rose résonnaient encore dans sa tête. Cette longue journée de révisions avait permis d’éclipser sa nuit pour le moins inhabituel. À présent, dans ce vieux pub enfumé, Hannah ressassait les paroles de Rose. Combien de noms ? Combien de vies ? 126 ans… Une poussière de l’éternité. C’était à la fois terriblement long et ridiculement court. Qui était cette mystérieuse femme qui dégageait un magnétisme irrésistible ? Une vampire… Hannah venait de rencontrer la créature mythique certainement la plus connue des folklores. Une vampire… Pourtant Rose semblait si ordinaire. Austère et blafarde certes, mais c’était comme ça qu’Hannah s’imaginait un médecin légiste ! Une vampire ? Était-elle passée à deux doigts de se faire vider de son sang ? Des loups-garous, des Anhumains… Elle mourrait d’envie d’en savoir plus. Retourner voir cette… femme — Hannah n’arrivait pas à la voir autrement. La revoir… Oui, elle brulait d’envie de la revoir. Quelle étrange sensation, que lui arrivait-il ? Pourquoi désirait-elle croiser à nouveau ce regard transperçant. Ces yeux dans lesquels elle avait vu le reflet d’une tristesse presque sereine qui l’avait replongée malgré elle dans ses souvenirs douloureux.

Un malaise montait en elle. Elle était gênée de ses propres pensées. Qu’une femme vienne s’y immiscer la déstabilisait. Ça ne lui était jamais arrivé. Devait-elle en avoir honte de rougir comme lorsqu’elle pensait à un garçon ? En plus, c’était absurde, elle ne la connaissait pas. Et pourtant elle sentait sa peau frémir chaque fois qu’elle y repensait. Non ! Rose n’avait rien à faire dans ses pensées ! De cette manière en tout cas. Qu’elle veuille la revoir pour mieux comprendre ce qui venait d’arriver était normal. Rose ne devait représenter rien d’autre !

— … et j’avais de l’huile partout ! riait-il.

Aucune réaction.

— H ! Tu m’écoutes ?

— Non. Tu m’as perdue quand tu as commencé à parler moteur.

— À quoi pensais-tu ? Ou à qui… ?

Pas de réponse. Hannah était repartie.

— Qui est-ce ?

— Qui ça ?

— Le garçon !

— Quel garçon ?

— Mais allez ! fais pas ta vierge effarouchée ! Raconte ! Tu as la tête ailleurs depuis ce matin, impossible de capter ton attention plus de trois minutes consécutives.

Elle redressa la tête. Vu sous cet angle… il le prenait comme ça ?

— Tu ne le connais pas.

— Pas possible ! Ma H serait sortie de sa coquille ? Seule ? Tu l’as rencontré où ?! Je veux tout savoir ! Tous les petits, ridicules, minuscules détails !

— Je l’ai rencontré la dernière fois que nous sommes allés en boite. Tu dansais avec une fille et je m’ennuyais. Je l’ai trouvé mignon, je l’ai dragué. Il me plaisait vraiment alors je l’ai embrassé et ça a matché tout de suite. On a fini chez lui et depuis on s’est vus plusieurs fois.

— Les yeux de Basile s’agrandirent.

Il la dévisagea.

— Tu me fais marcher…

— Évidemment ! À quel moment tu m’as cru ? Quand j’ai dit que j’étais allée draguer ou que j’avais un plan cul ?

Hannah se tordait de rire sur sa chaise. Déçu, il fit la moue.

— Tout de même, ça me plaisait bien…

— Arrête ! Tu serais jaloux comme un pou !

— C’est pas vrai, s’offusqua-t-il. J’ai Aude, tu l’oublies ?

— Aude ? Non ça ne me dit rien… attends, si ! Ta relation libre qui vit à 600 bornes d’ici ! Ça me revient maintenant.

— Tu n’es pas gentille !

Grimaçant, il feignait l’indignation.

— Admets-le, tu voudrais être le seul homme de ma vie, se moqua-t-elle.

— Je suis le seul homme de ta vie ! Mais je consentirais, peut-être, s’il le mérite, à faire une place à l’homme sur lequel tu jetteras ton dévolu, dit-il très solennellement, main sur le cœur.

— Et si c’était une femme ? s’exclama Hannah, par pur esprit de contradiction.

— …

— Quoi ? Pourquoi tu me dévisages ?

— Et si c’est une femme, le problème est résolu ! Je suis et resterai le seul homme de ta vie. Et toc !

Sur ce, Basile avala une grande lampée de sa bière. Piégée, elle fit de même.


Lorsque Rose se réveilla, elle tenait encore sa tablette entre les mains. Le sommeil s’était jeté sur elle, déterminé.

On sonna à sa porte, c’était surement sa combinaison de moto. L’avantage de la V-poste ! Elle déchiqueta le carton avec l’impatience d’un enfant le jour de Noël. Elle batailla avec le cuir neuf, mais une fois enfilée, elle lui allait comme un gant. Elle gigota dans tous les sens pour s’assurer de sa bonne mobilité. Il lui tardait de l’essayer. Elle devrait attendre le matin. Elle s’extirpa de la combinaison, non sans mal, et alla se préparer à la salle de bain.

Elle brossa ses longs cheveux soie, noirs et lisses. Regarda le miroir. Elle n’y vit que le reflet du mur carrelé de blanc derrière elle. Son reflet à elle s’était évanouie en même temps que son humanité, il y a une centaine d’années. Elle aurait tout donné, même sa précieuse moto, pour la possibilité de se revoir une dernière fois. Son visage était devenu un inconnu. Sa transformation avait-elle changé ces traits qu’elle avait tant admirés par vanité ? Et ces yeux dont elle était si fière, qui faisaient tourner la tête des hommes de tout âge, que renvoyaient-ils aujourd’hui ?

Elle haussa les épaules et se mura derrière une indifférence familière. À l’aveugle elle rehaussa son regard d’un smoky sombre et épais. La précision de son geste trahissait l’expérience. Elle recouvrit ses lèvres d’un noir mat et lança un baiser à son image hypothétique. Elle retourna dans la chambre attenante et farfouilla dans ses vêtements, cherchant son sweat d’Eluveitie. Le groupe passait au rez-de-chaussée du Liberté dans la soirée et elle avait une place.

Rose jeta un œil distrait à sa montre. 19 h 34. Elle avait le temps de lire quelques vers des « Fleurs du mal ». Elle n’était pas franchement friande de poésie, elle ne comprenait pas le sens profond des mots trop abstraits, mais ce livre lui était précieux. Elle ne lisait pas les poèmes, elle lisait les souvenirs qu’ils renfermaient, qui réchauffaient son cœur éteint. Ils étaient une étincelle dans l’obscurité de sa nuit éternelle.

20 h 12. Elle s’arracha aux pages jaunies du livre et le posa sur la table de la cuisine, songeuse et nostalgique. Elle attrapa ses grosses bottes montantes de cuir noir qu’elle ne sortait qu’en concert ou en festivals. La semelle épaisse la rehaussait de huit bons centimètres, lui permettant de voir la scène sans difficulté lorsqu’elle était dans la fosse.


Au bar, les heures passaient. L’alcoolémie des deux étudiants grimpait, la gaité fleurissait. Bras dessus, bras dessous, Basile et Hannah titubèrent, d’un pas plus hésitant que décidé, vers la boite de nuit. D’un geste approximatif, ils tendirent leur carte d’identité au videur qui les toisa. Sévère et intraitable. Ils retinrent leur souffle. Il hocha la tête. Le sort avait décidé que ce soir ils passeraient.

Ils dévalèrent une volée de marches, s’enfonçant au cœur de la bâtisse. Le cachet des murs de pierres n’avait pas son pareil. Elles ajoutaient à l’ambiance une dimension macabre. La musique était forte et étourdissante. Les basses vibraient, les cages thoraciques tremblaient. Les stroboscopes mitraillaient les danseurs effrénés. Il faisait chaud et les corps étaient en sueur, haletants. L’atmosphère était torride, Hannah était en transe. Son corps ondulait, indomptable. Basile n’existait plus, le monde n’existait plus. Il n’y avait plus qu’elle. Elle et Rose. Ses yeux, si clairs, si froids, par moments souriants, d’autres distants. Elle s’était perdue dans ce désert de glace. Une main la saisit, ramenant Hannah à la réalité, hagarde et confuse. Pourquoi ne pouvait-elle s’empêcher de penser à Rose. Elle l’envahissait. Une deuxième main se posa sur ses hanches. Elle ne se dégagea pas. Ces mains étaient douces et fermes à la fois. Elles l’enserraient, la pressant contre un torse fort. Des lèvres chaudes se posèrent sur sa joue, dans son cou. Hannah s’abandonna à l’étreinte. Les mains se faisaient plus insistantes. Rose. La bouche plus pressante. Rose. La douceur. Le désir. Rose, sa bouche rouge, tel un pétale onctueux, glissait sur sa peau moite. Ses mains glaciales, soyeuses, caressaient ses seins, glissaient sur ses cuisses. Rose…

Basile l’arracha brutalement à son fantasme en l’extirpant des bras d’un type. Il la tenait fermement contre elle. Hannah émergea, revint lentement à elle et prit conscience de son entourage, abasourdie. Autant que l’autre gars qui, au regard réprobateur de Basile, comprit vite son erreur.

Basile traina Hannah dehors de force.

— Mais enfin, t’es pas bien !

— Ah ! tu vois ? C’est exactement ce dont on parlait tout à l’heure.

De l’index, elle lança une chiquenaude sur son nez. Elle se dégagea gentiment, l’alcool la rendait légère, joueuse.

— Tu es trop sérieux ! Ça ne te va pas.

— Ça n’a rien à voir ! Si je n’étais pas intervenu, ce type t’aurait fait l’amour sur la piste ! Et tu n’avais pas l’air contre.

Hannah leva les mains, paumes face au ciel, les yeux pleins de malice. Basile tombait des nues. Elle découchait, elle rêvassait, elle s’abandonnait au plaisir charnel ?

— Tu n’es pas Hannah Kavanagh.

— Qu’est-ce que tu me chantes ? Tu es juste jaloux.

— Certes, mais je sais surtout que tu me caches quelque chose ! Et tu vas me dire ce que c’est.

Taquine, elle partit en sautillant.

— Peut-être… si tu m’attrapes ! lui lança-t-elle.

Il bondit derrière elle, exaspéré et amusé. Il la captura et la souleva de terre. Ils riaient ! Cette joie franche de deux jeunes enfants.


Dans la salle de concert, l’ambiance était folle. Le groupe savait animer une salle ! Les gens chahutaient, se poussaient. Ils étaient survoltés. Certains montaient sur la scène et sautaient dans la foule qui les accueillait, bras tendus. Quelques enfants, des femmes, des gringalets et parfois des types à la carrure monstrueuse. Rose les regardait faire, se tenant bien loin de la zone de turbulence. Elle avait faim et ne voulait pas prendre le risque de perdre le contrôle. Elle restait donc en retrait, stoïque. Appréciant paisiblement la sauvagerie des guitares déchainées et la rage de la batterie endiablée. Elle regardait avec passion la fougue des musiciens qui vivaient leur partition. Ils possédaient leur musique et emplissaient la salle de leur présence titanesque. Elle ferma les yeux, agitait tout juste la tête, au rythme des riffs acharnés. La vielle à roue, la cornemuse et les flutes ajoutaient une dimension celtique aux instruments classiques qui n’avait pas son pareil. C’est ce qu’elle appréciait tant dans ce groupe éclectique.

Une fois le concert terminé, elle s’éclipsa en vitesse avant que le flot de la foule ne vienne s’engouffrer dans les portes de sortie. Elle glissa les mains dans la poche kangourou de son large pull et se dirigea vers la faculté de médecine, le pas trainant. Au loin, une ambulance passa toute sirène hurlante. Rose eut une pensée pour les pauvres urgentistes qui croulaient déjà sous le travail.

Il bruinait, la pluie bretonne. Des gouttes si fines qu’elles voletaient plus qu’elles ne tombaient. Elles ne mouillaient pas vraiment. Se posaient sur les cheveux, légères, formant une couronne de perles translucides puis étaient éparpillées par le vent cinglant, elles dansaient. Rose aimait la bruine, elle lui rappelait son pays natal, déjà en Angleterre elle adorait la pluie. Petite, elle échappait à sa gouvernante et sortait sous les plus grosses averses, pieds nus, en robe de chambre. L’eau glissait sur sa peau rosée comme des milliers de petits doigts qui venaient la chatouiller. Elle en attrapa une pneumonie et resta alitée durant trois semaines interminables. Les gouttes, elle les regarda glisser sur les carreaux de son lit, se fondant les unes dans les autres. Si la mort avait pu vouloir d’elle cette fois-là… Elle se ravisa. Non, elle ne regrettait pas sa vie. Et sa dernière rencontre le lui rappelait. Hannah avait réveillé en elle quelque chose qu’elle avait enfoui et oublié depuis trop longtemps. La joie !


Un hurlement brisa la quiétude de la nuit. Basile et Hannah se redressèrent, attentifs, comme deux chats sur le qui-vive. Un deuxième hurlement, tout proche. Hannah comprit tout de suite. Une femme ! Les vapeurs d’alcool se dissipèrent aussitôt. Elle s’élança si vite que Basile peina à la suivre. Un autre cri. Il venait de la ruelle, sombre, tortueuse, isolée. Ils étaient là. Trois hommes, surplombant une petite chose recroquevillée au sol. Les mots de Rose lui revinrent : « Ils me frappèrent. Coup sur coup. ». Son sang ne fit qu’un tour. Le plus large s’apprêtait à abattre son poing. Elle l’attrapa de justesse, se surprenant de sa propre force et de sa vélocité. Désarçonné, il ne vit pas le coup venir et le front d’Hannah alla s’écraser contre la trachée de l’homme. Il recula, suffoquant. Les autres comprirent une seconde trop tard. Elle lança son genou dans les couilles du second et frappa de toutes ses forces le nez du troisième. Sa tête partit violemment en arrière, projetant une gerbe de sang.

Basile arriva enfin, à bout de souffle. Il regarda les trois brutes au sol, incrédule. Son regard faisait des aller-retour entre Hannah, tremblante et essoufflée, et les trois masses rampantes. Elle, le regard dur, presque sauvage. Eux, dégoulinants.

— Que s’est-il passé ? Mon Dieu, Hannah, ta main !

— Mademoiselle est-ce que ça va ? demanda-t-elle le plus doucement possible, ignorant Basile

La jeune femme ne répondit pas, elle avait les yeux rivés sur ses agresseurs qui s’éloignaient sans demander leur reste, le visage déformé par la peur et la souffrance.

— Tout va bien, vous êtes en état de choc, je vais appeler le SAMU. Comment vous appelez vous ?

— Élodie Chapon, bredouilla-t-elle

— Quel âge avez-vous ?

— 25 ans…

— Où sommes-nous ?

— Euh… À Rennes…

— En quelle année sommes-nous ?

— 2018…

Basile reconnaissait là la précision et la rigueur du médecin. Ses questions paraissent banales, mais lui savait ce qu’elles cherchaient. Il la regarda éclairer les pupilles de la jeune femme à l’aide de son téléphone, puis taper le 15.

— Basile va te poster à l’entrée de la ruelle, il faut que tu puisses les guider ! Oui bonjour, je m’appelle Hannah. Je suis étudiante en médecine. Je me trouve à deux ruelles du Délicatessen. J’ai avec moi Élodie Chapon, 25 ans. Victime d’agression par trois hommes. Elle n’est pas confuse, elle sait où nous sommes et quel jour nous sommes. Je ne retrouve pas de plaies ouvertes. Son visage est tuméfié, la pommette gauche semble cassée et certainement la mâchoire également. Elle ne semble pas avoir perdu connaissance. Le réflexe photomoteur est normal aux deux yeux. Je l’ai adossée au mur. Je fais quoi en vous attendant ?

— Restez avec elle et assurez-vous qu’elle reste éveillée. Je vous envoie un SMUR au plus vite. L’équipe soignante sera en relation avec vous dès qu’ils partent. Si elle perd connaissance d’ici là, rappelez immédiatement. Ne lui donnez rien à boire ni à manger ! Merci de votre appel.

— Vous êtes quelqu’un de bien, souffla Élodie.

— Ce que vous ont fait ces hommes est abject. Je ne pouvais pas rester là sans rien faire.

La jeune femme hocha faiblement la tête. Elle ferma les yeux et se laissa doucement glisser dans l’inconscience. Hannah tenta de la réveiller, mais elle ne répondit pas. Elle cota le score de Glasgow, il était beaucoup trop bas ! La jeune femme réagissait à peine à la douleur. Elle réévalua les pupilles et constata avec crainte que la gauche était dilatée. Très mauvais pronostic, quelque chose comprimait le cerveau.

— Je vous rappelle au sujet d’Élodie, 25 ans, agression. Son état s’est dégradé de manière alarmante.

— Les secours sont tout près ! préparez-vous à masser.

Lorsque les urgentistes arrivèrent, menés brillamment par Basile, Hannah venait tout juste de commencer les compressions thoraciques.

— Deux minutes de « no flow » ! annonça-t-elle.

Ils prirent la relèvent, efficaces, synchrones. Le défibrillateur, l’intubation, le brancard. Tout y était. En trois minutes, elle était dans l’ambulance et filait vers l’hôpital Pontchaillou.

La ruelle était calme à nouveau, la nuit avait repris ses droits. La pluie, devenue plus drue, lavait le pavé du sang des trois agresseurs. Basile jeta un regard en coin à son amie. Hannah restait interdite, insondable. Elle était debout, les bras ballants, le visage fermé.

— Ta main ! Tu pisses le sang ! On aurait dû les suivre.

Elle le regarda d’un air absent. Oui, sa main était cassée. Dans le feu de l’action, elle ne l’avait pas senti.

— On ira aux urgences demain, ça peut attendre. Je n’ai qu’une envie, c’est dormir.

— Tu as de quoi l’immobiliser en attendant ?

— On trouvera bien, répondit-elle hébétée.

Elle se mit en route. Basile lui emboita le pas, lui aussi avait hâte de rentrer.


Rose était arrivée devant son bureau, trempée. Elle s’acharna encore sur le verrou, entra et s’assit sur son fauteuil, une jambe repliée sous elle. Une longue nuit de recherches s’annonçait. Elle devait trouver des réponses aux multiples questions concernant Hannah. Elle resta immobile un long moment, une statue de marbre, elle réfléchissait. Il fallait qu’elle teste l’activité enzymatique des globules rouges d’Hannah, c’est-à-dire l’état de fonctionnement de la machinerie cellulaire. Qu’elle le compare à la sienne. Il fallait également qu’elle observe les systèmes d’adaptation des cellules aux différents stress qu’elles pouvaient subir, cela lui permettrait de mieux comprendre les phénomènes de régénération auxquels Hannah était sujette. Dans le même temps, elle testerait les éléments auxquels elle-même était vulnérable. Rose se leva, elle avait du pain sur la planche !


Le petit jour se glissa dans l’appartement d’Hannah. Le soleil était bas, le ciel clair et dégagé. Des vêtements jonchaient le sol, jetés hâtivement. Hannah et Basile s’étaient effondrés.

Le jour était déjà bien avancé lorsqu’Hannah se leva. À demi nue, vaseuse, elle se fit couler un café noir. Une carafe entière. Elle le sirota, restant adossée à son plan de travail, ignorant la chair de poule. Elle contempla Basile, son pitre favori. L’étudiant en médecine le moins sérieux qu’elle connaissait. Issu d’un milieu aisé, il faisait tout dans l’excès. Soirées, dépenses, sorties… Aucune notion de la véritable valeur des choses. Elle était son garde-fou, sa bonne fée.

Le voir dormir, si paisible, insouciant, l’apaisa. Lui était son havre de paix. Il s’agita.

— Yo ! Comment va ta main, p’tite tête ? marmonna Basile en s’étirant.

C’est vrai tien ! Ça lui était sorti de l’esprit. Elle ôta le bandage. Intacte. Pas même une ecchymose. Elle la bougea doucement. Aucune douleur, aucune limitation de mouvement, rien. Basile la regarda faire, incrédule. Il se frotta les yeux, il devait encore dormir…

— Elle n’avait rien finalement ! dit Hannah, soupçonnant ce qui s’était passé, mais ne voulant rien révéler.

— Non, j’ai bien vu quand tu l’as bandée hier soir, t’avais les doigts complètement déformés !

Hannah serra les dents. Elle mentait peu, difficile de dissimuler un aussi gros poisson sans expérience. Basile était loin d’être sot. Elle ne songeait plus à garder Rose pour elle, elle souhaitait honorer son amitié.

— Assieds-toi.

Il obtempéra, étonné. Il avait perçu l’air grave de son amie.

— Ce que je vais te raconter va te paraitre dingue. Tu vas croire que je suis devenue folle. S’il te plait, écoute-moi jusqu’au bout.

— Tu me fais peur… autant de pincettes pour une main cassée ?

— Pas qu’une main, Basile. Je crois que je ne suis pas humaine.

Il éclata de rire et tomba à la renverse. Hannah attendit qu’il se calme. Il allait lancer une connerie, mais se ravisa devant son air sombre. Elle lui raconta tout. L’accident, son réveil, son entretien avec Rose. Elle parla du compte-rendu des urgences, des différentes lésions qu’elle aurait dû avoir. Elle garda pour la fin le versant Anhumain. Au fur et à mesure du récit, l’air de Basile changea, son sourire s’effaça. Il l’écoutait attentivement.

— Et je pense que ma main a dû guérir durant la nuit, tout comme mon corps après l’accident.

— Je suis rassuré.

Hannah leva un sourcil.

— Ce n’était pas un garçon ! On m’a rendu mon Hannah. Je croyais t’avoir perdue un moment.

Elle soupira et se laissa tomber à côté de lui.

— Tu m’épuises… C’est tout ce que tu as retenu ?

— Non, j’ai surtout retenu que le monde dans lequel nous vivons est quand même bien bad ass ! Des vampires et des loups-garous ! Mortel ! dit-il complètement survolté. Je veux en être !

— Ben voyons !

— Mais si attends ! Si t’es l’une des leurs, tu ne vas vivre que la nuit et on ne se verra plus !

— Je ne suis pas l’une des leurs, je te l’ai expliqué. Rose ne sait pas ce que je suis, elle est en train de faire des recherches.

— Et bien nous aussi on va faire nos recherches ! Un vampire tu dis, hein… ?

Il se frotta le menton, la cervelle en ébullition. Son visage s’illumina. Il attrapa deux pommes de la corbeille de fruits et en lança une à Hannah.

— Chacun de nous allons serrer cette pomme le plus fort possible, le but étant de la faire éclater. T’es prête ?

Hannah hocha la tête. Elle ferma la main d’un coup sec. La pomme explosa, aspergeant Basile de jus. Elle regarda la purée, stupéfaite. Lui s’acharna. La pomme lui résista.

— OK je pense que l’on va tester avec quelque chose qui t’opposera plus de résistance !

Il fila à la salle de bain. Hannah l’entendit trifouiller et il revint, un savon dans la main, fier de sa trouvaille.

— Tiens, même chose, écrase-moi ça.

— Tu sais qu’il te faudrait quelque chose qui mesure la force que j’exerce pour que ce soit vraiment scientifique ?

— Désolé j’ai oublié mon newton-mètre chez mes parents ! Allez, réduis-moi ça en purée !

Hannah s’exécuta. Le résultat fut le même. Basile hocha la tête, satisfait.

— Habille-toi, suis-moi.

— Qu’est-ce que tu mijotes ?

— Tu verras, aller vient !

Il était tout excité. Ils sautèrent dans le bus, descendirent à la fac et s’arrêtèrent sur le terrain de sport.

— Mais où tu nous traines comme ça ?

— On va tester ta vitesse !

Il la chronométra sur 100, 200 et 1000 mètres. Étourdissant. Elle filait telle une gazelle pourchassée par le roi des animaux. Il la fit recommencer à plusieurs reprises, n’en croyant pas ses yeux.

— Alors ? demanda-t-elle, à peine essoufflée.

— 8 ’’ 77, 17 ’’ 56, 1’47’’…

— Ça ne me dit pas grand-chose, Basile.

— Mais tu viens d’exploser tous les records du monde !!

Il ne contenait plus sa joie, secouant Hannah, expliquant quels étaient les temps de chacune des distances. Elle commençait à réaliser. Voilà les aptitudes dont Rose avait parlé. Elle tiqua, frustrée. Elle n’était qu’une pâle copie d’un véritable vampire ! Sa vitesse n’avait rien à voir avec celle de Rose.

— Je ne suis qu’un humain amélioré !

— Attends ! Ce ne sont que les débuts de nos tests !

Basile la soumit tout l’après-midi à tout ce qui lui passait par la tête. Les surfaces réfléchissantes lui renvoyaient son image, elle n’était pas allergique au soleil… Bien qu’elle évoquât ses doutes sur l’allergie à l’ail des vampires, Basile insista pour lui en faire sentir et ingérer une gousse crue. Durant les différentes expériences, elle s’était plusieurs fois blessée ou cassé quelque chose. Chaque fois, son corps cicatrisait. Il semblait régénérer exactement ce qu’il dépensait ou perdait.

— Allez… on rentre, arrête de t’acharner… dit-elle. Je suis indestructible !

— Juste une dernière ! Tout le monde sait que les vampires peuvent hypnotiser leurs victimes. Vas-y ! Demande-moi de faire quelque chose !

— Lèche-toi le coude gauche en sautant à clochepied.

— Non, mais sérieusement !

Elle soupira. Mi-amusée, mi-exaspérée. Elle se campa devant lui et fit d’étranges arabesques avec les mains :

— Tu es maintenant sous mon contrôle… dit-elle en imitant un fantôme.

— Je ne pense pas qu’ils s’y prennent comme ça ! la coupa-t-il, moqueur.

— Tais-toi ! C’est pas toi l’apprenti vampire !

Elle ferma les yeux et inspira profondément. Elle le visualisa se léchant le coude en sautillant. Elle se concentra, les secondes restèrent en suspens. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, son air avait changé. Dur, froid. Elle plongea ses yeux dans ceux de Basile et le regarda fixement. D’une voix monotone, sèche et sans âme, elle lui ordonna ce qu’elle voulait. Il s’exécuta immédiatement. En silence. Son visage était devenu vide, inexpressif, ses gestes robotiques.

— Allez, arrête tes bêtises, tu me fais marcher ! Elle était redevenue elle-même.

Il ne s’arrêta pas. Embêtée, elle tenta de lui dire des mots bien précis, mais rien n’y fit. Il se dandinait inlassablement, essayant désespérément d’atteindre son coude. Elle ferma les yeux et tenta de retrouver le même état.

— Je te demande de t’arrêter.

Il stoppa net et revint à lui.

— Ben alors tu attends quoi ?

— Tu ne te souviens pas ?

— De ?

— Bah ! tu as fait ce que je t’ai demandé !

Il ne la croyait pas. Pour le lui prouver, elle recommença et filma toute la scène.

— Incroyable ! Eh, t’imagines ce qu’on vient de découvrir ?

— Je t’avoue que je suis scotchée autant que toi !

— Faut que tu deviennes psy, tu soigneras les fous.

— Tu dis n’importe quoi ! Bon aller, je rentre moi, je rêve d’une bonne douche et d’un lavage de dents… !

— Tellement ! J’espère que tu n’as pas un odorat trop fin parce que je dois bien puer ! Tiens, on n’a pas testé…

— Stop ! On rentre !

Elle lui fit une accolade et s’éclipsa avant qu’il ne revienne à la charge.


L’eau chaude glissait comme une caresse réconfortante entre ses omoplates et finissait sa course au creux de ses reins. La vapeur d’eau l’enveloppait comme un nuage de douceur, une bulle hors du temps et de l’espace. La tête penchée sous le jet, une idée avait éclos au fond de son cœur, grandissait. Rose l’avait-elle envoutée ? C’est vrai, quelle autre raison pourrait expliquer son obsession pour la jeune femme ? Si ses nouvelles facultés n’étaient qu’une infime partie de celle d’un véritable vampire, quelle était la puissance d’hypnose de Rose ? À plusieurs reprises son regard avait été insistant et glacial. Mais dans ce cas, pourquoi l’avoir hypnotisée pour qu’elle pense à elle ? Cela n’avait aucun sens ! Mais si elle n’avait pas été hypnotisée, pourquoi penser à elle ? Cela aussi n’avait aucun sens. Hannah soupira. Ce n’était pas son genre de se poser autant de questions. Elle aimait profiter du moment présent et sauter vers le suivant. Ne pas regarder où elle allait, simplement se laisser emporter sans se soucier de rien ! Pas perdre son temps en jérémiades et en ruminations inutiles.

Elle sortit de la cabine, agacée, et s’enroula dans une serviette. Sortant de la petite salle d’eau, elle contourna son lit et attrapa un pyjama dans la penderie en bazar.

— J’ai faim.

Elle manqua de se prendre les pieds dans les vêtements au sol.

— Qui a parlé ?

— Moi, qui d’autre ?

Sur la couette, son gros chat roux la regardait intensément. Elle soutint son regard, mais il ne sourcilla pas.

— Ne reste pas plantée là. J’ai faim.

C’était bien lui qui avait parlé.

— Ah non ! Pas toi aussi, Andropause ! Ne m’annonce pas que tu es un Anhumain, que tu vivais sous mon nez depuis le début et que tu étais au courant de tout !

— Si.

Dans le mille. Elle en resta sans voix, les bras lui en tombaient.

— Un Métamorphe pour répondre à ta prochaine question. Un Sans-visage.

— Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ? Pourquoi il a fallu attendre que je me fasse passer dessus par un poids lourd pour apprendre tout ça ? s’énerva-t-elle.

— Ce n’était pas le moment.

— Comment ça, « ce n’était pas le moment » !

— Pas maintenant, j’ai faim.

Ébahie, elle le regarda s’assoir à côté de sa gamelle, attendre patiemment qu’elle daigne lui verser des croquettes. Métamorphe ou pas, il savait faire le chat !

Rose ne lui avait rien dit sur cette espèce et ils apparaissaient peu dans le folklore cinématographie ou littéraire. Elle les voyait comme des loups-garous améliorés, s’imaginant qu’ils pouvaient choisir leur forme à leur guise. Elle regarda ce gros matou, le poil touffu, long et soyeux. Elle l’avait trouvé il y a cinq ans lorsqu’elle était en première année. Chaton errant et affamé. Alors qu’en fait cette crapule cherchait peut-être volontairement à attirer son attention !

— Bon ! Gros tas ! Tu m’expliques maintenant ?

— Je sais tout.

— Tu sais tout… ? répéta-t-elle sans comprendre.

— Je sais tout, redit-il sur le même ton.

— Tu ne m’expliques rien là.

— Je peux difficilement faire plus clair. Je sais tout. Je suis omniscient.

— Tu vois l’avenir ?

— C’est plus large que ça encore. J’ai toutes les connaissances du monde, seulement il m’est interdit d’en parler.

— Ah. Dommage.

— Non. Il m’est interdit d’en parler. Je peux agir comme je l’entends.

— Je vois, tu es une sorte de guide spirituel ?

Il semblait soupeser la comparaison.

— Je pense qu’on peut le voir comme ça.

— Et pourquoi Métamorphe ou Sans-visage ?

— Car nous sommes des entités ectoplasmiques inertes, informes, incolores, inodores. Nous nous superposons à un être vivant, et cohabitons avec lui jusqu’à sa mort. Lorsque notre hôte décède, nous en trouvons un autre.

— C’est horrible !

— C’est indolore.

— Mais vous volez un corps ! s’indigna-t-elle.

— Non. Je ne suis pas Andropause, ton chat. Nous cohabitons, je te l’ai dit. Comprends-nous comme deux êtres à part entière dans un seul corps. Nous ne pouvons pas nous exprimer en même temps. Lorsque l’un est présent, l’autre dort.

— Et vous êtes nombreux ?

— La quasi-totalité des chats et des chiens est des Métamorphes. Les chevaux, et les lapins de temps à autre. Rarement d’autres animaux.

Hannah hocha la tête encore sous le choc. Alors les animaux de compagnie étaient véritablement des guides spirituels.

Elle n’était pas effrayée, ni perplexe ou dubitative, simplement intriguée. Une curiosité grandissante. Elle s’installa face à Andropause sur le lit et le harcela de question. Il était avare en détail. Court, précis, concis. Il parlait d’une voix neutre, sans intonation, sans jugement, sans colère. Il n’y avait rien de triste ou de joyeux, seulement l’objectivité des faits.

Il expliqua que les Sans-visages étaient un peuple pacifique et désintéressé. Ils avaient choisi d’accompagner les pas de ceux qui en avaient besoin, souvent grâce au chat par sa compagnie calme et reposante. De remettre sur la bonne voie ceux qui s’étaient perdus, comme pourrait le faire un chien d’aveugle. Ils œuvraient dans l’ombre pour la paix, discrets et invisibles. Certains d’entre eux avaient joué de grands rôles dans l’histoire de l’homme ; Moskva, le chien de Gorbatchev, était un Sans-visage. Et qui sait, si sans lui, l’Allemagne ne serait pas encore déchirée en deux.

Le Métamorphe qui habitait Andropause avait choisi Hannah. Il connaissait la complexité de son avenir et avait décidé d’être à ses côtés, de la soutenir dans son parcours. Une bouée de sauvetage, un halo de sérénité sur lequel elle pourrait toujours compter.

— En somme, tu me facilites la vie, parce que toi tu peux me parler. Ce n’est pas de la triche ?

— Non. Je ne te facilite pas la vie. Je t’évite de pénibles détours. Vois la vie comme un chemin : pour tous, il est, malgré ses tournants et ses obstacles, rectiligne. Chacun le parcourt à sa vitesse, mais tous le subissent de façon égale. Seulement ce chemin n’est pas tracé de manière parfaitement visible et certains s’en trouvent éloignés et arrivent sur un tout autre sentier. Abrupt, étroit, sinueux. Un sentier éreintant, semé d’embuches et de pièges, parfois même de retours en arrière ou de voies sans issue. Si je te rendais la vie plus facile, je t’indiquerais un raccourci du premier chemin. Ta vie deviendrait fade, sans surprises, sans chutes. Aucun moyen de se relever et de progresser. Or, mon aide te permet de rester sur ce chemin, de t’empêcher de t’égarer. C’est mon rôle, et celui de tous les autres sans-visages. Je te laisse te débrouiller seule face aux épreuves que la vie t’impose. Je n’interviens que si je te sens glisser vers ce second sentier.

Il n’avait jamais parlé aussi longtemps et son explication était étonnement longue et abstraite.

— Qu’est-ce que tu appelles le second sentier ?

— L’abandon. Baisser les bras t’amène inexorablement sur le second sentier.

— Donc ton histoire de chemin, c’est en quelque sorte une allégorie de la motivation, précisa-t-elle pour être sure d’avoir bien compris.

— Oui. Je pense que l’on peut l’entendre comme ça.

— Mais ce n’est pas équitable, que fais-tu de ceux qui n’ont pas de Sans-visage à leur côté ?

— Ils n’en ont pas besoin. Ils sont assez clairvoyants pour rester sur la route principale. Seuls.

— Ceci dit, quand on y réfléchit, il n’y a pas tant de personnes que ça à n’avoir ni chats, ni chiens, lapins, rats, chevaux, ou tout autre animal de compagnie !

Andropause cligna des yeux en signe d’approbation.

— Et qu’en est-il des autres Anhumains ?

— Que veux-tu savoir ?

— Raconte-moi un peu leurs différentes caractéristiques. Qui sont-ils ?

— Par qui veux-tu que je commence ?

— Les Mageresses ! Cette communauté faite uniquement de femmes m’intéresse.

— Oui, la magie n’investit que les femmes. Elle est une entité quantifiable. Son volume est stable. Il n’y en a ni plus ni moins. À la mort d’une Mageresse, une jeune fille est investie de l’exacte quantité de magie que possédait la défunte. Une fois l’investiture faite, la jeune fille est amenée devant le conseil du Coven et a le choix : garder ou non sa magie.

— Incroyable ! Ça a l’air d’être une communauté juste et bienveillante, dit Hannah enthousiaste.

— Non. Elles sont sévères, sournoises et belliqueuses, comme les lycanthropes. Seulement, eux sont sauvages, leur manière de penser est brute, plus simple à appréhender. Beaucoup ne vivent qu’exclusivement sous leur forme animale, car très peu arrivent à garder une vie humaine après leur transformation.

— Ah, je ne me l’imaginais vraiment pas comme ça ! Comment arrivent-ils à rester discrets s’ils sont si peu disciplinés ?

— Les vampires. Ils se sont autoproclamés gardiens de l’équilibre entre humains et Anhumains.

Hannah crut percevoir une pointe de quelque chose dans son ton. Du dégout ? De la colère ? Du dédain ? Il ne semblait pas apprécier les vampires.

— Les lycanthropes ont grossi leurs rangs et décimé une grande partie de la France au début du moyen âge. Effrayés d’être submergés et de perdre leur première source de nourriture, les vampires les ont chassés presque jusqu’au dernier. Encore aujourd’hui, il existe une milice anti-lycans. Ils ne les tuent plus, ils les enferment à présent.

— Je vois… c’est assez sombre tout ce que tu me racontes. J’étais excitée de découvrir tout ça, mais là tu m’as un peu refroidie.

— Pourtant tu en fais partie maintenant.

Il n’ajouta rien. Hannah attendit plus d’explications, mais rien ne vint. Elle tenta de lui tirer les vers du nez, mais il refusa catégoriquement de lui donner le moindre indice sur ce qu’elle était. Cette crapule était plus têtue qu’elle-même !

Elle se laissa tomber à la renverse. Elle en faisait partie. Elle avait du mal à s’en rendre compte. Et maintenant quoi ? Elle haussa les épaules, maintenant il était temps de travailler ! Elle soupira longuement, il ne lui restait qu’une semaine avant les examens, une toute petite semaine pour être parfaitement au point. Neurologie, neurochirurgie, médecine physique et réadaptation, ORL, ophtalmologie, psychiatrie, addictologie. Seulement sept jours, 168 heures, dont 56 de sommeil, c’est à dire 112 heures d’éveil… Hannah s’était endormie sur son calcul, la main tendue vers son référentiel d’ORL. Andropause, à nouveau lui, alla s’installer sur sa poitrine. Il ronronna paisiblement et s’endormit à son tour.


Une caresse glissa le long de son échine, traçant une ligne froide. Hannah sourit. Une autre le long de sa cuisse. Hannah s’agita. Les doigts gelés courraient sur sa peau maintenant moite. Hannah frémit. Des lèvres froides effleurèrent les siennes. Les mains continuèrent leur course sur ses seins, le bout des mamelons. Hannah soupira. Elles descendirent doucement, frôlant à peine sa peau. Un souffle une idée… L’une d’elles se glissa brièvement sous son bas de pyjama… Hannah se réveilla en sursaut, haletante. Ce n’était qu’un rêve ! Juste un rêve ! Un rêve criant de réalisme… Son corps était encore en sueur, les cheveux collés au visage. Et cette douce chaleur dans le bas ventre… C’était son premier rêve érotique. Elle sentait encore les traits froids dessinés sur sa peau. Elle savait à qui appartenaient ces doigts et en était terriblement gênée. Elle secoua la tête pour chasser ses pensées. Chasser ces doigts qu’elle voulait pourtant retrouver.

Elle regarda son téléphone, exaspérée. 3 h 20. « Je suis une enfant de la nuit, que veux-tu ». Elle pinça les lèvres. Sa voix l’envahissait, elle était omniprésente. Agacée, elle attrapa son casque, sélectionna sa playlist Hardrock/Metal et mit le volume à fond. La manœuvre eut l’effet escompté, elle oublia Rose et fut emportée par les riffs de guitares survoltées. Au bout d’une heure, elle tomba de sommeil et dormit d’une traite jusqu’au matin.

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