Chapitre 1
Au fin fond d'une contrée que même les corbeaux les plus égarés semblaient avoir oubliée, s'élevait le château de la Naapride Gnarlenette. Cette petite noble d'une laideur à vous faire tourner l'estomac était l'héritière d'un royaume si délabré qu'on le disait hanté par les relents de la misère elle-même.
Le visage boursouflé de Gnarlenette évoquait un tas de chair faisandée, comme un steak trop cuit qu'on aurait piétiné dans la boue. Ses dents jaunesses et tordues lui déchiraient les babines quand elle articulait le moindre mot dans un souffle fétide à faire chanceler les branches. Ses cheveux gras et ternes pendaient en mèches poisseuses autour de son faciès disgrâcieux.
Pourtant, outre les mouches obsédées par ses relents de putréfaction, pas une âme n'osait se moquer de la Naapride. Car elle était la digne descendante d'une lignée de créatures si immondes, que même les outre-tombes les plus corrompus semblaient frais en comparaison.
Chaque matin, Gnarlenette se contemplait dans l'unique miroir encore intact du château - une antique glace au cadre couvert de toiles d'araignées poussiéreuses. Et elle ne manquait jamais de lui adresser la même question d'une voix à briser les vitres :
"Ô toi, mon beau miroir !! Qui est la plus vomitiveee créature que cette misérable contrée ait jamais vue ?"
À quoi le miroir magique répondait invariablement d'une voix morcelée par la crasse :
"Ma Naapride, tu es bien l'être le plus fangeux, purulent et fétide à avoir pollué ce royaume...Nulle autre écœurante personne ne saurait t'égaler."
Ce à quoi Gnarlenette ne pouvait s'empêcher de sourire d'un air satisfait, ses lèvres découvrant un rideau de chicots aussi attirants qu'un parterre de moignons survivants.
Et elle vaquait alors à ses occupations répugnantes, se complaisaint dans la certitude réconfortante que nulle immondice de cette terre ne pourrait jamais l'éclipser en termes de dégoûtation visuelle et olfactive.
Mais voilà qu'un beau jour...oh pardon, rien n'est jamais vraiment "beau" dans cette contrée miséreuse. Voilà donc qu'un jour comme les autres, où les mouches étaient de sortie pour se délecter du fumet de crasse séculaire du château, le miroir émit soudain une voix chevrotante :
"Ô ma souveraine, ô ma Naâpride...une nouvelle venue point à l'horizon, une fraîche arrivante dont l'épouvantable aisance réputée défie jusqu'aux tares qui te rendent si précieuse !"
Le teint boursouflé de Gnarlenette vira alors à l'écarlate tandis que ses narines palpitaient de fureur. Une furie jalouse l'étreignit à l'idée qu'une quelconque ordure pourrait lui voler la vedette de celle qui incarne le mieux l'abomination de ce monde :
"Qui est cette...créature ? Qui ose me défier au titre de l'être le plus immonde et purulent de ces valléees ?!"
Le miroir prit un air désolé avant de répondre :
"Il s'agit de la jeune Blanche-Crotte...une enfant des bois à la peau si terreuse qu'on la croirait née d'un tas de fumier. Ses cheveux grisâtres et crasseux sont le fief des pires nuées de poux..."
Rien qu'à ces mots, les pupilles de la Naapride s'arrondirent de dégoût :
"Par les eaux stagnantes du royaume ! Une telle larve ne saurait me voler la vedette !!!"
Et sur ces mots, Gnarlenette convoqua ses plus loyaux sbires crasseux pour traquer cette Blanche-Crotte dans les parages. Des mercenaires d'une laideur à tomber eux-mêmes de dégoût furent envoyés à sa recherche...
Dès que sa piste fut retrouvée par ses éclaireurs aux bouches d'égout, Gnarlenette convia ses plus vils lieutenants pour un abject conciliabule. Réunis autour d'une table rongée par les mites, ces êtres immondes dégageaient des relents à faire s'évanouir une famille de charognards.
"Cette...Blanche-Crotte doit disparaître sur le champ !" tonna Gnarlenette d'une voix qui fit s'envoler des nuées de mouches. "Nul autre spécimen aussi infâme que moi ne sera toléré dans ce royaume !"
Un mastard bedonnant et luisant de crasse opina en reniflant d'un air entendu :
"Peut-être pourrions-nous tout simplement la capturer, Altesse Répugnante ? L'exhiber dans une cage aux cotés des autres erreurs de la nature que vous avez collectées ?"
Mais Gnarlenette rejeta cette proposition d'un revers de main qui fit s'envoler quelques pellicules de ses manches rapiécées :
"Pastokepas ! Cette Blanche-Crotte représente un danger bien trop grand pour la suprématie de ma propre immondité. Non, il faut...que je l'absorbe !"
Un silence de cathédrale en ruine tomba sur l'assemblée de vermines, jusqu'à ce qu'un garde au visage boursouflé comme une crêpe trop cuite ne laisse échapper :
"L'absorber...Votre Gracieuseté veut dire que...?"
Gnarlenette répondit d'un ton sans réplique, ses croûtes de boutons se plissant en un rictus avide :
"Je veux que vous me l'ameniez vivante, tout en prenant soin de ne pas trop l'abîmer. Je compte dévorer cette Blanche-Crotte tout entière, lacérer ses chairs immaculées avec mes dents, m'en délecter jusqu'à la dernière brioche terreuse ! Engloutir son abjection pour qu'elle ne fasse plus qu'un avec ma propre essence de Naapride suprême !"
Des haut-le-coeur parcoururent les rangs des sbires présents à cette déclaration d'intentions. Mais nul n'osa contredire la souveraine déchue de ces lieux, de peur de subir un sort aussi atroce que cette malheureuse Blanche-Crotte.
"Allez les larves !" beugla Gnarlenette. "Ramassez-moi cette franche dans les plus brefs délais !! Il n'y a pas une seconde à..."
Elle fut soudain interrompue par un violent hoquet qui la plia en deux. Pendant quelques secondes, la Naapride parut comme prise de terribles convulsions, ses joues se gonflant au point de ressembler à des outres. Puis, dans un rot tonitruant qui arracha un noeud de mouches du plafond, elle expulsa un épais filet de substance verdâtre et gluante qui s'abattit en une flaque nauséabonde sur le sol de pierre.
Les sbires lui jetèrent des regards dégoûtés et paniqués, mais Gnarlenette se redressa, ses cheveux dégoulinants de cette bave immonde dont elle s'essuya goulûment les lèvres :
"Peu importe...retrouvez-moi cette Blanche-Crotte, ou ce sera vos entrailles qui me serviront de prochain encas !"
Sur ce charmant avertissement, la meute d'écœurantes créatures s'empressa de déguerpir, bien décidée à ne pas subir le même sort que la jeune fille qu'ils allaient ramener à leur maîtresse...
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