Partie 3
Je me réveille avec une horrible douleur dans tout le corps. Ma vue est floue pour le moment, mais je perçois clairement le métal froid de la chaise sur laquelle je suis assis.
Un grognement m'échappe sous le tiraillement de mes pauvres muscles endoloris :
- Alors tu te réveille enfin ? J'ai bien cru que tu étais mort à force tu sais.
La voix semble venir de loin, mais je reconnais clairement le timbre féminin de celle-ci. Elle est agressive et semble en colère :
- Que... Qui êtes-vous ? Où suis-je ? je demande faiblement.
La vue me revient finalement et je distingue beaucoup mieux ce qui m'entoure. La pièce est petite, avec des murs faits de briques et éclairée par des torches en métal :
- Feren, c'est moi Ormë, tu ne me reconnais donc pas ?
Je tourne la tête vers mon interlocutrice. C'est effectivement une femme, avec la peau d'un noir de jais et des cheveux courts et hirsutes. Leur couleur est d'un rouge intense et brulants, tout comme ses yeux. Quelque chose dans ma tête qui me vient de je ne sais où, m'indique qu'elle est la représentation physique de la Colère :
- Tu... Tu es Colère ? je souffle d'une petite voix.
Elle hoche la tête pour me répondre et elle s'approche ensuite de moi :
- Alasseï disait donc la vérité quand il a affirmé que tu ne te souvenais de rien. C'est intéressant, et moi qui pensait qu'il mentait pour te protéger.
La mémoire me revient assez rapidement en entendant ses mots et je m'inquiète tout de suite pour Alasseï :
- Où est-il ? Est-ce qu'il va bien ?!
La femme me regarde avec un air étonné avant de soupirer :
- Tu te fais du souci pour lui alors que c'est toi qui es attaché à une chaise ? Tu ne serais pas un peu maso sur les bords Feren ?
Je réalise qu'elle a raison et j'essaie, par pur réflexe, de me libérer même si je sais que ça ne changera rien :
- Pourquoi je suis ici ? je demande en la regardant droit dans les yeux, je ne veux pas qu'elle croit que j'ai peur d'elle.
- Parce que Vilissë t'a capturé et qu'il veut pouvoir profiter de toi pendant que tu es entre ses mains.
- Et toi ? Tu l'aides ? Tu es avec lui ?
- Non, dit-elle d'une voix exaspérée, moi je viens juste te voir pour te dire adieu, vos querelles ne me regardent pas et j'ai autre chose à faire que de prendre partit pour l'un ou l'autre.
- Alors tu ça ne te fais rien que je meurs ? je demande avec l'espoir qu'elle change d'avis et me détache.
Colère hausse les épaules et s'adosse contre le mur en me regardant droit dans les yeux, j'ai l'impression de sentir le feu de son Péché me bruler de l'intérieur :
- Non, parce que si tu meurs, le Maître te remplacera tout simplement, c'est pour ça qu'on évite de s'attacher les uns aux autres. Nous savons que si nous disparaissons il créera un autre nous.
Je la regarde avec les yeux écarquillés, alors c'est tout ? Je vais mourir et je serais remplacé par un autre ? Cette idée me brise tout simplement le cœur car je sais que cela rendra Alasseï triste et je n'ai pas envie qu'il le soit :
- Mais alors... Pourquoi on est immortels si on peut mourir ? je demande en tentant de cacher les sanglots qui menacent d'exploser dans ma voix.
- Nous ne sommes pas totalement immortels, le temps n'a pas d'emprise sur nous ainsi que toutes les armes humaines. Cependant nous pouvons nous tuer entre nous, tout comme le Maître peut mettre fin à notre vie s'il le désire.
Je déglutis, je ne veux pas mourir, quelque chose au fond de moi me pousse à refuser cette possibilité. Je regarde Colère alors qu'elle tourne les talons pour sortir et je me retrouve seul dans la pièce qui me semble encore plus froide et humide qu'avant.
J'ai mal aux poignets et aux chevilles à cause de mes liens. Je respire lentement pour essayer de garder mon calme. Il ne faut pas que je panique, si je le fais, je ne trouverais jamais le moyen de m'en sortir. Analysons la situation. Je suis ligoté sur une chaise, dans une pièce totalement vide avec une ampoule et une porte sans doute fermée à clé... Bon, c'est mal parti. Je n'ai pas d'autre choix que d'attendre que quelqu'un vienne me chercher et même si je sais que ça n'arrivera pas, je ne peux pas m'empêcher d'espérer que ce soit Alasseï.
***
J'ai l'impression qu'une éternité est passée quand la porte s'ouvre de nouveau sur... Un poireau, je ne vois que ça pour décrire la personne en face de moi. Tout son corps est longiligne et pâle comme la mort. Mais ses yeux et ses cheveux sont d'un vert intense.
« Le vert de la jalousie » voilà la pensée qui me vient à l'esprit quand je le vois, car oui c'est sans nul doute Vilissë. Il est vêtu d'un costume trois pièces entièrement noires et son regard froid se braque sur moi, ses longs cheveux attachés en une queue de cheval lâche dans son dos :
- Feren, comme on se retrouve, j'espère que tu es bien installé dit-il d'une voix glacial et coupante comme une lame de couteau.
Ses yeux me fixent d'un regard haineux et cruel, je n'arrive pas à m'empêcher d'avoir peur. Il va me tuer lentement et douloureusement, c'est une certitude qui percute mon esprit de plein fouet :
- Vilissë... Écoute je ne sais pas ce que je t'ai fait mais je suis désolé d'accord ?
Il ricane et s'approcher de moi, il me donne une violente gifle et je grogne de douleur, j'ai le goût du sang dans ma bouche. Il attrape mes cheveux et les tire pour me forcer à le regarder :
- Je n'en ai rien à faire que tu sois désolé, tu as pris quelque chose qui était à MOI ! Et personne ne me vole ce qui m'appartient ! Personne tu entends !!!
Son poing s'écrase sur mon ventre et je grogne de douleur, le souffle coupé. Il me faut de longues minutes pour retrouver un semblant de respiration et trouver le bon rythme pour minimiser la souffrance :
- Je vais te tuer très lentement et très douloureusement, je vais savourer ton agonie et faire en sorte qu'elle dure aussi longtemps que possible dit-il d'une voix dangereusement douce. Et quand tu me supplieras de te tuer, je ne le ferais pas, et je peux te garantir que tu regretteras d'avoir pris ce qui m'appartenait !
Je ne doute pas un instant de la véracité de ses paroles. Je lutte pour ignorer la douleur de mon ventre et je me contente de le regarder, je ne peux pas parler j'ai trop mal pour ça.
Il me regarde avec une haine non dissimulée. J'ai peur qu'il me frappe encore... Mais il ne le fait pas et sort. Je ne comprends pas pourquoi il me déteste à ce point, qu'est-ce que j'ai bien pu faire de mal ?
***
Les jours suivants, enfin je pense car je n'ai pas vraiment la notion dans temps. Il n'y a rien pour marquer les heures. Je meurs de faim, personne ne m'a amené à manger ou à boire et surtout, Vilissë vient assez souvent passer ses nerfs sur moi. Il me frappe encore et encore et je fais tout mon possible pour ne pas craquer et supporter la douleur.
Mais je commence à ne plus pouvoir supporter ça, les douleurs deviennent insupportables. Ma vue est de plus en plus floue et je sens l'inconscience me gagner petit à petit.
***
Lorsque j'ouvre les yeux, la première chose qui me saute à l'esprit est que je suis allongé et non assis. J'ai mal partout, tout mon corps hurle de souffrance et je me redresse en grimaçant :
- Oh seigneur... Ça fait un mal de chien.
- Feren tu ne devrais pas bouger, tu es en mauvais état, murmure une voix douce que je reconnais entre mille.
Je cligne des yeux, le visage d'Alasseï entre dans mon champ de vision. Je sens un immense soulagement me parcourir de la tête aux pieds :
- C'est toi... Tu vas bien ? J'ai eu tellement peur qu'il t'arrive quelque chose, je couine difficilement.
Il me fait un doux et tendre sourire. Je me sens bien tout d'un coup, détendu et je me rallonge :
- Où suis-je ? Comment je suis arrivé ici ? Et Vilissë ?
Je suis complètement perdu et il doit le remarquer car il m'enlace dans ses bras. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. J'hésite un peu... Mais je finis par me laisser aller contre lui :
- C'est moi qui t'ai amené ici, murmure-t-il d'une voix douce, j'ai profité du fait que Vilissë soit absent pour te libérer.
- Mais il ne risque pas d'être furieux quand il verra que je ne suis plus là ?
- Oh si sans doute, mais on le calmera.
Je ne dis rien de plus, j'ai une question qui me brûle les lèvres, mais à chaque fois que j'essaie d'avoir une réponse je n'en n'obtiens pas. Je vais quand même tenter ma chance après tout je n'ai rien à perdre :
- Dis-moi Alasseï... Pourquoi Envie veut autant me tuer ? Je sais que je lui ai volé quelque chose, mais qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que je lui ai pris ?
Je le sens se tendre contre moi, j'ai peur qu'il ne me réponde pas, mais j'ai l'habitude de toute manière. Il finit cependant par lâcher un soupir et il me caresse doucement la tête comme s'il essayait de me rassurer... Ou bien de se rassurer lui-même ?
- Moi... C'est moi que tu lui as pris. Tu es le dernier d'entre nous à avoir été créé par notre Maître. À l'époque Envie et moi étions fou amoureux l'un de l'autre. Puis tu es arrivé et je suis tombé sous ton charme et vice versa. Vilissë ne l'a pas supporté et pendant longtemps il a fait comme si de rien ne s'était passé entre nous. Mais sans qu'on sache pourquoi, il y a cinq ans il t'a tendu un piège, il a pris mon apparence et t'a attendu dans notre chambre pour te poignarder. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais à ce moment-là ton âme et ton corps ont été envoyés dans le monde des Humains. Tu es revenu à la Vie et tes souvenirs ont été effacés.
Il me sert encore plus contre lui. Alors c'est ça qu'on me reproche depuis le début ? D'être tombé amoureux de lui ? C'est horrible d'en vouloir à quelqu'un pour ça. Mais puisque que Vilissë représente l'Envie et la Jalousie, je peux comprendre sa réaction :
- Je suis désolé, je lâche d'une petite voix, je suis désolé de t'avoir laissé seul.
- Oh Feren, il ne faut pas, ce n'est pas de ta faute d'accord ? Alors je t'interdis de culpabiliser pour une chose aussi stupide !
Je hoche la tête et me laisse aller encore plus contre lui. Je me sens bien dans ses bras, à ma place, comme si ne pas être là était un crime contre nature :
- Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? On ne va quand même pas tuer Envie ?
- On pourrait choisir de devenir humains, mais si on le faisait, il aurait beaucoup plus de faciliter pour t'éliminer. Je sais que tu n'as pas envie de l'entendre mais la seule manière de régler cette histoire et de mettre fin à sa vie. Si nous le faisons, le Maître en créera un autre qui ne se souviendra de rien. Si on a de la chance il ne tombera pas amoureux de moi et tout sera terminé.
Je me mords la lèvre, je ne doute pas de sa parole mais je n'arrive pas à être convaincu par ces arguments. Et si le nouveau Vilissë tombait de nouveau sous son charme ? Nous aurions fait tout ça pour rien et en plus il faudrait recommencer :
- Tu as besoin de repos, je vais m'occuper de toi alors sois sage et reste au lit dit-il d'une voix douce.
J'acquiesce et il sort, me laissant seul dans la grande chambre. Les murs sont d'un pourpre intense et sensuel, tout comme la douce lumière tamisée dispensée par des lampes accrochées aux murs. Les colonnes du lit sont d'un doré brillant et les draps sont d'un bordeaux profond. Il n'y a pas beaucoup de mobilier, quelques teintureries accrochées ici et là aux murs, une armoire en bois sombre et un bureau près d'une grande fenêtre donnant sur un extérieur... Étrangement glacial.
Alasseï finit par revenir avec un plateau en argent dans les mains. Il le pose sur le lit et je découvre un gros bol de soupe avec des morceaux de viandes qui flottent :
- Allez mange, tu as besoin de reprendre des forces.
- Merci. Au fait, pourquoi il neige dehors ? Nous ne sommes pas sensés être en Enfer ?
Il rigole, que j'aime ce son, doux et chaud comme pelage d'un chat :
- Effectivement nous sommes en Enfer, mais comme le Paradis, le lieu change d'apparence selon l'humeur du Maître, et comme il est de bonne humeur c'est l'Hiver.
- Je vois, alors ça doit être pire quand il est de mauvaise humeur non ? je demande sur le ton de la rigolade.
- Effectivement, dans ces moments de colère l'Enfer ressemble plus à l'idée que s'en font les humains. Tu sais avec des flammes partout et une chaleur étouffante. Et crois-moi quand il est en colère il vaut mieux ne pas être sur son chemin, parce que même si nous sommes un peu comme ses enfants, il n'hésite pas à s'en prendre à nous pour un rien.
Il a l'air terrifié rien qu'en pensant à ce que le « Maître » pourrait faire et ça ne me donne pas envie d'essayer.
Je mange donc sagement ma soupe, c'est assez bon. La viande se marie plutôt bien avec les légumes et les épices :
- Si tu veux te laver la salle de bain est juste en face de ma chambre, tu peux prendre ce dont tu as besoin dans mon armoire. Mais n'oublie qu'il ne faut pas que tu gigotes trop, tu dois guérir.
Je hoche la tête et continue sagement de manger avant de le regarder, il est tellement beau, mais est-ce vraiment étonnant en sachant qu'il est l'incarnation de la Luxure ?
Tout à coup j'ai envie d'en savoir plus sur nous, sur la relation que nous avions avant que j'aille sur Terre :
- Alasseï... Comment c'était entre nous ? Avant que Vilissë me tue. Je... Je n'ai aucun souvenir de notre relation et ça me dérange, j'aimerais me rappeler mais je n'y arrive pas. Tu veux bien me raconter ? je demande d'une voix faible.
Quelque chose en moi se tords, je suis triste, pourquoi ? Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Comment je peux être triste pour quelque chose dont je ne me souviens pas ?
Alasseï doit le remarquer car il m'attire contre lui et sa main vient doucement caresser ma tête. Ça m'apaise et la sensation disparaît peu à peu :
- D'accord je veux bien te raconter. La première fois que nous nous sommes vus, c'est quand le Maître t'a donné vie. Je t'ai trouvé tellement beau, allongé dans ton lit, tu regardais autour de toi d'un air curieux et tu essayais tant bien que mal de te lever alors que tes muscles ne marchaient pas encore correctement. Je t'ai aidé à t'asseoir et je t'ai expliqué qui tu étais, où tu te trouvais et qui nous étions les autres et moi. Tu étais adorable avec ton air d'enfant perdu. Je t'ai pris sous mon aile, je t'ai aidé à t'habituer à ce que tu étais. Peu à peu je suis tombé amoureux de toi et je pense que ça a été la même chose pour toi.
Je l'écoute sagement sans rien dire tout en continuant de boire ma soupe, ses paroles me réchauffent le cœur :
- Et... Maintenant ? Tu es toujours amoureux de moi ?
Sans que je ne m'y attende, il me retourne brutalement vers lui, ses yeux brûlant d'un feu étrange. Ses mains me serrent un peu trop fort et j'aimerais me reculer, mais je suis hypnotisé par son regard flamboyant :
- Bien sur ! Comment peux-tu en douter alors que j'ai passé les cinq dernières années à te chercher à travers les neuf Royaumes dans l'espoir que tu sois peut-être vivant et que je pourrais t'aider ! Tu te rends compte que quand j'ai appris ta potentielle mort j'ai cru mourir à mon tour ?!
Il m'attire contre lui et m'embrasse à pleine bouche. J'écarquille les yeux, trop surpris par son geste. Son baiser est rempli d'amour, mais aussi de soulagement et d'une forme de peur, comme s'il craignait que je disparaisse encore une fois.
Alasseï se recule et pose son front contre le mien :
- Désolé, je ne sais pas ce qu'il m'a pris, c'est comme si j'avais soudain eu un besoin vital de t'embrasser ; murmure-t-il avec un adorable air penaud.
- Ce n'est pas grave, j'ai... aimé le baiser et... Je suis désolé de t'avoir causé autant de soucis, j'aurais aimé ne pas le faire.
Sa main caresse doucement ma joue, c'est tellement agréable que si j'avais été un chat, j'aurais sans doute ronronné :
- Tu n'y es pour rien, tu n'as pas choisi de partir sans laisser de trace, et maintenant que je t'ai retrouvé, je ne te laisserais plus jamais t'éloigner de moi.
- Fais attention où tu vas finir par être comme Envie je lance en rigolant.
Il cligne des yeux, sans doute surpris par ma blague, mais il finit lui aussi par rire en se reculant et en disant que j'ai sans doute raison. Je suis rassuré de voir que l'atmosphère est devenue moins pesante.
Je me recule pour terminer ma soupe et une fois le bol vide, il prend le plateau :
- Repose-toi.
Je le regarde sortir avant de me rallonger dans le lit. Je ne tarde pas à m'endormir, je me sens terriblement bien. J'ai l'impression d'avoir été débarrassé d'un poids invisible mais horriblement lourd
***
Je me réveille finalement plusieurs heures plus tard, je le sais car la luminosité est plus faible qu'avant, comme si la nuit était tombée mais que le soleil refusait de lui laisser entièrement la place.
Je ne me suis pas rendu compte à quel point j'étais fatigué. Je me redresse et regarde autour de moi, la chambre est déserte. Je ne sais pas pourquoi mais je suis un peu déçu, je m'attendais à ce qu'Alasseï soit là à mon réveil, mais ce n'est pas le cas. C'est vraiment stupide d'être déçu pour si peu de chose.
Je soupire et me lève avant d'aller prendre des affaires propres dans l'armoire et sortir. Je traverse le couloir large aux murs de pierres grises et j'entre dans une salle de bain de taille moyenne. Les murs sont d'un blanc parfait tandis que le sol et le plafond est doté d'un bleu ciel très clair. Il y a une grande baignoire en marbre stylisé contre l'un des murs. Le bain est déjà près, comment c'est possible ? Je vois un mot posé contre l'un des robinets de la baignoire :
« Bonsoir chaton, je savais que tu aurais sans doute envie d'un bon bain en te levant, alors je t'en ai préparé un à l'avance, profite bien.
Alasseï »
Un sourire niait se dessine sur mon visage, il est tellement adorable, comment a-t-il fait pour deviner ce dont j'aurais envie ? Bah, l'important c'est le geste et je compte bien en profiter.
Je pose les affaires propres sur un petit meuble qui doit sans doute contenir des affaires de bain et je me glisse dans l'eau chaude après avoir enlevé mes habits. C'est tellement bon est agréable que je pousse un soupir de pur plaisir. Mon corps est vite enveloppé dans la chaleur de l'eau. Mes muscles se détendent lentement et je sens la tension de ses derniers jours fondre comme neige au soleil :
- Oh seigneur que c'est délicieux je lâche dans un soupir d'extase.
Je profite longuement de la chaleur et de l'eau avant de me décider à me laver. Je nettoie chaque centimètre carré de mon corps. La chose la plus étonnante est qu'après les traitements infligés par Vilissë ne j'ai aucune marque. Mon corps aurait-il déjà guéri ? C'est possible, après tout je n'ai aucune idée de ce dont il est capable.
Je reste un long moment dans le bain, prenant le temps pour me laver avec soin. J'ai l'impression de ne pas avoir pris de douche pendant des jours. Je pense que c'est sans doute vrai car je n'avais aucune notion de temps quand j'étais enfermé par Vilissë.
Une fois propre comme un sou neuf, je m'essuie avant d'enfiler mes habits de rechange, c'est à dire un haut blanc à manches courtes et un jogging bleu ciel. Ils appartiennent à Alasseï dont ils sont un peu grands pour moi.
Je retourne dans la chambre et la première chose que je fais et d'aller vers la fenêtre. Je me demande à quoi ressemble l'Enfer. La première chose que je vois est du blanc. Partout, il recouvre tout, comme de la neige. J'ai l'impression d'être en Hiver, les arbres sont totalement nus, je vois les parois d'une grotte. Mais elle doit être immense car je n'en distingue par le plafond, si l'Enfer est sous terre, je devrais apercevoir un plafond non ? Mais tout est recouvert par le manteau blanc. Je ne vois personne, aucun démon ni même d'âme damné. J'aperçois simplement une cour, avec des herbes sèches, une fontaine gelée et de couleur blanche. Des ronces noires bordent chaque côté de l'allée, tout est terne et sans vie. La seule touche de couleur provient des roses d'un rouge écarlate qui arrivent par je ne sais quel miracle à pousser sur les ronces. Ce paysage m'est familier, comme si je l'avais déjà contemplé avant. Ce simple fait confirme que je suis bel et bien déjà venu ici. Pas que j'en doutais encore. Mais je ne le réalise vraiment qu'en cet instant, comme si avant, mon esprit refusait de croire cette réalité.
Je soupire et lâche le lourd rideau de velours pour aller m'asseoir sur le lit. Ma tête est vide de tout souvenir appartenant à l'époque où je vivais ici. Ceux que j'ai sont ceux de ses cinq dernières années sur Terre. Est-ce que ça ne voudrait pas dire que je n'ai plus ma place en Enfer ? C'est vrai qu'est-ce que je pourrais bien faire ici ? Dans le monde des humains je n'ai certes pas beaucoup d'ami, mais j'ai Jérémy et je ne veux pas l'abandonner, il ne comprendrait pas. Et puis en cinq ans j'ai eu le temps de me construire une vie, enfin un début de vie. Alors qu'ici je n'ai plus rien :
- Ça va Feren ? demande une voix soucieuse.
Je sursaute et me tourne... Avant de soupirer en voyant que ce n'est qu'Alasseï :
- Je vais bien, et tu m'as fait peur c'est pas cool.
- Désolé, à quoi pensais-tu ? Tu avais un air soucieux sur le visage.
Il me regarde avec une expression inquiète et tendre à la fois, comment voulez-vous que je ne craque pas ? Il est tellement beau et doux :
- Et bien... Je me demande si j'ai vraiment ma place ici. Je veux dire, je n'ai aucun souvenir de cet endroit, des choses que j'y ai vécues. Alors que dans le monde des Humains j'ai réussi à me construire un semblant de vie. Je me dis que j'ai sans doute plus ma place là-bas qu'ici.
Il attrape brutalement mon bras et je le regarde en écarquillant les yeux :
- Que...
- Tu n'as pas le droit de partir ! proteste-t-il d'une voix angoissée, je t'ai perdu une fois je refuse que tu t'éloignes de moi à nouveau !
Alasseï a soudainement l'air terrorisé, le simple fait que je puisse vouloir partir l'angoisse donc à ce point ? Mon regard s'adoucit et je viens doucement lui caresser la tête :
-Alasseï, je sais que tu n'as pas envie que je sois encore loin de toi, et moi non plus je ne veux pas être loin de toi. Mais je ne sais pas si je pourrais vivre ici tu comprends ? Je ne me sens pas à ma place. Et puis même si je retourne sur Terre tu pourras venir me voir et vice versa.
Mes mots semblent le rassurer et je le vois qui se détend lentement. Il baisse la tête, l'air triste :
- Désolé, tu dois trouver que je suis comme Envie, égoïste et refusant de perdre ce que je juge comme étant à moi, murmure-t-il d'une petite voix
Une bouffée de tendresse m'envahit et je l'enlace. Il se laisse volontiers aller contre moi. Ça me fait bizarre de le voir si fragile. Il m'a toujours donné l'impression d'être quelqu'un de fort. Mais j'aime découvrir cette autre facette de lui, j'ai l'impression de le connaître un peu mieux :
- Non, tu n'es pas comme lui, tu ne pourras jamais l'être.
Je sens ses épaules se détendre. Je suis content d'avoir réussis à la rassurer et je finis par me reculer. Il a l'air triste que je me détache ainsi de lui, je dois me retenir pour ne pas le reprendre immédiatement contre moi :
- Quand est-ce qu'on va devoir affronter Vilissë ? je demande d'une voix craintive.
Cette question m'obsède car j'ai terriblement peur de l'affronter. Je ne sais pas si j'ai des pouvoirs et je n'ai absolument aucune idée de comment me battre contre lui :
- Quand tu seras prêt Feren, je ne veux pas te forcer.
Je hoche la tête. Je n'ai pas envie de me mesurer à lui, mais je n'ai pas vraiment le choix, il faut que je le fasse si je veux en finir une bonne fois pour toute avec cette histoire.
Je vis les jours suivants comme dans un rêve. Je ne sors pas beaucoup de la chambre mais Alasseï vient me rendre visite souvent et il m'apporte des livres pour que je ne m'ennuie pas trop.
Quand je lui ai demandé pourquoi je ne pouvais pas sortir sauf pour aller me laver, il m'a répondu que c'était parce que nous étions dans la maison commune des Péchés Capitaux. Et comme Vilissë me cherche, il valait mieux pour moi que j'évite de sortir.
Alors je suis resté cloitrer entre ses quatre murs à lire et regarder le paysage neigeux dehors. J'ai d'ailleurs remarqué qu'il ne faisait jamais nuit, la luminosité est toujours la même. Parfois tout est devenu rouge, avec des flammes qui sortent du sol et une épaisse couche de cendre qui est comme en suspension dans l'air. Quand j'ai demandé à Alasseï pourquoi le décor avait changé, il m'a répondu que c'était parce que notre « Maître » était en colère.
Mais il a dû se calmer car le paysage de neige est revenu. Je dois avouer que quand j'ai vu ce changement de paysage j'ai eu assez peur.
***
Cela fait maintenant une semaine que je suis ici, enfin d'après Alasseï car moi je n'arrive pas à voir le changement de jour.
Je m'inquiète car je trouve que mon amoureux n'est pas venu me voir depuis longtemps. Je ne sais pas si je peux vraiment l'appeler comme ça, mais je pense que oui vu les quelques nuits que nous avons partagés ensemble et je peux vous assurez que nous n'avons pas fait que dormir.
La porte s'ouvre et je sursaute avant de me retourner :
- Alasseï, tu étais où je...
Je me fige en voyant qui se tient dans l'entrée. Il n'a vraiment pas l'air content du tout. Je recule en déglutissant :
- Toi !!! Je vais te tuer !!! hurle Vilissë en se jetant sur moi.
Je saute sur le côté au dernier moment, évitant de justesse la lame de son épée, une lame fine et noire, avec un pommeau en forme de tête de mort. Il n'a pas changé, il fait toujours aussi peur et cette fois la haine est plus forte sur son visage :
- C... Comment tu m'as retrouvé ?!
J'essaie de le distraire pour pouvoir atteindre la porte. Il ricane, j'ai l'impression d'entendre des ongles crisser sur un tableau vert :
- Tu pensais vraiment que je ne devinerais pas que la Luxure t'aies sauvé ? demande-t-il d'une voix dégoulinante de rage. Tu me crois idiot à ce point ?
- Et bien oui, puisque tu as mis une semaine avant de me trouver alors que vous vivez dans la même maison, tu ne dois pas être très futé.
Oui je sais, je suis sans doute idiot de le provoquer de la sorte, mais c'est plus fort que moi je n'ai pas pu y résister.
Il crie de rage et se jette de nouveau sur moi. Je n'esquive pas assez vite et la lame trace une ligne sanglante sur mon flan.
Je grogne, ça fait mal. Je cours vers la porte en ignorant la cuisante douleur de la blessure. Je débouche sur le couloir. Je ne suis jamais allé autre part que dans la pièce d'en face. Je dois aller à gauche ou à droite ? Je n'hésite pas longtemps, je prends à droite pour éviter de finir transpercer par Vilissë. Pourquoi j'ai pris à droite ? Je ne sais pas, je suis droitier alors j'ai dû instinctivement aller de ce côté.
Je cours aussi vite que me le permet ma blessure. Je ne cherche même pas à la bander ou à la couvrir, je n'ai pas le temps. L'Envie court vite et il va sans doute me rattraper si je ne me grouille pas un peu les fesses.
Je ne fais pas attention à l'endroit où je vais, je traverse des pièces les unes après les autres sans prendre le temps de regarder ce qu'elles contiennent.
Je sens mon souffle qui diminue de plus en plus, je ne vais plus tenir très longtemps. Je n'ai pas d'autre choix que de l'affronter. Il m'a déjà tué une fois et je ne compte pas le laisser recommencer !
J'entre dans une autre pièce et je me retourne pour faire face à mon adversaire. La haine déforme son visage, il a l'air d'un monstre. Comme quoi l'expression « être un monstre d'égoïsme » est plutôt bien pensée. C'est fou le genre de choses qui vous vient à l'esprit dans une situation de danger non ?
Il me regarde droit dans les yeux, avec un sourire sadique et cruel sur son visage. Je cherche désespérément quelque chose qui pourrait me servir d'arme. Je repère une épée décorative dans un coin de la pièce. C'est un élégant petit salon avec des canapés et des fauteuils en velours. De lourdes toiles ornes les murs et plusieurs armes sont accrochés ici et là dans un style très chevaleresque.
L'épée n'est pas très loin et elle a l'air d'être en assez bon état pour que je puisse m'en servir pour me battre.
Je me jette vers elle et l'attrape avant de parer de justesse le coup de Vilissë avec. Quelque chose fait « tilt » dans mon cerveau et mon corps obéit, repoussant mon agresseur. Je fais une feinte sur son côté droit avec la lame pour le distraire et changer de trajectoire et toucher son coté gauche. Je sais me battre avec une épée ! Cette certitude s'impose à moi, des connaissances en escrime que je ne savais pas posséder ressurgissent. Elles doivent venir de ma vie avant mon amnésie et pour une fois je suis assez content d'avoir eu cette autre vie.
Mon corps agit sans que j'aie besoin d'y réfléchir, parade, coup d'estoc, feinte, tout me vient naturellement. Mais même si moi je suis surpris de mes connaissances, ce n'est pas le cas de Vilissë, il devait savoir que je savais me battre à l'épée.
Malheureusement contrairement à lui, je n'ai pas pratiqué depuis longtemps et il arrive rapidement à prendre le dessus :
- Alors tu pensais pouvoir me vaincre ? Me surpasser ? Désolé mais je suis supérieur à tout le monde !!! crache-t-il d'une voix remplit de haine et de suffisance.
Je me retrouve rapidement à devoir sans arrêt parer pour ne pas finir embroché, je n'ai aucune occasion pour attaquer. J'ai le souffle court et les muscles brulants, je vais mourir je le sens. Mon seul regret et de ne pas avoir pu dire au revoir à Alasseï.
Vilissë arrive à me priver de mon épée, un sourire mauvais sur le visage et il lance une attaque, la lame droit sur mon cœur. Je ferme les yeux, attendant la morsure glacée du métal... Mais rien ne vient.
J'entends un hoquet de douleur et lorsque j'ouvre les yeux, je rencontre ceux améthystes de mon amoureux :
- Alasseï ? Mais qu'est-ce que...
Il baisse les yeux vers sa poitrine et je l'imite, la lame l'a traversée en touchant son cœur. Les larmes me montent aux yeux. Vilissë aussi et sous le choc et quand il retire sa lame, mon amoureux s'effondre au sol :
- Alasseï !!!
Je me laisse tomber à genoux près de lui en pleurant, je m'en fiche de ne pas avoir l'air viril. Je n'ose pas le toucher :
- Allez... Relève-toi tu vas guérir ! C'est obligé tu m'as dit qu'on ne pouvait pas mourir ! je supplie en pleurant encore plus.
J'ai mal au cœur, c'est comme si c'était moi que l'épée avait traversé et non lui, j'ai envie de crier. Je ne veux pas qu'il meurt, je l'aime trop ! Bon dieu oui je l'aime plus que tout ! Il me fait un tendre sourire en venant caresser difficilement ma joue :
- Feren... Nous Pouvons nous tuer entre nous... C'est les humains qui ne peuvent pas mettre fin à nos vies... Mais ne sois pas triste, je suis content d'avoir pu te revoir avant de mourir et surtout. Je suis heureux d'avoir pu mourir pour te sauver. La première fois je n'ai pas pu empêcher ta mort. Mais cette fois j'ai eu la chance de pouvoir l'éloigner de toi et ça me rend heureux... Je t'aime tu sais.
Il hoquette une dernière fois et ses yeux perdent leur éclat. Je sanglote encore plus en suppliant les Dieux, ceux de toutes les religions du monde de me rendre mon Alasseï, mais ça ne marche pas.
J'entends d'autres hoquets que les miens et je me retourne vers l'Envie. Il est toujours là, il pleure en regardant le corps de mon amoureux :
- Comment oses-tu pleurer alors que tout ça est de TA faute !!! je crie en prenant mon épée. Si tu n'avais pas été aussi jaloux ça ne serait pas arrivé ! Tu n'as pas le droit de pleurer !!!
Il ne cherche même pas à se défendre, la rage et la douleur m'aveuglent et je lui perce à mon tour le cœur avec ma lame. Il couine à peine et s'effondre à son tour. Je lâche l'arme et reviens auprès d'Alasseï :
- Je suis désolé, je sais que tu reviendras à la vie, mais ce ne sera plus vraiment toi. Alors je vais rentrer, j'aurais tellement aimé qu'on puisse vivre tous les deux ensembles, mais ce n'est pas possible. Je t'aime, je ne t'oublierais jamais et je suis heureux de t'avoir connu ; je murmure en tentant tant bien que mal de refouler mes larmes.
Je l'embrasse avant de lui fermer les yeux. C'est stupide je sais, mais je veux lui dire au revoir contrairement à la dernière fois.
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