Partie VI : Les neiges rouges

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Tout commença un soir d'automne 1853. Un carrosse s'avançait dans l'allée du manoir de Haunsford et deux yeux mauvais fixaient le paysage à travers la vitre de la voiture. Lady Coynal, une femme d'un âge avancé et aux airs sévères venait s'installer dans l'immense demeure de Sir de Haunsford, un compte pour qui elle s'était éprise – selon ses dires – quelques mois auparavant. Sa femme venait de mourir après un accouchement difficile et pour se consoler de son chagrin, il avait accepté l'avance de Mr Coynal pour sa fille qu'il craignait voir mourir vieille fille. Lady Coynal devint Mrs de Haunsford et elle tomba enceinte quelque mois après leur mariage. Ils dénommèrent leur fille Diane, et elle devint la jeune sœur de la première fille du compte, Elizabeth.

Les années passèrent et les sœurs grandirent, affirmant leurs corps et développant leurs capacités. Tandis qu'Elizabeth s'embellissait de jour en jour et se voyait vantée pour son talent de pianiste, Diane s'enlaidit et se découvrit médiocre dans toutes les formes d'art existantes. Sa différence avec sa belle-sœur se transforma en une jalousie vive qui s'accentua avec l'arrivée du fils du compte dans le voisinage.

Les deux filles tombèrent amoureuses, mais de par son talent et sa beauté, ce fut Elizabeth qui reçut la demande en mariage. Elle arriva un après-midi plus joyeuse que jamais, annonçant ses fiançailles sous le regard fier de son père et celui rageur de sa belle-mère. Ce fut à ce moment que tout dérapa. Diane vit tous ses espoirs de conquérir le cœur du fils du compte s'écrouler. Sa mère se rendit compte à ce moment-là que toute la fortune de Haunsford devait uniquement versé à Elizabeth et son futur ménage. Ce-dernier devait partir pour Londres en février et il prit congé de sa famille sans se douter un instant que c'était la dernière fois qu'il verrait sa fille. Lors du premier dîner à elles seules, Elizabeth s'installa à table l'esprit en paix, après avoir répondu à la énième lettre de son fiancé. Elle mena la discussion avec sa sœur qui se força de porter un sourire malgré le secret qui alourdissait son cœur. Sans se douter le moindre instant du danger, elle but dans sa coupe de vin et soudain, la lâcha dans un hoquet de surprise. Le reste du poison s'imbiba dans le tapis persan ver, tel une récente flaque de sang.

-Petite idiote, siffla Mrs de Haunsford accompagné d'un rictus démoniaque, croyais-tu vraiment que j'allais laisser une chance pareille à ma fille de réaliser un mariage aussi prometteur.

Le corps entier d'Elizabeth se contracta en tremblements mortels, et elle se mit à vomir son propre sang. Ô, Satan était-il l'origine de cette horreur inhumaine ? Non, c'était bien sa belle-mère, et sa sœur, sa sœur qu'elle pensait heureuse pour son avenir ! Et elle était en train de mourir ! De leurs propres mains !

-Di... Diane...

La jeune fille détourna la tête et se mit à pleurer doucement. Il n'y avait donc plus aucun espoir ! Le poison coulait déjà dans ses veines et s'apprêtait à lui arracher la vie ! Un filet de sang coula le long de son menton. Avec toute la force qui lui restait, elle traversa le manoir, faisant tomber des vases et tâchant la moquette à son passage, et s'élança dehors. Il neigeait, ce soir-là. De légers flocons se déposaient sur sa douce chevelure et recouvrait le rouge qui colorait la blancheur éternelle du sol. Elle se sentait mourir, dévastée de l'intérieur, faible à mesure des secondes écoulées. Le fils du compte avait justement décidé de rendre visite à sa bien-aimée en cette nuit mouvementée, et il la trouva là, accroupit au sol, vomissant des gorgées entières de sang. Quelle scène macabre ! Il s'élança vers elle et la prit dans ses bras, priant intérieurement pour qu'il ne s'agisse que d'un cauchemars.

-Ma chère Elizabeth, que vous arrive-t-il donc ? Seigneur, restez avec moi, accrochez-vous à la vie, car je ne pourrais vivre sans vous !

-Je... je vais mourir mon futur époux. Je la sens en moi, cette froideur dévastatrice, ce sentiment de peur qui me glace le sang... Si vous ne pouvez pas vivre sans moi alors rejoignez-moi, et nous mourrons ensemble... Je vous en supplie, j'ai peur, j'ai si peur...

Déjà, le sang obstruait sa gorge et elle se noyait dans sa propre chair. Le rouge maculait tout, tout ! dans la blancheur parfaite de l'hiver.

-Je vengerai votre mort, Elizabeth, je vous le promet.

-Non... mourrez... mourrez avec moi...

-Que Dieu vous bénisse, mourez le cœur et l'esprit en paix, en me sachant entièrement à vous.

Mais que de mensonges sortis de la bouche d'un si jeune homme. Il sortit le poignard qu'il portait toujours sur lui et, au lieu de le porter à son cœur, il l'enfonça dans celui de sa fiancée afin d'abréger ses souffrances, non sans se mettre à pleurer. Les yeux bleus d'Elizabeth s'écarquillèrent d'effroi, de peur, de terreur et elle n'eut plus la force de prononcer un seul mot. Son regard se vida de vie et sa main retomba mollement au sol. Les flocons se déposèrent tendrement sur sa peau, comme si elle n'était qu'un simple élément à recouvrir, à oublier. Sa beauté resta éternelle, figée par la mort, par l'horreur, par le désir d'un amour profond qu'elle aspirait.

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