L'Orbe et la Pie

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L’orbe scintillait sur son piédestal au centre de la pièce. Droits comme des piquets, deux gardes avaient été postés à chacune des quatre grandes portes massives, fermées de l’intérieur pour la nuit. Comme si l’effectif en place ne suffisait pas, des armures d’apparat avaient également été exposées, rutilantes et serties de pierres précieuses. Des tableaux illustrant les batailles et victoires célèbres du royaume ornaient les murs épais de la bâtisse. Des rideaux retenus par des sangles les encadraient en tombant des hauteurs de la salle. Tout là-haut, la Lune jetait son éclat laiteux sur le dôme de verre surplombant la pièce et ses occupants. Douze colonnes de marbres - trois entre chaque porte - encerclaient l’estrade et le précieux joyau qui y trônait fièrement.

Le roi souhaitait tout autant exhiber ses richesses que les protéger. Naturellement, ses magiciens les plus aguerris avaient érigé de complexes protections tout autour de la salle d’exposition, ne négligeant notamment pas les portes et la toiture de l’édifice. Ces défenses, invisibles pour le commun des mortels, auraient pu empêcher un dragon de forcer l’entrée dans la pièce. Aussi, les gardes ne prêtèrent tout d’abord pas attention au volatile juché sur le dôme de verre, qui tapotait la paroi du bout du bec. C’était une pie, à la robe aux couleurs d’un échiquier et aux ailes teintées de reflets bleus et verts.

Ce tintement raisonna dans toute la pièce, éveillant peu à peu chez les gardes une nervosité palpable. Dong, dong, dong, dong... Le clocher voisin sonnait minuit. L’oiseau continuait inlassablement son jeu de percussion sur le verre. Le son cristallin que cela produisait grimpa dans les aigus, jusqu’à ce qu’un Clong sonore plus grave n’interrompe l’animal au comportement étrange. Plusieurs des gardes s’étaient avancés au centre de la pièce près du piédestal pour l’observer. La pie releva la tête, pivota sur place, et donna un coup de patte au dôme.

Une toile de filaments blancs s’étendit en cascade sur le verre, en recouvrit la surface avant de se figer un instant. Un craquement sinistre retentit, suivit de crépitements et d’étincelles rouge et or à la surface du dôme. La voûte vola en éclat, projetant çà et là des fragments tranchants dans la pièce. Le parquet, les tableaux, les rideaux et les murs furent criblés d’éclats de verre. Les gardes retranchés derrière les colonnes de marbre firent volte-face.

Tournoyant avec lenteur sur elle-même dans les airs, une femme dévisagea tour à tour le visage des huit hommes présents, interdits. Elle portait une tunique d’un vert sombre. Sa peau d’albâtre rappelait le plumage ventral de la pie. Sa longue chevelure noire relâchée semblait relier le ciel nocturne à la terre. Ses oreilles en pointe tressaillirent, juste avant que ses mains ne s’animent et que sa magie qui vrombissait dans la pièce ne se mette en branle. Aucun des gardes n’eut le temps de réagir. Une force invisible arracha les rideaux de leurs anneaux, les tableaux des murs, et souleva simultanément les gardes qui l’encerclaient. Œuvres d’art, épées et amures tournoyèrent et volèrent à travers la pièce, avant de retomber anarchiquement plus loin dans un fracas monumental.

La jeune femme réajusta son col, et ramena une mèche rebelle derrière son oreille. Les huit gardes vociféraient et grognaient, cloués au mur, empêtrés dans les rideaux et filaments argentés qui les parcouraient. Elle les salua très bas, sans un mot. Des cliquetis métalliques tintèrent dans la pièce. Sur un nouveau geste délicat de sa main, les armures d’apparat se mouvèrent, comme habitées d’une volonté propre. Elles se dirigèrent vers le piédestal et l’orbe dans laquelle tourbillonnaient des flammes bleues.

Une à une, les armures percutèrent une nouvelle paroi invisible et fondirent dans une pluie d’étincelles en s’y enfonçant. Seule la dernière armure encore complète, les bras tendus en avant, atteignit l’orbe et parvint à en toucher la surface du bout des doigts. L’enchantement qui entourait le joyau se dissipa aussitôt. L’elfe s’avança et, d’une incantation pas plus audible qu’un murmure, fit disparaitre l’orbe bleuté. Un linceul de fumée blanche enveloppa le piédestal et la jeune femme. L’instant d’après, une pie piailla et prit son envol pour disparaître dans la nuit.

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