Jenjen - Rêves de feu

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Sa cicatrice le brûlait et le démangeait à la fois. Il souleva sa manche et tendit le cou pour regarder son épaule droite : ce n’était pas beau à voir. Le dessin en forme de larme était purulent et on pouvait le voir suinter à la lumière du feu.

Le vieil Adhan avait expliqué que, d’ordinaire, la larme devait être un tatouage sanglant, dessiné avec le bout de la lame de son arme. Elle devait symboliser la blessure du coeur, qui ne cicatriserait que lorsque le coeur lui-même aurait cicatrisé. C’était pourquoi il devait entretenir cette scarification. S'il n’avait plus la volonté de se marquer de la larme, cela signifierait qu’il n’avait plus assez de volonté pour achever son Oeuvre, qu’il en avait fini avec le souvenir et les larmes. Toujours selon Adhan, un tatouage imprimé par le feu serait plus approprié dans son cas. Il avait donc demandé à Grenn de forger un petit pendentif, une larme d'acier qu’il porterait nuit et jour autour du cou. Tous les soirs, il le jetait dans le feu et l’appliquait ensuite, encore rougeoyant, sur son épaule.

Au début, le vieux barbu le dévisageait avec un regard dur, probablement pour juger de son courage et de sa volonté. Bien entendu, il avait crié de douleur les premières fois, impressionné par le bruit et l'odeur de la chair brulée. Cela se résumait à un grognement désormais. Adhan était rassuré de voir que le feu ne l'effrayait pas malgré tout ce qu’il avait enduré et il ne l’observait plus pendant qu’il se marquait.

Ils avaient quitté le village depuis plusieurs jours pour gagner Port-Espérance. Ils cheminaient sur la Gran’Route. Nul besoin de se cacher, après tout ils n’étaient qu’un maitre-menuisier et son apprenti. Toutefois, ils préféraient camper loin à l’écart du chemin, soi-disant pour éviter de fâcheuses rencontres nocturnes. Pourtant, il savait que cela n’effrayait pas Adhan, ce dernier semblait juste préférer le bruissement de la vie nocturne de la forêt.

Jenjen se demandait toujours pourquoi Grenn et Dayne avaient mandé ce vieil ermite. D’après ce qu’il avait compris, Adhan ne semblait pas les avoir vus depuis très longtemps, chose dont il paraissait très bien s’accomoder. Il avait pensé un temps lui poser directement la question, mais le vieux était aussi bavard qu’une vieille souche. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il faisait partie des Compagnons. Les innombrables entailles sur son bras gauche témoignaient des Oeuvres qu’il avait contribué à accomplir. Mais il n’était encore jamais parvenu à voir son épaule droite…

La tête pleine de questions, il s’endormit au son rassurant des braises qui crépitaient dans le feu. Le feu. Le feu.

Il se tenait face à un immense mur de glace grise, qui semblait se perdre à l’infini. Son sommet disparaissait dans les nuages. Un grand brasier crépitait de l’autre côté du mur et y dessinait des ombres dansantes. Il put sans peine reconnaitre les silhouettes de sa famille. Sa mère serrait ses frères et soeurs tout contre elle. Soudain, le brasier s’intensifia brouillant les ombres sur le mur dans une danse frénétique, puis se calma. Les silhouettes étaient toujours là, mais elles se tordaient de douleur, des flammes d’ombre leur léchant le corps comme des fouets. Il frappa la glace pour passer au travers, frappa et frappa encore à s’en meurtrir les poings. Sans succès. Il hurla de désespoir et une explosion de lumière l’aveugla.

Il se réveilla en sursaut en poussant un cri apeuré. Dans les limbes de son esprit encore embrumé de sommeil cohabitaient des lambeaux de rêve et de réalité. Ses mains le brulaient, mais il n’aurait su dire si cette sensation était due à la morsure du froid ou des flammes. Pendant un moment, il fut perdu et essaya de reconnaitre les alentours. Il était toujours autour du feu de camp, ou tout du moins ce qu’il en restait. Quelqu’un l’avait recouvert de terre et seules de petites volutes de fumée s’échappaient doucement. Le jour commençait à darder quelques rayons sur le monde, perçant avec peine les frondaisons.

Il aperçut Adhan, debout la hache à la main, vêtu des habits légers dans lesquels il s’était endormi. Il suait et haletait. Il lui tournait le dos et scrutait les sous-bois, tous les sens en alerte. En entendant Jenjen se réveiller, il posa la lame de sa hache dans le sol et s’appuya dessus. Elle avait des traces de suie et une brulure ornait la cuisse du vieil homme. Sans se retourner, il cracha d’un ton acerbe :

— Un sorcier.Sa cicatrice le brûlait et le démangeait à la fois. Il souleva sa manche et tendit le cou pour regarder son épaule droite : ce n’était pas beau à voir. Le dessin en forme de larme était purulent et on pouvait le voir suinter à la lumière du feu.

Le vieil Adhan avait expliqué que, d’ordinaire, la larme devait être un tatouage sanglant, dessiné avec le bout de la lame de son arme. Elle devait symboliser la blessure du coeur, qui ne cicatriserait que lorsque le coeur lui-même aurait cicatrisé. C’était pourquoi il devait entretenir cette scarification. S'il n’avait plus la volonté de se marquer de la larme, cela signifierait qu’il n’avait plus assez de volonté pour achever son Oeuvre, qu’il en avait fini avec le souvenir et les larmes. Toujours selon Adhan, un tatouage imprimé par le feu serait plus approprié dans son cas. Il avait donc demandé à Grenn de forger un petit pendentif, une larme d'acier qu’il porterait nuit et jour autour du cou. Tous les soirs, il le jetait dans le feu et l’appliquait ensuite, encore rougeoyant, sur son épaule.

Au début, le vieux barbu le dévisageait avec un regard dur, probablement pour juger de son courage et de sa volonté. Bien entendu, il avait crié de douleur les premières fois, impressionné par le bruit et l'odeur de la chair brulée. Cela se résumait à un grognement désormais. Adhan était rassuré de voir que le feu ne l'effrayait pas malgré tout ce qu’il avait enduré et il ne l’observait plus pendant qu’il se marquait.

Ils avaient quitté le village depuis plusieurs jours pour gagner Port-Espérance. Ils cheminaient sur la Gran’Route. Nul besoin de se cacher, après tout ils n’étaient qu’un maitre-menuisier et son apprenti. Toutefois, ils préféraient camper loin à l’écart du chemin, soi-disant pour éviter de fâcheuses rencontres nocturnes. Pourtant, il savait que cela n’effrayait pas Adhan, ce dernier semblait juste préférer le bruissement de la vie nocturne de la forêt.

Jenjen se demandait toujours pourquoi Grenn et Dayne avaient mandé ce vieil ermite. D’après ce qu’il avait compris, Adhan ne semblait pas les avoir vus depuis très longtemps, chose dont il paraissait très bien s’accomoder. Il avait pensé un temps lui poser directement la question, mais le vieux était aussi bavard qu’une vieille souche. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il faisait partie des Compagnons. Les innombrables entailles sur son bras gauche témoignaient des Oeuvres qu’il avait contribué à accomplir. Mais il n’était encore jamais parvenu à voir son épaule droite…

La tête pleine de questions, il s’endormit au son rassurant des braises qui crépitaient dans le feu. Le feu. Le feu.

Il se tenait face à un immense mur de glace grise, qui semblait se perdre à l’infini. Son sommet disparaissait dans les nuages. Un grand brasier crépitait de l’autre côté du mur et y dessinait des ombres dansantes. Il put sans peine reconnaitre les silhouettes de sa famille. Sa mère serrait ses frères et soeurs tout contre elle. Soudain, le brasier s’intensifia brouillant les ombres sur le mur dans une danse frénétique, puis se calma. Les silhouettes étaient toujours là, mais elles se tordaient de douleur, des flammes d’ombre leur léchant le corps comme des fouets. Il frappa la glace pour passer au travers, frappa et frappa encore à s’en meurtrir les poings. Sans succès. Il hurla de désespoir et une explosion de lumière l’aveugla.

Il se réveilla en sursaut en poussant un cri apeuré. Dans les limbes de son esprit encore embrumé de sommeil cohabitaient des lambeaux de rêve et de réalité. Ses mains le brulaient, mais il n’aurait su dire si cette sensation était due à la morsure du froid ou des flammes. Pendant un moment, il fut perdu et essaya de reconnaitre les alentours. Il était toujours autour du feu de camp, ou tout du moins ce qu’il en restait. Quelqu’un l’avait recouvert de terre et seules de petites volutes de fumée s’échappaient doucement. Le jour commençait à darder quelques rayons sur le monde, perçant avec peine les frondaisons.

Il aperçut Adhan, debout la hache à la main, vêtu des habits légers dans lesquels il s’était endormi. Il suait et haletait. Il lui tournait le dos et scrutait les sous-bois, tous les sens en alerte. En entendant Jenjen se réveiller, il posa la lame de sa hache dans le sol et s’appuya dessus. Elle avait des traces de suie et une brulure ornait la cuisse du vieil homme. Sans se retourner, il cracha d’un ton acerbe :

— Un sorcier.

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