J’étais pas d’humeur. Pas aujourd’hui. Pas en anglais.
La prof venait à peine de commencer à lire un texte soporifique sur les habitudes des adolescents britanniques. Moi, j’avais la tête ailleurs, comme souvent. J’ai balancé une remarque à voix basse à Inès, qui s’est étouffée de rire. Trop fort.

— Lina, dehors.
La sentence est tombée, sèche. Pas de deuxième chance.
J’ai haussé les épaules, levé les yeux au ciel, et j’ai quitté la salle sans me presser.

Direction l’accueil. Encore.
Ils allaient finir par m’installer un siège personnalisé, à force.

Quand j’ai poussé la porte, j’ai lancé comme d’habitude :

— Salut les chouchous ! J’suis encore bannie du royaume anglais, vous me faites une place ?

La secrétaire m’a à peine regardée. Elle a juste soufflé :

— Un jour, Lina… un jour, tu vas vraiment avoir des ennuis.

— Mais pas aujourd’hui, hein ? j’ai répondu en lui envoyant un clin d’œil.

Un surveillant m’a levé le pouce en riant depuis son bureau. J’ai salué d’un "Yo, Marc" en passant.
Bref, routine.

Sauf qu’au fond de la pièce, sur la banquette d’attente, y’avait un gars.
Un sac noir entre les jambes. Un air à la fois calme et fermé.
Il m’a regardée entrer comme si je venais de poser une bombe, mais sans bouger. Juste… observateur.

Il était pas "beau" dans le sens cliché.
Plutôt discret, un peu sombre. Un regard profond. Un gars qui parle pas beaucoup, mais qui capte tout.

Je me suis arrêtée. Un millième de seconde.

— T’es nouveau ? j’ai lancé.

— On dirait bien, répond-il.

Sa voix grave, posée. Pas nerveux. Pas impressionné. Juste là.

— T’as déjà réussi à te faire virer ? je ris.

Il sourit à peine.
— Non. J’attends qu’on m’inscrive. J’arrive d’un autre lycée.

J’acquiesce. J’ai envie de lui poser plein de trucs, mais pas comme d’habitude.
C’est bizarre.
Il me regarde pas comme les autres me regardent. Pas comme une fille populaire. Plutôt comme un mystère qu’on comprend pas encore.

Mais la secrétaire me coupe :

— Lina, encore ? Qu’est-ce que t’as fait cette fois ?

— J’ai juste respiré trop fort, apparemment.

Je sens son regard toujours posé sur moi.
Et pour une fois, j’ai pas envie de filer.
J’ai envie de rester.