Bad Reality

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8h03

Abrité sous un porche, Dean fouilla dans la poche intérieure de son manteau et en sortit un paquet de cigarettes. Il en coinça une entre ses lèvres et quitta la route des yeux pour se concentrer sur l'allumage. Quelques clic de briquet plus tard, il rangeait sa petite panoplie de fumeur et prêtait de nouveau attention au trafic. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua 8h04. Il avait encore un peu de temps devant lui et en profita donc pour rester sous l'abri du porche, les mains négligemment enfoncées dans les poches.


8h22

La pluie n'avait ni cessé ni calmé son flot et tombait en trombe devant lui. La visibilité était mauvaise et n'arrangeait rien à son humeur maussade. Les gens autour de lui se pressaient sous des parapluies sombres, courant dans les flaques d'eau en arrosant le monde. Un peu plus loin dans la rue, il aperçut une tache de couleur transperçant le gris morne de l'averse mais n'y prêta pas plus d'attention.

Il avait compté trois voitures de police à trois et quatre minutes d'intervalle, l'une passant sous son nez sirène pimpante et tout gyrophare allumé. Une urgence un peu plus loin en ville, certainement. Dean s'était également amusé à retenir les lettres des plaques d'immatriculation, à essayer de remarquer si l'une des voitures repassait devant lui plusieurs fois d'affilée. Il n'y eut rien de tel, bien évidemment.


8h25

La tache de couleur qu'il avait aperçue un peu plus tôt s'arrêta à côté de lui – Dean ayant quitté son abri pour se planter devant le passage piéton. Les pieds joints sur le bord du trottoir, le gamin chantonnait un air guilleret en tenant son parapluie rouge des deux mains. S'il en jugeait la montre enfantine qu'il avait au poignet, le gamin ne devait plus avoir que cinq minutes pour rejoindre son école. Quel parent pouvait le laisser faire le chemin seul ?

Dean garda un œil sur lui tout en continuant d'inspecter la route. Alors que les minutes passaient à vingt-six dans un tic qui résonna à l'intérieur de son crâne, il vit avec surprise le gamin faire un premier pas en avant, puis un autre. Quelle mouche l'avait piqué ? Levant les yeux vers le bord opposé de la route, Dean constata le drame : le feu était vert et le bonhomme piéton était rouge.

Il puisa dans ses réflexes, dans une énergie qu'il aurait préféré ne pas utiliser pour cela, et balança le bras en avant. Sa main se referma sur le cartable bleu et il tira le gamin en arrière de toutes ses forces. Le parapluie fut lâché, un cri fut poussé et l'enfant retombait le cul sur le trottoir, choqué.


« Fais attention, gamin. Regarde avant de traverser, t'as bien failli te faire tuer. »


8h28

Le gamin prit un petit temps avant de se remettre de ses émotions. Il se redressa, tapota ses genoux et son arrière-train, avant d'attraper son parapluie rouge, de le refermer et de le glisser sur le côté de son cartable. Ses vêtements étaient trempés de toute façon, il ne servait plus à rien de se protéger de la pluie et puis, ainsi, il n'aurait pas de mal à regarder le feu piéton passer au vert.

Ce ne fut pourtant pas de l'autre côté de la route que son regard se planta. En baissant les yeux vers le jeune, Dean vit que celui-ci le fixait, de l'admiration dégoulinant de chacun de ses pores. La peur l'avait étreint trop fort et voilà qu'il se mettait à idolâtrer un parfait inconnu pour un geste qu'il aurait presque pu regretter. Ne devait-il pas aller en cours ? C'était trop tard pourtant : Dean avait besoin de lui.

Posant une main sur l'épaule du gamin, il se pencha sur lui pour le regarder dans les yeux. Tout cet amour lui donnait presque envie de vomir, il n'en avait pas besoin. Ses doigts tapotèrent le vêtement avant de l'agripper fermement. Ses pupilles toujours fixées dans les siennes, il se permit un sourire qui évinça l'admiration de l'enfant. Il le sentit même trembler sous son emprise.


« Désolé, gamin. J'suis pas un héros, moi. »


Il aurait presque eu le temps de crier ou de se débattre vainement si, avisant le feu piéton briller de son bel éclat vermeil et la berline noire qui approchait, Dean ne l'avait pas poussé sur la route.


8h30

Le choc fut terrible mais il n'y assista pas, profitant de cet instant de distraction pour enfiler une cagoule noire et sortir de son manteau un 9mm terminé d'un dispositif silencieux. Il s'avança d'un pas décidé jusqu'à la voiture désormais arrêtée au milieu du carrefour et tira une première fois dans la vitre du conducteur pour la faire exploser. Arrivé à hauteur du volant, il vérifia qu'il s'agissait bien de sa cible et tira deux balles dans la tête du conducteur. Il rangea ensuite son pistolet, sortit son téléphone portable, attendit la confirmation de paiement et, satisfait, s'éclipsa de la scène de crime.

Il ne jeta pas un seul regard au gamin. Il était tueur à gage. Peu lui importait le nombre de vie qu'il prenait tant qu'il était payé. Il était prêt à tout pour être payé. Il avait besoin d'argent, après tout. Pouvait-on le blâmer ? Il ne pensait pas, non.


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