6.

3 minutes de lecture

6.

Ils lui ôtèrent la veste et le déculottèrent. Le colonel l’attrapa par la gorge et le promena dans la pièce, du bureau à la planche posée contre une baignoire. Les inspecteurs le jetèrent et le sanglèrent dessus. Ruiz Roldán se contenta d’appuyer sur la tête du prisonnier et la plaque bascula dans l’eau. L’etarra mouillait jusqu’à la nuque. Les choses se passèrent ainsi. Les jambes tremblaient, les bras trépidaient, le corps vibrait et Andoni se noyait. Afin de mesurer le temps qui s’écoulait, le colonel chanta un couplet de la granadera avant d’ordonner aux deux types de la police secrète de relever la planche. Andoni aspira une grosse bouffée d’air avec le nez et la gorge encombrés d’eau. Il se pissa dessus. Le petit jeu recommença jusqu’à ce que Christo n’est plus d’urine à libérer.

— Tu es né à Mungla en Viscaya le 24 mars 1947. Lorsqu’étudiant tu fus déféré devant le juge pour incitation à la rébellion, tu as bénéficié de mansuétude eu égard aux bons services de ton père. Le tribunal se contenta de délivrer un avertissement.

Andoni tressauta, serra les poings, et grommela. Le coup de pied dans le ventre lui déchirait le flanc.

— C’est toi qui avais la charge de l’approvisionnement du groupe. Les oranges, cela te revient ? Nous avons eu ton signalement par l’épicier. Tu dois admettre qu’acheter des cageots d’agrumes par quatre et en plus d’ergoter le prix, ce n’était pas très malin.

Le colonel se dirigea vers le bureau, ouvrit le tiroir, sortit un cigare. Il huma la pointe du habanos et le roula entre ses doigts.

— Puis-je t’offrir un Roméo, celui-ci vient tout droit de la casa de Habana ?

La respiration sifflante, Andoni gémissait. Le colonel alluma le cigare, tira une longue bouffée dessus, s’approcha du prisonnier et lui enfonça le habanos dans l’anus. Une odeur de boue de chair brûlée exhala la salle. Froid et chaleur, désir et douleur, Christo se mit à pleurer.

— Reprenons, quels étaient tes complices ?

— Un artificier du nom d’Alfred Marinetti.

— Nous y voilà. Il nous a supplié de le laisser vivre avant de succomber sur les berges marécageuses de la vallée du Loyosa.

Ruiz Roldán toussa dans son poing fermé et fit un signe de la tête aux deux inspecteurs qui agrippèrent Andoni et le charrièrent par les cheveux jusqu’à la dynamo. La moiteur devenait insupportable. L’etarra lâcha une ou deux insultes, mais n’avait plus la force de s’opposer. Il grinça des dents et hurla quand des pinces lui écrasèrent les testicules.

— Je vais tout vous dire. Nous étions cinq. Un Galicien…

— Iban trempe dans un torrent dans les montagnes de Galice.

— Le moine Antonio Pragas.

— Son corps s’est envasé sur les berges de la rivière Eresma.

— Le lion.

— Ne raconte pas n’importe quoi !

— Il se fait appeler ainsi.

— Et qui est ce grand méchant fauve ?

— Julen Barbastro, bafouilla Andoni.

— Qui d’autre ?

— Laissez-moi tranquille, je vous en prie… nous n’étions que cinq.

Le colonel Ruiz Roldán savoura sa victoire et esquissa un sourire.

Andoni Christo, à bout de forces, fut reconduit dans sa cellule. Il vacillait sur les jambes. Andoni sanglotait et se souvenait des hivers rigoureux au cœur de la vallée de son enfance, songeait à la fontaine de la Concorde dans son village de Torrebilleta, et pensait à la ferme de ses parents près du pont roman qui franchissait le Butrón, ce petit ruisseau qui séparait le moulin à eau de l’etxea. Les geôliers le jetèrent sur la paillasse. Andoni finit par s’endormir en se répétant qu’il n’y aurait pas de parloir, de juge, d’avocat, mais seulement une mort glaciale. L’etarra passa la nuit à crier. Ses pleurs peuplèrent l’aile gauche des détenus.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Julen Eneri ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0