Un visage peut en cacher un autre 

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Les bêtes féroces ont presque toutes été massacrées. Celles qui ne sont pas tombées ont pris la poudre d'escampette. Ici et là, des lambeaux de chair et des viscères criblent le sol d'hiver. À la vue de toute cette horreur, Aurora ressent comme un haut-le-cœur. Elle demeure cachée, n'osant pas bouger de peur de voir ressurgir une quelconque menace. Au travers des branches, elle observe les braves dont les armures de bronzes sont éclaboussées par du liquide organique. Juché sur un cheval noir, un cavalier dont la cuirasse richement décorée fait scintiller des reflets de lumières, domine la cavalerie qui a mis pied à terre. Au même moment, Théobald retire son épée ruisselante de sang du ventre de son adversaire dont chacune des gouttes tombe sur le sol et macule la neige. Puis, il s'avance aux côtés d'Amlach vers le cavalier tout en jetant un regard en direction d'Aurora.

- Eh bien, tu es arrivé juste à temps ! dit Théobald en levant les yeux vers celui qui semble commander.

Au lieu de répondre, il se laisse glisser de son destrier et retire son casque. Qu'elle n'est pas la stupeur d'Aurora lorsqu'elle découvre que le heaume dissimulait en réalité le visage d'une jeune femme. Sa longue chevelure brune flotte au gré du vent tandis que le soleil reflète ses rayons dans ses yeux bleu lagon. La frêle Lockwood demeure sans voix devant cette guerrière où force et grandeur se joignent à sa beauté. La fille qui se trouve en face d'elle à terrasser ces grands chiens en maniant l'épée telle une déesse...

- Guerrier de Damnaran ! Formez le cercle, ordonne-t-elle d'une voix grave à ses compagnons de bataille.

Ceux-ci s'exécutent immédiatement en se plaçant autour de leur commandant avec lames au clair. Malgré les casques qui dissimulent leurs visages, Aurora discerne la crispation sur leurs lèvres. Theobald sourit et l'entoure de ses bras, visiblement heureux qu'elle soit arrivée au moment opportun. L'accolade terminée, elle se tourne vers Amlach et dit :

- Heureusement que nous avons entendu le cor.

À ces mots, l'elfe hoche la tête et ferme brièvement ses paupières en signe de profond respect. Alors qu'Aurora continue de les observer, il lui semble entendre un faible son venir de derrière elle. Les battements de son cœur s'accélèrent, tandis que sa respiration se fait de plus en plus forte. Elle jette un coup d'œil par-dessus son épaule, redoutant de découvrir d'où provient ce bruit. Son visage se fige quand elle se retrouve nez à nez avec la bouche édentée d'un qiqirn aux côtes saillantes, déchiqueté. Le sang dégouline de sa tête, glisse sur son museau et roule sur la peau de son cou avant de tomber sur sol de glace. Râlant, brisé et à moitié mort, sa respiration se saccade à cause du flot d'hémoglobine qui sort de ses innombrables plaies. Malgré tout, il rampe vers elle, traînant avec lui ses boyaux dans la neige qui n'est plus blanche, mais écarlate et visqueuse.

— Au secours, s'écrie-t-elle en bondissant de sa cachette.

Son sang ne fait qu'un tour. Theobald fait volte-face, se précipite vers elle et plonge sa lame avec l'âme d'un forcené dans la gorge de l'agonisant, dont le fluide vermeil éclabousse sur Aurora.

— Tu vas bien ? demande-t-il en s'accroupissant.

— Je crois que oui...

Puis de sa main écorchée et sale, il aide la jouvencelle à se relever, plantant son regard d'une lumière pénétrante dans le sien. Elle reste immobile, bouche bée. Se joues rougissent et ses lèvres se plissent dans un petit sourire. Elle ne peut dire avec précision depuis combien de temps elle reste là, ne sachant pas si elle doit se sentir mortifiée ou bien reconnaissante. Mais plus elle le regarde, plus elle sent une émotion particulière la gagner.

— Bon retour parmi nous, Votre Altesse !

Une voix mielleuse la fait sursauter et détourner ses yeux du beau ténébreux. La guerrière, debout derrière elle, se présente après qu'elle a retiré son gant droit.

- Je suis Aderyn de la maison des Snow, dit-elle en tendant sa main à Aurora.

Le nom de famille l'a fait tilter.

- Snow ? réplique Aurora en fronçant ses sourcils.

- Eh oui ! Aderyn est ma sœur et la meilleure combattante de tout Damnaran, rétorque Theobald.

- Tu exagères. Tu dis ça parce que tu as peur que je te botte les fesses ! dit Aderyn en tapotant l'épaule de son frère. Tenez Votre Altesse, buvez, cela vous fera grand bien, enchaîne-t-elle en décrochant une gourde de sa cuirasse avant de la tendre à la princesse.

- Merci beaucoup. Mais s'il vous plait, appelez-moi Aurora. « Altesse »... comment dire, ça me met mal à l'aise.

- Comme il vous plaira.

Puis Aurora enlève le bouchon de la bouteille en cuir et la porte à ses lèvres toutes gercées. Le bonheur qu'elle ressent lorsque l'eau coule au fond de sa gorge sèche n'a pas de prix. À ce moment, ils entendent un galop dans la neige. Amlach surgit vers eux, le souffle court.

- Qu'y a-t-il ? demande Theobald.

- Des guetteurs !

- Des guetteurs ! s'écrie Aderyn. Où ?

- À environ un mile, à l'ouest.

- Vite ! Theobald, prends mon cheval et file aussi vite que tu le peux.

- Et toi ?

- Ne t'en fais pas pour moi, nous allons nous en occuper !

- Sauf le respect que je vous dois madame, je voudrais rester et combattre à vos côtés, lance l'elfe.

- Ta loyauté me va droit au cœur, mais tu dois suivre mon frère et l'aider à regagner le refuge.

Amlach finit par baisser les yeux, et fonce la mort dans l'âme au côté de Theobald vers les chevaux, tandis qu'Aderyn se tourne vers Aurora et lui prends ses mains.

- Je vous en prie, restez en vie ! Damnaran à besoins de vous, souffle-t-elle.

Le courage dont fait preuve cette femme émeut la jeune princesse. Tout à coup, un écho semblable à celui de pas de course s'élève et se déverse dans le vent jusqu'à leurs oreilles. Aderyn se retourne un bref instant pour écouter, avant de bondir en avant dans un grand cri.

- Fuyez ! hurle-t-elle. Ils sont là !

Le cheval noir s'élance vers Aurora qui tend son bras à Theobald. Bien agripper contre le prince, ils descendent la colline suivit d'Amlach en arrière garde. Ils chevauchent aussi vite qu'ils le peuvent sur un terrain neigeux jonché de branches cassées, quand soudain retentit le choc brutal d'un galop.

- Ne t'en fais pas, nous allons y arriver, s'écrie Theobald à Aurora.

- S'il vous plaît, mon Dieu ! Faite que ce cauchemar se termine, implore-t-elle.

Cramponnée à la taille de Theobald, elle tourne brièvement la tête et découvre l'atroce menace qui les poursuit. Trois cavaliers, tout de noir vêtus, montent des grands loups blancs qui semblent être une mutation entre une espèce de loups et de chiens. Les frissons de la peur ne l'ont pas quitté et depuis son arrivée dans ce monde, ils ne cessent de perdurer. Elle reporte son regard en avant et son espoir revient lorsque Amlach se retourne sur la scelle et lance un poignard sur l'un des poursuivants, qui le touche en plein cœur. L'individu tombe de son coursier. Talonnés par les lycans restants, les deux chevaux continuent sans relâche. Soudain, la voix qu'a déjà entendu Aurora résonne dans sa tête :

- Ne lutte pas mon enfant. Crois-moi, ils ne sont pas dignes de toi...

La peur emplit entièrement son esprit. Elle ignore ce que veut cette voix. Mais ce dont elle est sûre, c'est qu'elle ne se laissera pas faire. Elle ferme les yeux et s'agrippe plus fort à Theobald. Le vent siffle à ses oreilles et le hennissement effrayé des chevaux s'élève dans les airs. Le bruit de la neige qui craque sous les pattes, s'éparpillant en nuée glacée, montre à quel point leur vitesse est folle. Malgré l'incroyable effort que déploie les destriers pour échapper aux poursuivants, ils ne parviennent pas à les semer. Ils quittent la forêt et s'engagent dans la vallée en direction du refuge.

— Nous y sommes presque ! s'écrie Theobald.

Ils cavalent comme jamais sur une vaste terre recouverte d'un grand linceul blanc. Un vent fort les portent vers la rivière scintillante, dont la surface s'est figée dans la glace. Ils voient, à présent, les hautes tours du refuge. L'espoir surgit dans le cœur des hommes. Mais les ombres les serrent de près. Des cris, des grognements dont l'intensité redouble d'instant en instant, suffirait à réveiller un mort.

Alors qu'ils se rapprochent de plus en plus, Aurora voit Amlach poser sa main sur le manche de sa hache, prêt à les frapper lorsqu'ils seront à leur hauteur. Elle tremble, elle sent son cœur battre à tout rompre. Une sensation qu'elle a déjà ressentie commence à la gagner. Posant sa main droite sur le pendentif qu'elle porte autour du cou, elle se blottit contre Theobald, la tête contre son dos.

Elle reste ainsi sans bouger, les yeux fermés.

Son souffle, d'abord égal, s'accélère soudainement. La princesse ouvre les paupières et ses yeux irradient d'une légère lueur blanche. Elle tourne brusquement la tête et fixe intensément ceux qui lui veulent du mal. La rage a remplacé la peur. À ce moment, de puissantes rafales balaient la vallée et un grondement retentit.

- Non ! Arrête cela pourrait te tuer ! hurle Theobald.

Mais elle ne lui prête aucune attention. C'est comme si son esprit n'était plus là.

Amlach qui chevauche toujours aux côtés de son seigneur, remarque avec des yeux exorbités le médaillon brillé de mille feux avant que la lumière luminescente frappe de plusieurs éclairs les deux cavaliers. Détruit, ils sont transformés en cendres ainsi que leurs montures.

La clarté du jour estompe son éclat et la nuit sombre descend sur le monde. Épuisée, le teint pâle, sa tête blonde tangue. Aurora respire intensément et semble avoir retrouvé son état normal. Déboussolé par l'acte qu'elle vient de commettre, elle se sent alors sombrer, et le grondement et la confusion lui parait loin. Doucement, sa gravité est absorbée jusqu'à ce que les tréfonds de l'inconscience l'emmènent dans le plus profond des sommeils.

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