J'expire in Lof

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Cher lecteur, ceci est l’histoire de la rencontre de deux personnes qui me sont chères.  


Cela s’est passé à Vérone, à l’aube de leur 26 ans. Alyssa et moi étions dans la cour de la maison Capulet lorsqu’elle aperçut, sur le balcon, un fort joli jeune homme qui admirait le paysage. Alyssa, prenant sa voix la plus emphatique s’est exclamé : « O Roméo, Roméo, pourquoi es-tu Roméo ? Renonce à ton père et abjure ton nom ; ou, si tu l'aimes mieux, jure seulement d'être mon amant, et je cesse d'être une Capulet. » Je l’ai regardée goguenarde, prêt à lui lancer « Non, tu n’as pas dit cela ! » lorsque j’entendis au dessus de nous « Des entrailles prédestinées de ces deux familles ennemies a pris naissance, sous des étoiles contraires, un couple d'amoureux ». Tous deux éclatèrent de rire et je ne pus que conclure : « Vous êtes amoureux ; empruntez à Cupidon ses ailes ». Leur hilarité grandit jusqu’à ce qu’une voix les coupe. Le jeune homme venait d’être appelé. L’air désolé, il s’éclipsa en lançant : « Il me faut ou partir et vivre, ou rester et mourir. » C’est en ces conditions très théâtrales que nous fîmes sa connaissance.  

 

Quelques temps plus tard, nous le revîmes, fortuitement, à la sortie de la projection – en italien - du Roi Lion. Alyssa venait de me glisser un « Tu sais, je n'ai absolument rien compris » lorsque nous entendîmes derrière nous : «Il suffit d’un atome pour troubler l’œil de l’esprit. » Alyssa, saisie, se tourna et scruta pendant une seconde l'individu avant de lui lancer "Affectez, monsieur, du moins l'apparence de la vertu!". "Qu'est-ce à dire, répliqua-t-il, ma mise n'est-elle point à votre goût?" De fait, elle l'était, l'œil de mon amie pétillait. Il portait un élégant pantalon coton beige et une chemise blanche très largement échancrée. Brisant leur moment, je m'exclamai "L’amour des jeunes gens n’est pas vraiment dans le cœur, il n’est que dans les yeux.” Ils me regardèrent tous les deux avec des yeux ronds. "Ben oui, je reviens à Shakespeare... le jeune seigneur est sorti du cadre à sa dernière saillie!". Leur stupeur crût. "Ha, et tant que nous y sommes, toutes mes excuses, c'était une réplique de Roméo et Juliette et non de Hamlet." "Hamlet?" fit Alyssa. "Ben oui, c'est le contexte non? Simba est le prince du Danemark et Scar est Claudius". "Ha oui, effectivement, dit le jeune homme, maintenant que tu le dis... Mais franchement, tu n'es pas facile suivre!". ”Et bien comme on citait  Roméo et Juliette la dernière fois…”. « Il ne suffit pas de parler, il faut parler juste… Songe d’une nuit d’été », glissa doucement Alyssa. « Hey! Si vous continuez je vais me sentir dépassé ! » lança-t-il. Mais bien sûr, nous poursuivîmes juste pour l’agacer quelque peu et ainsi, de réplique en réplique, nous arrivâmes à un petit établissement et, en ce lieu, autour de quelques consommations, nous liâmes connaissance. Le garçon se présenta comme étant, excusez du peu, Marc Antoine ! Alyssa, ne s’en laissant pas compter, se nomma Cléopâtre. Ne voulant pas du rôle d’Octavie je pris le nom d’Ophélie. Marc-Antoine me fit remarquer que je n’étais pas dans la même pièce, alors je lui répondis que je préférais le Danemark - cette tragédie-là m’a toujours semblé plus viscérale. Il me regarda interloqué, puis il comprit et éclata de rire. Nous papotâmes ainsi jusqu’à la première heure du jour nouveau. Alors, fatigués, nous échangeâmes nos numéros et j'enlevai Cléopâtre à Marc Antoine, le laissant avec la promesse d’un nouveau rendez-vous. De retour à notre résidence, nous fîmes l’amour. Bien qu’elle me susurra quelques « Mon Ophélie », j’avais la terrible sensation que cela sonnait faux… 

 

Nous gardâmes le contact et nos rôles, jouant de séduction et de charme à chacune de nos réunions. Celles-ci se produisaient le plus souvent dans des théâtres où dans des endroits marqués par telle tragédie ou telle comédie Shakespearienne. Je me souviens de la fois où nous allâmes à Venise - terre d’Othello et des Marchands de Venise – voir Macbeth à la Fenice. Après une représentation grandiose, nous prolongeâmes notre plaisir par une ballade le long des canaux. Marc-Antoine et Cléopâtre virevoltaient l’un au tour de l’autre, s’appelant « Mon Marc-Antoine » et « Ma Cléopâtre », s’étreignant parfois, se prenant la main… Ce marasme d’affection emportait la pauvre Ophélie que j’étais vers des rivages lointains, me tenant à bonne distance. J’avais l’impression de ne plus exister, je marchais morose le long de l’eau, légèrement en arrière, les laissant à leur jeu. Persuadé – mais je ne peux le prouver – qu'ils se voyaient sans moi. Il était évident qu’ils s’étaient rapprochés. Leur badinage dura – ce me semble - une éternité jusqu’à ce que Cléopâtre nous quitte. Je ne me rappelle plus bien de la raison, une vague obligation égarée dans le labyrinthe de ma mémoire. Nous continuâmes donc à deux, silencieusement, Marc-Antoine au coté de la pauvre et mutique Ophélie. La peine et la déception m'avaient privé de tout mon répertoire. Je n’avais plus l’envie du moindre trait d’esprit. « Celui qui souffre seul, souffre surtout de l'esprit », glissa-t-il à mon oreille. « Le roi Lear », reconnus-je, de mauvaise grâce, du bout des lèvres. Il acquiesça, souriant, « J'ai toujours adoré nos joutes ». «Alors peut-être que tu apprécieras cette botte à sa juste valeur, mordis-je : la nature a peut être ses raisons de faire des cœurs impitoyables.» Il rétorqua sans sourciller « Un rien, un souffle, une ombre légère comme l'eau, tout devient aux yeux d'un jaloux, preuve aussi forte que l'évangile ». « Et que veux-tu dire par là? », enchaînai-je. « Simplement que les blessures que l'homme fait à lui-même guérissent difficilement ». « Pardon ? » Il posa son majeur sur mes lèvres, m’intimant le silence, puis, le retirant, m’embrassa. “La meilleure portion de moi-même, c’est toi”. Je défaillis. Il se colla à moi, retenant ma faiblesse. Je sentis sa chaleur et comme si je n’étais plus moi, je répondis à son baiser. D’abord incertain, maladroit, puis transporté et ensuite… avide. Je posai mes mains sur son corps, cherchant la peau sous l’étoffe. Il m’embrassa dans le cou tandis que ses mains caressantes se faufilaient sous mon jean. Il s’arrêta à ma virilité érigée et me susurra  : «N’allons nous pas un peu trop loin… publiquement ? ». Je hochai la tête, décoiffé, essoufflé, stupéfait et euphorique. Tout cela en même temps. Marc-Antoine et Ophélie trouvèrent alors une chambre et… ce que nous y fîmes n’est pas à décrire aux chastes ni aux oreilles intolérantes.


Bien des lignes plus haut, j’ai écrit que ceci était l’histoire de la rencontre de deux personnes qui me sont chères. Permettez-moi un léger ajustement : ceci est correct, bien sûr, mais – vous l’aurez remarqué - incomplet. Vous m'excuserez, je l'espère, mais j’ai volontairement omis d’indiquer que c’est aussi la relation de la première fois que je vis Marc-Antoine ainsi que celle de sa « déclaration ». A cet instant, peut-être vous demandez-vous «mais  quid de Alyssa/Cléopâtre ? » Eh bien, cette question, après une éternité de tergiversation angoissée, je la lui ai posée et très simplement il m’a répondu « Eh bien, je l’aime tout autant. » Il ne me retourna pas l'interrogation - ce qui, je l'avoue, me contraria au plus haut point car je n'avais aucune envie de porter mes sentiments à l'examen. Par honnêteté, il le fallut pourtant bien. Au début, je crus que Marc-Antoine avait remplacé Alyssa dans mon coeur. Qu'un amour en avait chassé un autre. Bien que nous partagions le même homme, nous nous voyions, de par ma faute, moins souvent. De bien des manières, par bien des excuses je l'évitai ; je ne voulais pas me confronter à elle. C'était une forme de défiance, de jalousie, je le reconnais – enfin je suppose. Cela ne provenait, je crois, que de moi. Jamais – pour autant que je le sache – elle ne tenta de m'esquiver. De mon attitude, elle ne me fit aucune remarque, aucun reproche. Et quand le manque vint - un besoin d'elle impérieux et profond - elle m'acceuillit.


Depuis nous vivons ainsi, à trois. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de disputes, pas d'accroches - après tout trois egos, c'est trois fois plus de problèmes – mais je suis heureux ainsi. Je l'aime lui, je l'aime elle ; il m'aime moi, il l'aime elle ; elle m'aime moi, elle l'aime lui. C'est parfait ainsi. Et pour ceux qui se demanderaient si nous couchons parfois tous ensemble, je leur répondrai que si nous avons bien un lit surdimensionné... ce qui s'y passe ne regarde que nous.


Et pour terminer sur une note de Shakespeare, voici une citation qui me semble tout à fait adéquate : « L'amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l'âme ».

Ou, me susurre doucement Marc-Antoine à l'oreille, « Doute que le feu soit dans la terre, doute que les astres se meuvent, doute que la vérité soit la vérité, mais ne doute pas de mon amour. »
Et Cléopâtre, de conclure à l'autre par un murmure, “Plutôt ne pas en avoir, que d’avoir deux paroles dont une est de trop.”

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