Un étrange pressentiment 1/2

7 minutes de lecture

{ Sonia Davis }

Novembre 2018.

« New-Jersiaise et New-Jersiais, bonjour, ici Jaque Brust et  je suis ravie de vous retrouver ce matin pour votre journal de 8h00. Au au sommaire de ce vendredi 2 novembre, nous restons toujours sans nouvelle de la jeune Émilie Parks, 8 ans, disparue depuis maintenant plusieurs jours dans la petite ville de Mott Haven dans l'État de New York. Des rumeurs laissent entendre que le FBI pourrait s'emparer de l'affaire, mais la police locale refuse de don... »

D'un geste brusque, je retire mes écouteurs et m'arrête un instant en prenant appui contre le tronc d'un grand Chêne à moitié dégarni.

— Je suis sûr que je peux encore courir quelques mètres ...

La bouche grande ouverte, je reprends faiblement mon périple, les bras ballants et le regard centré sur mon objectif à atteindre pour cette matinée : le grand lampadaire situé à l'entrée du parc.

Les feuilles mortes qui crissent sous mes pieds attestent de mon avancée, mais je ne tarde pas à sentir mes bronches se contracter sous l'effort que j'impose à mon corps.

— Et merde  !

Brusquement je m'arrête, puis dénoue rapidement mon écharpe ! Une violente quinte de toux surgit du fond de ma poitrine. Immédiatement, je me précipite sur la petite bouteille d'eau qui se trouve dans ma sacoche pour tenter de la calmer, et par la même occasion, de rafraichir ma gorge desséchée par l'effort.

— Je ne suis toujours pas capable de faire un tour complet de ce foutu parc.

Je baisse la tête en grimaçant légèrement.

Le vent souffle à ce moment-là, transportant avec lui un ramassis de fines brindilles sur le chemin de terre. Je ferme un instant les yeux, profitant de ces petites bourrasques pour rafraichir mon visage encore humide.

Hēi, tu comptes encore essuyer beaucoup de défaites comme celle-ci ?

Mes lèvres s'étirent à l'entente de cette voix. Je frictionne mes mains gantées contre mes cuisses, en simulant un air faussement agacé.

— Personne ne vous oblige à regarder, monsieur Wang.

— En tant que bon voisin, je me dois de participer à ton périple, rigole-t-il, et puis ce serait beaucoup moins intéressant sans mes critiques.

Je finis par sourire malgré moi. Assis sur un vieux banc en bois, à quelques mètres du fameux lampadaire, je perçois le vieux monsieur marmonner doucement dans sa fine et longue barbe grise, les deux mains posées sur sa canne en liège.

Emmitouflé dans un énorme manteau en fausse fourrure, le vieil homme me toise en souriant.

Encore essoufflée, je m'essuie la bouche dans ma manche, puis m'avance vers lui, les poings posés sur mes hanches.

— J'étais pourtant pas loin ! soupiré-je bruyamment en m'affalant à ses côtés.

— Prends ça.

Le regard espiègle, Wang secoue son inhalateur devant mes yeux.

— Vu ton état, je pense que tu en auras beaucoup plus besoin que moi.

— Très drôle.

Je souffle, les bras croisés.

Deux mois se sont écoulés depuis ma reprise, et je constate encore une fois que je n'ai toujours pas réussi à atteindre les objectifs que je m'étais fixé pour cette fin de semaine.

C'est une véritable déception.

Dans mon for intérieur, je savais que je n'allais pas tout de suite retrouver mon niveau d'antan, mais tout de même, j'espérais une réhabilitation beaucoup plus progressive et naturelle que cela. Voir mon corps chanceler et faiblir après chaque entrainement m'excède au plus haut point.

— Les scores que j'établissais il y a quelques années me semblent être à des années-lumière de ce que j'arrive à produire aujourd'hui ...

Devant ma mine agacée, les rires du vieil homme reprennent à cœur joie.

Sous son chapeau de brousse mal ajusté, son regard demeurent toujours aussi rieur malgré la lourde attraction du poids de ses épaisses paupières sur ses yeux.

Ses nombreuses rides semblent s'accroître lorsque ses fines lèvres se plissent en un grand sourire.

— Sonia, tu as vu la taille de ce parc ? On se croirait presque sur un stade de football !

Je baisse les yeux, déçu de moi-même.

— Et puis, tu as beaucoup progressé en deux mois, bien plus que moi en tout cas.

— Ce n'est pas la même catégorie, monsieur Wang.

— Et alors ? Mon combat est tout aussi difficile et compliqué que le tien ! s'exclame-t-il en frappant fermement sa canne sur le sol.

Je fronce les sourcils, les yeux vifs.

— Il ne tient qu'à vous d'arrêter de fumer, de vous et de votre volonté. En vérité, je ne pense pas que vous ayez vraiment envie d'arrêter.

— Mais bien sûr que ...

— La faiblesse d'esprit n'est remédiable que par vous-même, le coupé-je sèchement, arrêtez de fumez ou restez dans votre déni, mais ne m'en parlez plus comme si cela représentait un réel problème pour vous.

Monsieur Wang tourne son regard vers moi, et d'un geste doux, pose sa main sur mon genou qui ne cesse de frétiller depuis le début de notre conversation à ce sujet.

Je sursaute à son contact, puis soupire lourdement en grimaçant de honte.

— Je suis désolée ...

— Hēi, pas de problème, de toute façon, j'ai toujours su que tu étais Bèndàn. Je ne prends pas toujours en compte tout ce que tu me racontes.

Bèndàn ?

— Idiote.

Je glousse en repoussant brusquement la main de monsieur Wang qui s'esclaffe en faisant rebondir plusieurs fois sa canne.

— OK, je l'ai mérité, sourié-je en levant les mains en l'air.

Quelques feuilles se mettent à tomber, emportées par une brise qui se veut un peu plus calme que la précédente, et je frotte machinalement mes baskets de sport usées contre le sol en terre.

Mon sourire s'efface doucement, laissant place à une expression plus neutre.

Le seul domaine dans lequel j'arrivais à retrouver un semblant de paix est en train de se transformer en une nouvelle source d'angoisse.

Il ne s'agit pas seulement d'une simple course ... j'ai l'impression que ce lampadaire représente une limite que je n'arriverai jamais à franchir. Ma propre limite.

— Et si je m'étais surestimée ? chuchoté-je.

— Je ne pense pas que cela soit une question de force.

Je pose un regard surpris sur monsieur Wang. J'étais loin de me douter qu'il entendrait ce que je venais de dire, il est plutôt dur de la feuille en règle générale.

— Je pense que tout est simplement une question de temps, continue-t-il en sortant un journal du dessous de son bras.

La mâchoire serrée, je déglutie bruyamment.  

— Prends le temps.

Je reste interdite pendant plusieurs seconde. Monsieur Wang ne sait pas quoi il parle, et c'est bien normal, il ne me connaît pas.

Je me mâchouille les lèvres en enfouissant mon menton dans mon écharpe. J'aurais vraiment préféré ne pas avoir à entendre ce genre de phrases.

instantanément, différentes hués d'enfants me tirent de mon introspection.

— Ah, les monstres sont de sortie, souffle mollement mon voisin.

En effet, une nichée de petits chérubins en uniforme bleu marine se mettent dès maintenant à courir en se faufilant à l'intérieur du parc central.

Ils passent l'entrée avec précipitation et se rejoignent dans le petit espace spécialement aménagé pour eux, situé juste en face du banc où nous nous sommes assis.

Les balançoires, tourniquets et autres petits jeux, se retrouvent très vite pris d'assauts par la marmaille, qui semble ravie de pouvoir en profiter avant de devoir retourner dans leurs salles de classe.

Cette adorable vision m'arrache un faible sourire.

— Les enfants sont trop bruyants.

— Mais oui, vous n'aimez pas les enfants, c'est bien pour cela que vous choisissez toujours cette heure précise pour vous rendre dans ce parc ?

— Silence, je ne t'ai pas demandé de commenter ma réflexion !

Je souris en secouant légèrement la tête.

Plusieurs accompagnateurs s'installent sur les autres bancs disponibles, aux alentours de la petite plaine de jeux.

Quelques-uns affichent de grands sourires en faisant signe aux jeunes, tandis que d'autres semblent à peine prêter attention à leurs diverses salutations.

Je me renfrogne dans ma veste, les bras croisés contre ma poitrine.

Alvin sera tellement heureux de pouvoir jouer ici ! Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis surprise à m'imaginer dans cette plaine de jeux avec lui, et enfin, dans quelques heures, ce rêve deviendra enfin une réalité.

Les battements de mon cœur s'accélèrent à l'évocation de son prénom.

Mes mains se crispent contre mes cuisses, et je me force à prendre une grande inspiration pour essayer de calmer le point de tension qui est en train de se former discrètement dans le centre de ma gorge.

Je voudrais essayer de me laisser une seconde chance. Une seconde chance d'être la mère que mon fils mérite d'avoir.

Les yeux clos, je tente alors de retrouver un semblant de calme avec l'image d'Alvin calée dans mon esprit, et lorsque je les ouvre de nouveau, un coup de sifflet retentit !

Un jeune garçon semble semble jouer les arbitres dans un match de foot en cours de préparation.

Les deux chefs d'équipes s'apprêtent à choisir leurs coéquipiers, mais mes yeux s'arrondissent lorsque mon regard se pose sur une le profil d'une gamine, debout, le regard fixé dans ma direction.

— Tiens ?

À une vingtaine de mètres de là, encastrée dans une petite veste blanche, elle ne porte pas l'uniforme commun à tous les autres élèves.

Ses longs cheveux blonds ondoient lentement selon le maniement du vent, et son visage semble recouvert d'un étrange masque blanc, laissant juste entrevoir ses yeux.

— Monsieur Wang, vous avez vu ça ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Jessie Jolie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0