Qui est courageux ?

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Il baissa la tête, honteux.

Les arbres pliaient sous le vent, comme s'ils se penchaient pour mieux voir les deux amis. Guillaume regardait ses pieds. Ils semblaient le fasciner.

Il échappait, dans cette attitude enfantine, au regard de son éternel confident. Il ne doutait pourtant pas de ce qu'il aurait lu dans ses yeux noirs s'il les avaient croisés. Une infinie déception. Et probablement des reproches. Beaucoup de reproches, qui seraient venus s'ajouter à ceux qu'il se faisait déjà.

Il fourra ses mains dans les poches de son pantalon. Il tremblait. Il ne faisait pas froid, pour un mois d'octobre, mais ses nerfs étaient à vif. Le vent du nord soufflait, tout de même. Un instant, il se demanda s'il allait pleuvoir. Vivre sur la côte avait cet inconvénient de subir les assauts d'averses régulières. Il tenta de relever la tête pour inspecter le ciel gris, mais son ami passa devant lui.

Le gravier crissait sous les talons de Grégoire. Le bruit désagréable l'accompagnait, alors qu'il tournait autour de son pleutre comparse. Droit comme un "i", il écrasait Guillaume de sa taille. Il avait toujours été plus imposant que lui.

— Comment as-tu pu me faire ça ? demanda Grégoire sans véritablement attendre de réponse. Quand on s'engage, on va jusqu'au bout des choses !

— J'ai eu peur, chuchota Guillaume.

Sans qu'il ne relève la tête, Grégoire devina les larmes qui emplissaient les yeux bleus de son ami. Ça avait toujours fonctionné ainsi entre eux. Guillaume était bien plus sensible que lui, plus réfléchi aussi, et très clairement plus peureux. Il fallait toujours qu'il le soutienne et le motive. En général, il ébouriffait ses cheveux bruns et bouclés en lui murmurant des encouragements. Jusque là, et malgré son caractère, ça avait toujours suffit. Il ne s'était jamais défaussé.

— Parce que je n'avais pas peur, moi, peut-être ?

Le jeune homme s'avisa qu'il ressemblait à un requin, à tourner autour de Guillaume ainsi. Il s'arrêta, bomba le torse, et leva le menton. On aurait dit un prince. Ou un lion. Il incarnait le courage, la combativité.

— Nous avions pris cette décision ensemble. On a bien pesé le pour et le contre. On en a beaucoup parlé. Pendant des mois !

Il avait crié et s'en voulut immédiatement. Guillaume était son ami depuis toujours. Son meilleur ami. Il aurait préféré le prendre dans ses bras. Mais ce n'était pas possible. Plus petit que lui, il paraissait rapetisser sous le poids de la culpabilité et du chagrin.

— Je le sais bien. Je suis tellement désolé Grégoire...

— Je le suis tout autant, souffla-t-il. A présent, tu es seul. C'est terminé, tu en as conscience ? Nous ne ferons plus jamais rien ensemble.

Il donna un coup de pied dans un gravillon. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Douze ans d'amitié... Il regarda le petit caillou s'élever dans les airs et s'écraser sur le monument immaculé devant lequel Guillaume était planté.

Ils partageaient beaucoup de choses. Grégoire, bien que plus téméraire que Guillaume, était également un garçon à fleur de peau. C'était en se confiant l'un à l'autre, alors qu'ils étaient adolescents, qu'ils avaient noué une relation solide et durable. Le mal-être qu'ils ressentaient avait trouvé, enfin, un écho en l'autre. Et, insidieusement, s'en était nourri.

— Regarde-moi, Guillaume.

Le jeune homme s'exécuta. A présent, ses yeux clairs laissaient couler beaucoup de larmes. Il pleurait sans retenue. Ses joues glabres étaient trempées. 

Il cherchait quelque chose à dire, pour sa défense, mais ne trouvait rien. Bien sûr, comment justifier son comportement ?

Grégoire avança la main vers son ami, touché par sa détresse, mais suspendit son geste. Il ressemblait tant à l'image qui s'était gravée dans l'esprit de Guillaume, ce jour là, sur la falaise.

Ils avaient courus ensemble, main dans la main. Et puis Guillaume avait lâché les doigts de Grégoire, au dernier moment. Il avait eu peur.

Grégoire avait raison. C'était terminé. Son image s'effaça lentement. L'un avait choisi d'affronter la vie, et l'autre avait abandonné. Il se demanda, un instant, s'il avait été lâche, comme à son habitude, ou s'il avait eu un sursaut de bravoure.

Le garçon s'essuya les yeux d'une main, et fit deux pas en avant. Peu importait. Qu'il ait accompli un acte de courage ou non, son ami était mort. Il aurait dû être avec lui. Caressant le granit blanc, il parcourut du bout de l'index l'inscription. "Grégoire Ferriani, 12/03/1991 - 20/10/2015".

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