Chapitre 5 : L'exil de Troie

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En ce qui concernait les rares survivants de Troie, ils furent condamnés à l’exil, guidé par le fils d’Aphrodite, Enée. Ce héros mythologique avait pour père Anchise, descendant de Tros, premier fondateur de la cité troyenne. Ce prince avait eu la fortune de plaire à la déesse de la Beauté. Cette dernière lui avait annoncé qu’elle lui donnerait un fils, dont l’éducation sera promulguée par les nymphes jusqu’à l’âge de cinq ans, âge auquel elle l’avait rendu à son père. Après l’avoir accueilli, ce dernier l’avait confié à la formation de Chiron. Aphrodite n’avait exigé qu’une seule condition à cette faveur, qu’Anchise ne parla jamais de leur idylle. Malheureusement, son amant n’avait pas tenu parole, et s’était vanté de sa félicité. Pour le punir de son audace, Zeus l’avait foudroyé, le rendant boiteux à jamais. Lors du sac de Troie, ce descendant de Tros avait pris ses dieux Pénates, et ce qu’il avait de plus précieux, puis avait fui. Handicapé, il aurait dû y mourir, mais Enée avait rempli son devoir filial en le prenant sur son dos, tout en tenant par la main son propre fils Ascagne. Il les emmena en sécurité au bord d’un navire prêt à partir.

Ce rejeton d’Aphrodite, connu pour être le plus redoutable guerrier troyen après Hector, et souvent sauvé de l’épée de Diomède et d’Achille par sa divine mère, en paya le prix fort. En effet, afin de mettre en sécurité son père et Ascagne, il avait été obligé de laisser derrière lui son épouse, Créuse, fille de Priam. Il était bien revenu sur ses pas, et s’était à nouveau engouffré dans Troie, théâtre d’une destruction par le feu et d’une tuerie dans les combats, afin d’aller la chercher. Malheureusement, après avoir repoussé les ennemis qui s’étaient dressés sur son chemin, il ne trouva que l’ombre de Créuse qui lui révéla avoir été enlevée par Cybèle, aussi nommée Rhéa. Le cœur en peine, Enée rejoignit le bateau des survivants troyens, dont le vieil Alétès, Ilionée, Abas, Oronte et son plus fidèle ami Achate faisaient parti. Ils étaient si nombreux que l’esquive menaçait de chavirer. Avec à ses côtés Anchise et Ascagne, pendant que son embarcation s’éloignait, il vit sa ville natale brûlée, où il avait essayé de convaincre de rendre Hélène à Ménélas, avant que le malheur ne frappe, une ville qu’il avait tenté de sauver malgré ses réticences à la guerre.

Prenant la tête des survivants, Enée les mena jusqu'au mont Ida, afin de reprendre des forces. Il y fit construire vingt embarcations. Puis, il ordonna le départ vers la Thrace, alliée de Troie, mais cette dernière leur tourna le dos. Alors, sous le conseil de l’oracle d’Apollon de Délos, il prit le cap vers la Crète, pays d’origine des Troyens. Malheureusement, au lieu de la paix, les survivants n’y trouvèrent que la peste et des récoltes ravagées. Fuyant ce nouveau désastre, ils voguèrent en direction de l’Italie. Furieuse que des Troyens aient pu survivre, Héra déversa sa colère sur eux à cet instant. Elle donna l’ordre à Eole de faire chavirer les bateaux. Heureusement, Poséidon les secoururent des vents destructeurs. Ayant échoué, la déesse leur envoya les Harpies. Protégés cette fois par Aphrodite, Enée et ses compagnons réussirent à remporter ce nouveau défi. Abordant l’Epire, il y croisa le seul rescapé de la famille de Priam, Hélénus.

Hélénus était un des devins de la Troade. Vers la fin du siège de Troie, outré de ne pas avoir été choisi comme nouvel époux à Hélène après la mort de Pâris, il avait quitté la ville, s’exilant sur le mont Ida. Ce fut là-bas qu’Ulysse l’avait surpris la nuit, et l’avait emmené comme prisonnier au camp grec. Obligé d’user de ses dons, ce fut Hélénus qui avait prédit à ses ennemis du besoin impérieux de la présence de Philoctète et des flèches d’Héraclès pour vaincre. Etant devenu esclave de Pyrrhus, il avait réussi à se lier d’amitié avec lui grâce à ses prédictions utiles à ce fils d’Achille. En reconnaissance, ce dernier lui avait rendu la liberté, et l’avait même nommé son successeur au trône d’Epire. Ainsi, avait-il rencontré à nouveau son parent, Enée, du haut de son nouveau statut d’héritier.

Usant d’un laurier qu’il jeta dans le feu, de sa science dans l’astrologie, ainsi que dans l’interprétation du vol des oiseaux et de l’intelligence de leur langage, il lui prédit alors sa destinée, et les épreuves qu’il allait devoir affronter. Il lui annonça ainsi qu’il sera le fondateur d’une ville qu’il érigera à l’endroit où une mère sanglier nourrit trente marcassins, une cité qui ouvrira le chemin à une autre qui dominera le monde connu. Armés des visions et des mots de prudence d’Hélénus, Enée et ses compatriotes reprirent la mer. Grâce aux conseils donnés, ils évitèrent Charybde et Scylla, ainsi que le cyclope Polyphème. Malheureusement, toutes ces épreuves eurent raison d’Anchise qui mourut en Sicile, lors d’une escale. Meurtri, son fils dût l’y laisser reposer et repartir. Malheureusement, une tempête dévia les navires vers la Lybie où ils échouèrent. En cette terre, Enée y rencontra Didon, de son vrai nom Elissa.

Fille de Bélus, roi de Tyr, Elissa avait épousé des années plus tôt un prêtre d’Héraclès du nom de Sicarbas, portant aussi le nom de Sichée. Riche, cet époux avait éveillé la convoitise de son beau-frère, Pygmalion. Ce dernier n’était pas à confondre avec Pygmalion, le statuaire de l’Ile de Chypre. Ce sculpteur s’était voué au célibat, dégoûté par l’inconduite des Propoetides, femmes de sa patrie qui avaient été maudites par Aphrodite. La déesse leur avait insufflé, au cœur, le feu de l’impudicité et du libertinage, une malédiction qui avait fini par les changer en rochers. Pourtant, il fut aussi victime de l’amour. Il avait sculpté une statue féminine en ivoire d’une telle beauté qu’il en était tombé amoureux. Il avait alors prié la déesse de la Beauté d’animer sa création. Vœu qui fut exaucé, au point qu’il l’avait épousée, et avec qui il avait eu un fils, Paphos, le futur fondateur d’une ville portant son nom.

Non, il n’était pas question de lui en ces terres de Tyr, mais bien du Pygmalion l’avare, le Pygmalion le cruel. Après être monté sur le trône de leur père, assoiffé de richesse, ce dernier avait assassiné l’époux de sa sœur, s’accaparant toute sa fortune. Il avait gardé ce meurtre secret, inventant un mensonge à Elissa. Malheureusement pour lui, le spectre de Sicarbas était apparu en songe à sa veuve. Il lui avait tout révélé, lui montrant le lieu où il avait été immolé sans aucune cérémonie, lui fermant les portes de l’Enfer. Il lui avait conseillé de fuir, et d’emporter ses trésors cachés. Sortant de son rêve, Elissa avait suivi le conseil, et s’était embarquée avec tous ceux qui haïssaient son tyran de frère. Cette flottille avait d’abord jeté l’ancre sur l’île de Chypre, où la veuve de Sicarbas enleva cinquante jeunes filles pour les donner aux exilés en tant qu’épouses. Puis, la colonie était arrivée en Lybie, où elle bâtit la ville de l’antique Carthage, aussi nommée Byrsa, signifiant cuir de bœuf. Rencontrant alors Elissa, Iarbas, roi de Mauritanie, était tombé sous son charme et l’avait demandée en mariage. Toujours amoureuse de son défunt mari, elle avait refusé. Ce fut sur cette entrefaite qu’Enée rentra en scène.

Bien qu’elle eût juré de ne jamais se remarier, le cœur de la reine de Carthage ressentit un puissant sentiment d’amour pour le prince exilé de Troie, quand il accosta sur ses côtes. Enchanté par Héra, afin de le piéger en cette contrée, Enée répondit favorablement à ses avances, et resta avec Elissa, oubliant son projet de rejoindre l’Italie. Furieux d’avoir été éconduit et de la voir renoncer à ses vœux de veuvage éternel pour un autre, le roi Iarbas déclara alors la guerre à Carthage. Le nouvel amant de sa souveraine la défendit avec bravoure et remporta la victoire. Face à sa défaite, le malheureux prétendant fit appel à Zeus qui obligea le fils d’Aphrodite à reprendre ses esprits, et lui souffla à nouveau l’envie de partir. Elissa tenta de s’opposer à ce départ, et éclata en sanglot en se jetant au pied d’Enée. Le cœur de ce dernier eut du mal à résister aux larmes de son amante. Il allait renoncer à son projet que l’image de son père lui apparut, le priant de finir son exil, afin qu’il puisse reposer en paix aux Enfers. Répondant plus à l’appel du devoir filial qu’à celui de l’amour, le troyen décida de reprendre la mer. Eplorée, Elissa risqua le tout pour le tout en mettant le feu aux navires. Imploré une nouvelle fois, le maître de l’Olympe éteignit les flammes avant que la destruction ne soit totale. Ainsi repartit le fils d’Aphrodite vers les terres italiennes, un départ qui sonna le glas pour Elissa. Désespérée, elle prêta de nouveau serment de ne jamais se remarier, restant ainsi fidèle à son amour pour Sicarbas et Enée. Toutefois, craignant qu’Iarbas la force à l’épouser par les armes, appuyé par le désir du peuple de Carthage d’avoir un roi, la souveraine érigea un bûcher funèbre, y monta et ordonna qu’on y mette le feu. L’ordre accompli, avant que les flammes ne l’engloutissent, elle se poignarda le cœur. Son geste, aussi terrible que courageux, la fit connaître sous le nom de Didon, qui signifie femme de résolution.

La légende voudrait que les instruments de sa mort fussent si flamboyants qu’Enée avait été capable de l’apercevoir de son navire, voyant se consumer l’amante, qu’il avait délaissée pour répondre à l’appel du Destin. Ecartant cette image qui resterait longtemps un regret, il tourna le dos à la Lybie. Sur le chemin, il fit une halte en Sicile et organisa une cérémonie en l’honneur de l’âme d’Anchise. Puis, enfin, il arriva à la fin de son voyage en accostant en Italie. Malheureusement, au lieu d’en ressentir de l’allégresse, il éprouvait comme un vide en lui, comme si toutes ses racines avaient été arrachées. Il n’était pas le seul. Tous les survivants de Troie partageaient les mêmes sentiments. En leur esprit, ils n’arrivaient plus à se définir comme Troyens, tout comme ils ne pouvaient pas se sentir Italiens. Ils étaient tous perdus et démoralisés. Refusant de se laisser aller au désespoir et de voir dépérir dans la dépression son peuple, Enée décida de trouver des réponses et une solution. Il alla donc consulter la seule personne qui était capable de l’éclairer, un des oracles les plus puissants du monde connu.

Souvent désireux de connaître l’avenir, les Mortels partaient consulter les oracles, des élus choisis par les Dieux pour rentrer en communication avec eux. Ils proféraient leurs prédictions de différentes manières. Beaucoup exigeaient des préparatifs préalables, comme un jeune ou des sacrifices. D’autres se rendaient sans formalité particulière et offraient une réponse immédiate. Une chose pourtant était commune à tous les oracles. C’était l’art de l’ambiguïté, n’annonçant jamais leurs prédictions avec clarté. Il existait toujours un double sens dans leurs paroles, un double sens qui laissait la porte ouverte à plusieurs interprétations, un véritable discours sibyllin. Chaque divinité en possédait au moins un, situé dans des lieux bien précis. Pour sa part, Enée partit voir l’oracle d’Apollon, la Sybille de Cumes.

Cette prophétesse faisait partie d’un ordre de divination des plus respectés, et dédiés à Zeus. Le nom Sibylle ne signifiait-il pas volonté de Jupiter ? Rentrant en transe, la Sibylle notait sur des feuilles volantes les messages des Dieux. Ainsi, plusieurs livres furent rédigés, les Livres Sibyllins. Il était raconté qu’à l’intérieur était inscrit les destinés de tous les Empires. Toutefois, il était interdit aux Mortels de les feuilleter sans l’accord des Dieux. Seuls leurs gardiens, les prêtres duumvirs, étaient autorisés à les protéger et à les consulter pour répondre aux questions des plus grands Hommes de leur époque, ou lors des grandes calamités. En dehors de ce cadre et sans l’obtention d’un décret spécial, si un seul des duumvirs révélait leur contenu à quiconque, il était mis à mort.

La Sybille à laquelle Enée rendit visite se trouvait donc dans la ville de Cumes, située à l’ouest d’Herculanum, au pied du Vésuve, en Campanie, non loin des champs Phlégréens. Construite sur une haute colline, la cité surplombait la mer Tyrrhénienne et dominait un paysage verdoyant et très fertile. Posant le pied sur le sol de l’acropole, l’endroit le plus haut de la cité, le fils d’Aphrodite prit un moment pour observer le temple de Zeus, le priant de le soutenir dans son aventure. Puis, il s’avança sur la Via Sacra, route pavée qui relit la ville haute à la ville basse. Sur une terrasse surplombant une falaise, à mi-chemin de son parcours, ses pas l’amenèrent au temple d’Apollon. A ce moment, il fit une autre halte et pria le dieu des Arts de lui venir en aide. Puis, il reprit sa descente, et continua. Il arriva bientôt sur le rivage du lac d’Averne de Pozzoli. L’entrée d’une immense grotte l’accueillit.

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