Chapitre 18 : Le retour à Rome

10 minutes de lecture

Pendant ce temps, sur la terre des Mortels, à Rome, un cortège rempli de chevaux et de chariots, de cavaliers et de marcheurs, fit son entrée dans la cour d’une vaste et riche demeure. A sa tête se tenait, fier et droit sur sa monture, Marius Junius Silanus. Derrière lui suivait son épouse, ainsi que la sœur de celle-ci Psy, toutes deux cachées derrière les devantures de leur grand carpentum. A l’arrêt de sa voiture, Idylla ouvrit les rideaux, et vit toute la famille rassemblée pour les accueillir, malgré la nuit tombante. De son côté, Marius, descendant de cheval, alla saluer son père, qui avait eu la charge de la maison principale durant son absence. Le patriarche le lui rendit en ces termes, alors que la tante d’Endymion sortait de son véhicule, pour se mettre en face de lui :

« Bonsoir, mon fils, ainsi que vous aussi, ma chère bru. J'espère que vous avez fait bon voyage.

— Bonjour, père, répondit l'interpellé, alors que son épouse avait fait un signe de tête. Oui, nous avons fait bon voyage, même si la route est toujours aussi pénible avec cette poussière.

— Je n’en doute pas. Je vous propose que vous vous reposiez, et que vous receviez une collation avant d'assister à la réunion.

— Je vous remercie de vos propositions.

— Oh bonsoir, Endymion, » continua le père de Marius, remarquant l’arrivée de son petit-fils.

Dans un silence olympien, ce dernier le salua en retour, en lui offrant une révérence, pour ensuite se presser auprès de sa mère. Son grand-père, gardant ses yeux sur lui, continua :

« Je vois que vous avez pris la décision de ramener votre neveu à Rome.

— Oui. Endymion vivra désormais avec sa mère dans cette demeure. Il va bientôt commencer sa formation sous mon autorité, l’informa Marius.

— Vous avez bien fait.

— Je constate que Colinus, mon cousin, n'est pas là. Que se passe-t-il ? interrogea le chef de famille.

—Il est auprès de son épouse, lui révéla-t-il. Elle est en plein travail. Votre mère est auprès d'elle pour l'assister, ainsi qu'une prêtresse qui prie pour le bon déroulement de la naissance.

—Oh, ainsi nous aurons une nouvelle naissance dans cette maison, déclara Idylla. Mon ami, je vais aller la rejoindre. Je souhaite être présente auprès d'elle pour cette épreuve.

—Très bien. N'hésitez pas à m'informer de toute évolution, » lui déclara son époux, avant de partir vers la salle du conseil avec son père.

La maîtresse de maison s’inclina donc devant son beau-père, et marcha ensuite vers la chambre de l'accouchée, suivie par sa sœur. Quand à Endymion, il avait préféré prendre la direction de l’aile qui leur avait été attribuée à sa mère et à lui. Puis, après avoir déposé leurs affaires, il partit aux écuries pour s'occuper de son cheval, cadeau de son oncle pour ses huit ans. Pendant ce temps, sa tante arriva devant la porte derrière laquelle sa cousine par alliance souffrait à cause de la douleur de l'enfantement. Avant de rentrer, elle fit une halte dans le couloir, et inspira un grand bol d’air pour se donner du courage. En effet, chaque accouchement lui était douloureux. Voir qu'une autre allait donner la vie, alors qu'elle restait désespérément stérile, était une véritable épreuve. Cependant, c'était son devoir, et elle l'assumera jusqu'à son dernier souffle. Psy, la sentant sur le point de pleurer, lui toucha l'épaule, et avec un petit sourire l'encouragea à ouvrir. Certes, elle avait eu la chance d'avoir Endymion, mais elle pouvait comprendre ce que traversait sa sœur. Des deux, c'était Idylla qui rêvait le plus d'engendrer des enfants, et ce vœux durait depuis l'enfance. Les Dieux étaient bien cruels de ne pas exaucer sa prière la plus chère. Psy les exhortait tous les jours à l’accorder à l'épouse de Marius, cet époux qui n'était pas à blâmer. Contrairement à d'autres, il prouvait à son aimée tout son amour, en partageant presque tous les soirs sa couche, dans une passion charnelle commune.

Sortant de leurs pensées, les deux sœurs se décidèrent enfin à rentrer dans la chambre, pour y voir une femme de leur âge aux cheveux blonds, frôlant le blanc, à l’opposé des membres Junius Silanus qui les avaient aussi sombres que la nuit. Elle possédait des yeux vairons, et répondait au prénom d’Infama. Toute son apparence témoignait qu’elle était une étrangère. Pour dire la vérité, dans le passé, il était peu fréquent que des mariages avec une personne venant de l'extérieur à la famille aient lieu. En effet, les anciens voulaient garder la particularité de leurs yeux la plus pure possible, et cherchaient à unir des cousins et des cousines possédant un degré de parenté assez éloigné. Cependant, le mari d’Infama en avait décidé autrement. Il l’avait rencontrée au cours de leur adolescence, alors que Marius n’était encore que l’héritier. Ce fut lors d’une cérémonie religieuse, durant laquelle toutes les grandes familles de Rome avaient été conviées. Séduit par son maintien altier et sa beauté si différente des donzelles qu’il côtoyait, il en était tombé amoureux, comme un fou, et jamais ne l’oublia.

Un jour, alors qu'il était en âge de se marier, Colinus avait revu Infama dans des circonstances bien mystérieuses, que le couple préférait taire. La seule chose, que les Junius Silanus savaient, était que sa venue en leur sein s’était réalisée du jour au lendemain. A l’instant où ses yeux étaient de nouveau tombés sur elle, les sentiments du jeune homme avaient resurgi au galop, et s’étaient même intensifiés. Il l’avait ainsi poursuivie de son transport, jusqu’à ce qu’elle accepte de s’unir à lui. Sachant très bien qu’elle ne sera jamais acceptée dans la famille, il avait décidé de défier le conseil et ses parents. Colinus avait donc épousé Infama dans le plus grand secret, les mettant devant le fait accompli. Son père lui avait bien sûr sommé de divorcer, mais encore une fois, le nouveau marié avait refusé, clamant qu’il n’accepterait qu’elle comme épouse. Face à son intransigeance, et à la nouvelle d’une première grossesse, qui s’était soldée par une fausse couche, son vœu lui avait été accordé. Colinus avait tout de même dû faire une concession. Pour rester uni à son épouse, il avait accepté de renoncer à sa prétention légitime au poste de chef, si celui-ci devenait vacant en cas de décès de Marius et de Sol, ainsi qu’en l’absence d’héritier direct mâle.

Ce qu’il n’avait jamais su, fut que son épouse avait fulminé en silence, quand elle avait eu vent de cet accord. En effet et malheureusement, le jeune Junius Silanus s’était uni à une femme ambitieuse de la petite noblesse, et qui avait vu, dans son mariage, un moyen de s'élever dans la société. Elle avait bien entendu pensé à divorcer, dans l’espoir de trouver un meilleur parti. Toutefois, son mari la traitait comme jamais elle ne l’avait été dans sa vie. A ses yeux, elle était sa princesse, à qui il cédait tous ses caprices. Oui, au final, toutes les attentions de Colinus lui avaient touché le cœur, au point qu’elle ne songea plus à s’en séparer. Ressentant un semblant d’amour, la jeune femme était donc restée marier au cousin de Marius et Sol, qui était tombé inexorablement dans ses filets. Et puis, toute espérance n’avait pas totalement disparu. En effet, ayant appris qu’Idylla n'arrivait pas à avoir d'enfants, son rêve, de devenir l’épouse du chef de la famille la plus influente de Rome, avait une petite chance de se produire. Cependant, Infama fut contrariée à la venue au monde d’Endymion.

Cet enfant était encore plus proche du poste d'héritier que son époux. Alors qu’Idylla accompagna Psy dans sa retraite campagnarde, elle était restée à Rome, auprès de son époux à qui Marius faisait de plus en plus confiance après la mort de Sol. Finalement, voyant l’influence grandissante de Colinus, elle semblait s’être résignée à abandonner ses convoitises. Finalement, être l’épouse du premier conseiller, voire du bras droit du chef, n’était pas si mal comme position sociale. Elle possédait ainsi les mêmes considérations que l’épouse de Marius, et semblait s’en satisfaire. Maintenant, en paix avec elle-même et ses ambitions, elle était sur le point d'accoucher. Face à sa souffrance, Idylla tenta de lui apporter un quelconque réconfort :

« Ma chère cousine, je vois que vous souffrez beaucoup. Je vous ai apporté une lotion qui vous aidera à la supporter. »

Elle s’assit sur le lit et avec l'aide de sa sœur pour la soutenir, appliqua cette médecine sur le bas du dos de la future mère, ainsi que sur son ventre. Au bout de quelques minutes, bien que la douleur fût toujours présente, cette dernière en fut soulagée. Infama remercia Idylla d'un signe de tête, profitant de cette accalmie pour se reposer, une accalmie qui ne dura que quelques minutes. En effet, le travail reprit de plus belle, et dura encore quelques heures. Quand l'heure du dîner sonna, toute la maison entendit les pleurs d'un nouveau-né. L'heureux père se précipita immédiatement vers la chambre. Angoissé, il fit halte un instant devant la porte, s’essuyant ses mains moites contre ses habits. Son cœur battait la chamade, divisé entre l’excitation et l’angoisse. Prenant son courage à deux mains, il avait fini par frapper pour annoncer sa venue. L’épouse de Marius lui ouvrit doucement, en lui présentant une énorme surprise qui était emmaillotée dans des linges blancs, et installée dans les bras de Psy. Elle lui annonça :

« Félicitations, mon cher cousin. Les Dieux vous ont accordé une magnifique petite fille. »

A ces mots, le nouveau père s'avança et se pencha sur sa première-née. Elle semblait avoir hérité de la chevelure de sa mère. Quand aux yeux, il devra attendre un peu, car pour le moment, l'enfant dormait dans les bras de sa cousine. Il espérait tout de même qu’elle ait hérité de la particularité des Junius Silanus. Au moins, ainsi, elle sera moins rejetée par les autres. Il regarda ensuite sa femme qui, semi-assisse, paraissait songeuse, et lui parla :

« Je vous remercie, ma chérie. Elle est belle, tout comme sa mère. Comment désirez-vous l'appeler ?

— Lua, elle s'appelle Lua, répondit-elle.

— Comme votre mère. Très bien. Donc Lua, bienvenue dans la famille, » salua tout content Colinus, en prenant sa fille dans ses bras et s'installant auprès de son épouse sur le lit.

Contrairement à Infama, depuis leur rencontre, le nouveau père était resté un homme simple, et qui n'avait aucune ambition personnelle, à part celle de servir au mieux sa famille. Il était plus qu’honorer par la confiance de Marius, et le remboursait au centuple. Satisfait comme jamais face sa paternité, il se noyait dans la contemplation de sa fille, oubliant quelque peu son épouse, qui ne s’offusqua pas de ce manque d’attention. Pour dire la vérité, toutes ses pensées étaient tournées ailleurs, comme si la naissance avait réveillée sa soif de pouvoir, longtemps endormie. Elle venait d'accoucher d'une petite fille. Donc, qui ne pourra jamais revendiquer la place de chef, encore plus depuis que son mari y avait renoncé. Idylla était pour le moment stérile. Il ne restait qu’Endymion. En pensant à lui, Infama eut un faible sourire moqueur. En fait, elle rigolait de sa propre personne, et se moquait de la divagation de son esprit. A quoi pensait-elle donc ? A quoi servaient tous ses calculs ? Elle n’était pas idiote. La nouvelle mère décida ainsi d’écraser, avant même son éclosion, l’arrivée d’une nouvelle ambition. Sa fille, et ses autres potentiels enfants, n’avaient aucune chance,…, à moins que… Un sourire un peu plus franc fit alors son apparition, un sourire qui fut interprété par Colinus, comme un signe de joie maternelle. Encore plus heureux, il embrassa chastement la joue de Infama, en signe de remerciement et d’amour. Face à ce bonheur, Idylla intervint :

« Bien, nous allons vous laisser vous reposer. Je vais demander à ce qu'on vous apporte une collation à tous deux ici. Vous serez plus tranquille avec votre enfant.

— Je vous remercie, ma cousine. Vous être une bonne âme, revendiqua son cousin.

— Je vous en prie. C'est mon devoir et mon plaisir. Encore mes félicitations.

— Je vais prier les Dieux pour que vous connaissiez ce même bonheur, » dit-t-il, avant de la laisser partir.

La maîtresse de maison sourit timidement en réponse, un sourire destiné à cacher sa propre douleur, une douleur que ces paroles lui avaient infligée. Par la suite, elle sortit en refermant la porte derrière elle, suivie par sa sœur. Idylla se dirigea ensuite vers la salle à manger pour y retrouver son époux. Arrivée dans la pièce meublée de sofas, de tables soutenant les mets les plus délicats et de vases, elle annonça à l'assemblée présente la naissance de Lua. Les personnes présentes exclamèrent leur joie. Certains se félicitaient de compter un nouveau membre dans leur famille. Pour d'autres, savoir que c'était une fille les soulageait intérieurement. Cela faisait une personne en moins pour la revendication au poste de dirigeant. Nul n’était au courant d’une quelconque mesure en cas d’absence d’héritier, donc tout était envisageable. A la nouvelle, Marius tourna le regard vers son épouse. Il était conscient de la peine qu'elle ressentait à chaque naissance. La voyant quitter la pièce, il l'a suivie et la rattrapa. Ne lui laissant le temps de se dérober, il l’enlaça, afin qu'elle puisse pleurer tout son sou contre lui. Ressentant la chaleur et la compassion de son époux, Idylla ne se fit pas prier, et déversa toute sa peine. Quand ses larmes furent taries, elle le remercia en l'embrassant. Prétextant n’avoir pas faim, et le priant de l’excuser auprès des membres de la famille, elle repartit vers ses tâches quotidiennes. Elle devait ordonner, pour le lendemain, un festin pour fêter l'arrivée de Lua, mais surtout réorganiser la maison après sa longue absence.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Edwige BOUDAS ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0