Chapitre 21 : Le destin d'une Troyenne

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Avant qu’Apollon-Phébus ait la force de se lever, Nyx profitait des dernières heures de la nuit. Sur l’Olympe, Aurore, s’affairait déjà autour de ses deux chevaux, Lampos et Phaéton. A l’ascendance assez floue, certains disaient de cette jeune nymphe couronnée de fleurs, vêtue d’une robe de safran et d’un voile sombre rejeté en arrière, qu’elle était fille de Titan et de Terra. D’autres la décrivaient comme celle de Théia et d’Hypérion. Faisant fi de ces rumeurs, elle préférait se préoccuper de sa tâche. Pour l’heure, cette dernière consistait à atteler ses compagnons à son char vermeil et aux reflets de feu, avant d’y accrocher un flambeau. Y montant, elle prit sa verge, et commanda le départ. Elle sortit ainsi de son palais du même métal, et se dirigea vers celui d’Hélios, qu’elle tira de son sommeil. Aurore fit particulièrement attention à ne pas réveiller l’épouse du maître des lieux, Perséis, dit aussi Persa, fille de Thétys et de l’Océan, dont il eut Eétés, Persé, Circé et Pasiphaé. Ce mariage tenait comme par miracle. En effet, dieu infidèle comme beaucoup de ses comparses, le Soleil s’était épris, il y avait bien longtemps, de Rhodos, fille de Neptune et de Vénus, la nymphe de l’île à laquelle il donna son nom. Il avait engendré avec elle sept fils, les Héliaques, qui se partagèrent leur contrée natale, et vouèrent un véritable culte à leur père, culte qui se propagea dans les siècles suivants par les habitants de Rhodes.

Indifférente à cette histoire, et en attendant qu’Hélios daigne sortir de sa torpeur, Aurore ordonna aux Heures et à Lucifer de préparer le départ imminent. Ah Lucifer ! Elle aimait tant le regarder s’affairer autour des chevaux de feu du Soleil. Elle était presque en adoration à le voir tendre les muscles quand il les brossait. Oui, dans ses yeux, se voyait toute la fierté et tout l’amour qu’elle portait à ce fils de Jupiter, et pour cause… Ce fut elle qui lui donna le jour. Il restait le seul de ses enfants qui était resté à ses côtés, en la quittant que très rarement. Chef et conducteur de tous les Astres, il prenait soin du char et des coursiers d’Hélios. Tous les matins, il les attelait, et ce n’était pas une chose facile. Les bêtes étaient fougueuses et des plus impatientes, au point de risquer de brûler de leurs crins de feu leur soigneur, voire le palais tout entier. Tous les soirs, Lucifer les dételait avec l’aide des Heures, tâche beaucoup plus calme, tellement les chevaux étaient épuisés par leur course durant tout le jour. Quand enfin, tous furent prêts, et Hélios enfin arrivé, Aurore précéda le Soleil de son propre char. Ainsi, ils allèrent, tous deux, chercher Apollon, qui devait le superviser.

Pendant ce temps, Lucifer prépara l’arrivée sur Terre de sa mère, en prévenant les Mortels grâce à sa chevelure blanche qu’il étala dans la voûte céleste. Pour réussir cet exploit, il recourut à sa forme astrale, la planète Vénus, surtout connu sous le nom d’étoile du berger, ou étoile du matin. Il arrivait toujours par l’Est au crépuscule matinal, avant de laisser sa place à Vesper, étoile du soir, quand cet astre se montrait à l’Ouest, à la nuit tombée. Alors qu’il annonçait la levée du jour, au palais d’Apollon, ce dernier monta sur le char solaire, et devint Phébus. Puis, les trois divinités partirent accomplir leur devoir.

Tout en chassant de sa présence la Nuit et le Sommeil, ouvrant le chemin au Soleil, Aurore répandit une pluie de rosée, une rosée qui témoignait de la blessure de son cœur maternel et d’amante. En effet, bien que mariée à Persèus, qui la rendit mère des Vents, elle avait mis au monde les Astres, avec le recours du titan Astréus. Cependant, elle avait eu la tristesse de les voir se faire disperser dans l’Espace par un coup de foudre de Jupiter. Ils avaient eu l’audace d’aider leur père à escalader l’Olympe lors de la guerre des Titans pour le combattre. Depuis, ils y étaient fixés pour l’éternité. Puis, Aurore était tombée amoureuse du jeune Tithon, fils de Laomédan et frère du roi de Troie Priam. Elle l’avait alors enlevé, épousé et en eu deux fils, Memnon, souverain d’Etiopie, et Hermathion. Leur mort l’avait si meurtrie que ses larmes s’étaient transformées en rosée du matin, qui ne jamais se tarissaient. En effet, tombant facilement amoureuse, la nymphe avait tendance à enlever tout homme qui lui plaisait et à en faire son époux. Ainsi, après Céphale qui lui donna un autre garçon, ce fut le tour d’Orion et de beaucoup d’autres. Malheureusement, immortelle, elle était condamnée à perdre tous ses amants, et à pleurer leur décès tous les matins.

De son côté, Apollon, devenu Phébus, aidait Hélios à diriger leurs chevaux à la robe et aux crins de feu, permettant à toute vie de sortir de l’emprise d’Hypnos. Chemin faisant, il se questionnait. Comment Diane, en charge de l'astre lunaire la nuit, arrivait encore à courir à travers les forêts, tout le jour, pour s'adonner à son passe temps préféré, la chasse ? En plus de ses prérogatives, elle s'était engagée à aider Mars pour entraîner Cupidon et Himéros. Vraiment, il ne savait pas comment elle faisait, et d'où elle tirait autant d'énergie. En pensant aux deux garçons, il se demandait s'il ne devrait pas aussi y apporter sa pierre. Il avait une certaine expérience. Et puis, confronter les angelots à la puissance du Soleil pourrait leur être profitable. Les voir éviter les rayons solaires serait une bonne distraction. Heureux de cette idée, Apollon-Phébus avait hâte d’en finir avec Hélios.

Passant à ce moment précis au-dessus du palais du dieu de la Guerre, la destinée le rendit témoin d’un spectacle des plus drôles. Cupidon, impatient de commencer à s'entraîner, s'était réveillé bien avant Aurore, et après avoir réussi à réveiller son frère, l'avait incité à se joindre à lui pour aller réveiller Mars. Comprenant l'impatience du dieu aux ailes blanches, et désireux de faire une blague, les deux jeunes faisaient leur possible pour avancer le plus furtivement possible. Cela fit rire le dieu des Arts, car ils étaient assez maladroits dans leur démarche. Son observation renforça sa conviction qu’il aura des choses à leur apprendre, et se promit d'aller voir Mars pour lui proposer son aide dans la formation de ses fils. D’ailleurs, constatant qu’il avait guidé le char solaire sur le bon chemin, il était bientôt temps de rendre Hélios le seul maître à bord, et ainsi il pourra tenir sa promesse. Pendant ce temps, les deux garçons continuaient à avancer doucement vers la chambre de leur parent. Arrivés à la porte, Cupidon l'ouvrit en essayant de ne pas la laisser grincer, et suivi par Himéros, rentra dans la pièce. Ils y virent Mars dormir sur le dos, alors que Vénus était sur le côté face à son amant. Lorsqu'ils atteignirent le bord du lit, Cupidon et Himéros déployèrent doucement leurs ailes, et s'élevèrent silencieusement dans le ciel, et… :

« Taïaut ! » Crièrent-ils, en atterrissant sur le ventre du dieu de la Guerre, qui le souffle coupé s'éveilla, les yeux lui sortant des orbites.

Après s'être remis du choc, Mars regarda les deux fautifs de ce réveil des plus brutaux assis tranquillement sur lui. Cupidon arborait un sourire aussi large que son visage, alors que celui d’Himéros était un peu plus timide, mais exprimait la même malice et le même amusement. Bien sûr, toute cette agitation réveilla leur mère en sursaut. Cette dernière, voyant la situation, éclata de rire. Se tenant quelque peu son ventre endolori, Mars la réprimanda :

« Vénus, arrête de rire ! Ça fait mal !

— Pardon, mon amour, mais c'était vraiment drôle! S'excusa son amante qui avait pourtant du mal à s'arrêter. Bien jouez les enfants.

— En plus, tu les félicites, c'est le pompon, se lamenta son amant. Mais qui m'a foutue une famille pareille...

— Allez papa, debout ! Tu nous as promis, hie,r de commencer les choses sérieuses aujourd'hui, encouragea l’Amour, impatient de commencer.

— Cupidon, Apollon vient juste de lever le soleil et je...

— Mais euh... Tu avais promis, continua son fils aîné en faisant la moue

— Bon, bon je me lève, mais pour ça, pouvez-vous vous enlever de mon ventre ? Finit par céder Mars.

— Mais avant de partir, vous devez prendre votre petit-déjeuner. Pas d'entraînement avec un ventre vide. Me suis-je bien fait comprendre ? Déclara Vénus.

— Oui ! On vous attend dans la salle à manger, » répondirent en cœur les deux garçons, partant en courant vers la dite salle, et laissant leur parent se lever tranquillement.

Mars et Vénus eurent un petit sourire. Ils étaient heureux de voir leurs enfants aussi enthousiastes, et en bonne santé. Bon, le dieu de la Guerre aurait aimé un réveil un peu plus calme, mais il préférait cette situation, que d'entendre les cris de Cupidon lors de ses crises de cauchemars. Les deux amants les rejoignirent ensuite pour se restaurer en leur compagnie. La seule question que se posait Mars était de savoir comment il allait aborder LA question qui le préoccupait le plus en ce moment avec Cupidon. Il avait conscience qu'il devait le faire, mais il ne savait pas ni comment, ni quand. Enfin, laissant son inquiétude de côté, il décida de profiter de ce petit déjeuner familial, et peut-être que la solution se présentera d'elle même. Le repas se déroula donc sous les rires et les discussions. Une journée des plus joyeuses et agréables semblait se profiler devant eux.

Alors que le fils de Jupiter profitait d'un moment en famille, dans une grotte avoisinant un palais de marbre grisé par la fumée qui s'échappait d'une cheminée, un homme au physique boiteux s'acharnait sur son enclume. Il frappait de son marteau en pierre d’étoile la plus dure, et aux inscriptions dorées, un petit objet de couleur vert turquoise. A chaque coup, le plus divin des artisans ne cessait de s'encourager, en se répétant inlassablement qu'il devait y parvenir. C'était son devoir et son honneur qui étaient en jeu. Il était tellement obnubilé par sa réalisation qu’il n’avait aucune notion du temps. Il était tellement résolu à ne pas la laisser inachevée, même si elle devait prendre des siècles. Prenant tout de même une pause de quelques minutes, il porta son regard sur une petite table noire. Sur cette dernière se trouvait une feuille d'or, où une écriture faite de sang pouvait s'y lire. Oui, il allait le faire pour leur bonheur, et peut-être, un jour, le sien. S’étant suffisamment reposé, il releva son marteau, et s’apprêta à frapper à nouveau que la porte de la grotte s’ouvrit, interrompant son geste. Une petite voix s’éleva :

« Maître, vous m'aviez demandé de vous prévenir lorsque le soleil atteindrait son zénith.

— Cela fait donc si longtemps que je suis ici, remarqua le maître des lieux.

— En effet, seigneur Vulcain.

— Je t'en remercie, Cassandre.

— Je ne fais que mon devoir, » répondit celle qui se dénommait donc Cassandre.

Ainsi, c'était Vulcain, le dieu des Forges, qui, depuis la veille, avait entrepris une tâche qu'il se devait de terminer dans les plus brefs délais. Après avoir entrepris de se laver quelque peu de la sueur et de la suie qui lui recouvrait le corps, il ressortit de sa forge pour rejoindre Cassandre qui l'attendait dehors. En levant les yeux sur elle, il la regarda. C'était une femme chétive, et de petite taille. Bien que fille du roi Priam et d’Hécube, et donc princesse de Troie, elle n'avait pas eu la vie facile, et avait même été traitée de folle du temps de sa vie mortelle.

En effet, quand elle vivait encore sur la terre de son père, Apollon s'était épris d'elle, et par amour lui avait offert le don de prophétie. Malheureusement, les sentiments de la divinité s’étaient taris, et il avait regretté son geste. Ne pouvant pas le lui retirer, il l’avait maudite, en faisant en sorte que ses prédictions soient discréditées, malgré qu’elles se réalisent toujours. A chaque prophétie, les personnes, et même sa propre famille, l’avaient prise pour une illuminée, et n’avaient jamais cru en ses visions de l'avenir. Ainsi, Cassandre avait prédit les revers de Priam, de Pâris et de toute la ville de Troie. Ne supportant plus ce qu’il prenait pour des lamentations, son père avait même ordonné son enfermement dans une tour, où elle n’avait pas arrêté de déplorer les malheurs de sa patrie. Ses cris et ses larmes avaient redoublé lorsqu’elle avait appris le départ de son frère Pâris pour la Grèce, et son retour avec Hélène qu’il avait enlevée. Elle avait également tenté de s’opposer à l’entrée du cheval de bois dans l’enceinte, prédisant la destruction de la ville s’il s’y introduisait. Cependant, personne n’avait pris ses menaces en considération, à part peut-être son frère Laocoon.

Ce dernier, prêtre de Poséidon et d’Apollon, avait accouru furieux face au dessein de ses concitoyens à faire entrer la statue équine en sapin. Il s’était efforcé de les dissuader, en la montrant comme une ruse, ou une machine de guerre grecque. Il avait été jusqu’à planter un javelot dans le flanc de l’équidé pour les forcer à le garder à l’extérieur. Peine perdue. Dans leur aveuglement, les Troyens avaient écarté leur prêtre qui s’était résigné à offrir une offrande pour demander de l’aide aux Dieux. Malheureusement, aucune assistance divine n’était venue. Seuls deux immenses serpents étaient sortis de la mer, et s’étaient jetés sur les deux fils de Laocoon, Antiphate et Tymbraeus. Pour les sauver, leur père s’était lancé contre les deux reptiles, mais avait fini prisonnier, à son tour, des anneaux puissants. Après avoir étouffés et lacérés de leurs morsures leurs victimes, les deux apparitions reptiliennes les avaient relâchés, morts, avant de repartir vers les eaux. Ce tragique évènement avait conforté les Troyens dans leur choix. Ils avaient alors entré le cheval en bois dans leur cité.

Le piège d’Ulysse s’était ainsi refermé sur Troie, et sa destruction actée sans espoir de salut, un salut qui ne fut pas accordée à Cassandre non plus. En effet, s’étant réfugiée au sein du temple de Minerve, cette dernière avait subi les derniers outrages de la part d’Ajax, fils d’Oïlée, qui en fut puni. En effet, furieuse qu’un homme ait violenté une femme venue demander sa protection, la déesse avait provoqué le naufrage, sur le chemin de retour, du navire d’Ajax qui s’en était échappé vivant. S’en vantant ouvertement pour narguer la divinité, ce prince grec en avait payé le prix. Indignée, Minerve s’était saisie de la foudre de son père, et avait terrassé une fois pour toute l’arrogant. De son côté, Cassandre était devenue un trophée de guerre pour Agamemnon. Toutefois, touché par sa beauté, et son mérite, le roi grec en fut épris, et l’avait donc gardée auprès de lui. Il était allé jusqu’à l’épouser comme seconde femme, et à engendrer avec elle des jumeaux. Malheureusement, son destin devait se terminer par une tragédie. La princesse troyenne avait prédit à son époux que s’il rentrait en Grèce, il se ferait assassiner. Ne l’écoutant pas, le roi d’Argos et de Mycène avait suivi son plan. Toutefois, comme toutes les autres, la prédiction s’était réalisée, et l’assassin avait pris le visage d’Egisthe, l’amant de sa première épouse Clytemnestre.

Mère d’Iphigénie, sœur d’Hélène, ainsi que fille de Jupiter et de Léda, cette souveraine avait épousé en premier lieu Tantale, fils de Thyeste, dont elle avait eu un garçon. Amoureux d’elle, Agamemnon avait tué le père et le fils, pour ensuite l’enlever, et en faire sa femme. Avant de partir pour Troie, le roi grec l’avait confié à son plus fidèle ami Egisthe, ainsi que son royaume. Cependant, les deux lui avaient été infidèles, et étaient devenus amants, allant jusqu’à comploter la mort du mari, vengeance d’une mère pour la mort de sa fille. Ainsi, au retour du dit époux, leur projet fut couronné de succès, comme l’avait prédit Cassandre qui l’accompagna dans la mort, tuée de la main de Clytemnestre, ainsi que leurs deux garçons. Ce fut des Enfers, que la princesse troyenne avait assisté au couronnement d’Egisthe par sa meurtrière qui l’avait épousé. Ce fut également du royaume de Pluton qu’elle avait appris que ce couple régicide avait trouvé une fin tragique, assassiné à son tour par Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre.

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