Chapitre 14 : Une princesse grecque

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Afin de venger l’affront que Pâris, avait infligé à son frère Ménélas, Agamemnon, avait donc préparé sa flotte pour partir en guerre contre la ville troyenne. Malheureusement, les vents l’avaient boudé. La mer était restée désespérément d’un calme plat, et cela pendant plusieurs mois. Les navires étaient restés inexorablement prisonniers du port d’Aulis, quoi que les marins entreprennent. Ne le supportant pas, le roi d’Argos et de Mycène avait alors consulté le devin Calchas. Celui-ci, fils de Thestor, avait reçu d’Apollon la science du présent, du passé et de l’avenir. Ayant vu monter sur un arbre un serpent, qui après avoir dévoré neuf oisillons et leur mère, avait été changé en pierre, il avait prédit la déclaration de guerre contre Trois. Une siège, qui selon sa prédiction, allait durer dix ans. Là encore, il avait appris à Agamemnon la raison de sa malchance. Durant les années précédentes, le roi avait offensé la déesse Diane à multiples reprises. Une fois, il s’était vanté d’être meilleur chasseur qu’elle. A une autre occasion, il avait tué un cerf cher à la divinité de la Lune. Et pour terminer, il avait oublié de lui sacrifier la plus belle chose que son royaume était capable de produire après la naissance d’Iphigénie. Il avait donc excité le courroux de la guide de Séléné. Calchas avait été sûr de lui en affirmant que, pour se venger, elle avait alors figé les vents et les eaux. Au moment de ce récit, Cupidon ne put que s’esclaffer :

« Attends ! Attends ! Tu dis que ce devin à la noix a vraiment cru que Diane avait ce pouvoir !

— A que veux-tu, répliqua Eole. Les Mortels sont trop crédules. Même si ce Calchas a été béni par Apollon, ce dernier n’a pas dû lui donner tous les pouvoirs de divination. Par contre, ce qui est vrai, c’est que Diane a demandé à Neptune et à moi de jouer un mauvais tour à ce roi un peu trop vaniteux et meurtrier de son animal préféré. C’était l’occasion. Après, j’avoue que nous avons oublié de lever la punition. Ta seconde naissance nous a un peu trop occupé l’esprit.

—Et après, que s’est-il passé, demanda son ami, toujours aussi curieux.

— Et bien… »

Iphigénie continua son histoire. Afin d’apaiser Diane, Calchas avait alors exigé son sacrifice sur l’autel. Qui de mieux qu’une princesse vierge pour devenir l’agneau sacrifié. Avec le sang royal qui coulait dans ses veines, la déesse serait des plus satisfaites. Au début, son père avait refusé. Sa mère, Clytemnestre, était donc partie avec elle à Mycènes pour la protéger. Malheureusement, son oncle, Ménélas, ne l’avait pas entendu de cette oreille. Il avait insisté encore et encore auprès de son puissant frère, lui rappelant que son humiliation était aussi la sienne. Il lui avait rapporté que jamais une meilleure occasion ne se présentera pour accomplir sa plus grande ambition, c’est-à-dire assouvir la nation troyenne, et la mettre sous sa coupe. Il argumenta avec une telle force qu’il avait eu gain de cause. Ainsi, Agamemnon avait cédé. Il avait alors envoyé Diomède et Ulysse chercher son épouse et sa fille. Pour les décider à les suivre, les deux envoyés avaient feint de préparer l’union d’Achille avec Iphigénie, dont sa main lui avait été promise depuis son adolescence. Ils avaient été envoyés pour l’escorter jusqu’à la patrie du héros pour les marier. Quand le jour était venu de rejoindre son fiancé, la princesse et sa mère avaient découvert qu’elles avaient été trompées, quand les murailles du palais d’Agamemnon s’étaient présentées devant elles. En quelques secondes, elles avaient compris. Il allait offrir sa propre fille au couteau du prêtre, et au feu sacrificateur.

Face à cette sentence de mort, Iphigénie avait supplié le pater familias d'abandonner son projet. Elle était certaine que la divinité chasseresse n'était pas aussi cruelle, et n'exigeait pas un tel sacrifice à un père. Et puis, pourquoi cette guerre ? Elle n'avait pas de sens. L’amour entre Pâris et Hélène avait été un cadeau des Dieux. Aucun Mortel n’avait le droit de s’y opposer. Déclarer la guerre pour des ambitions personnelles n’enverrait que des hommes se faire tuer, créant des veuves et des orphelins. Agamemnon était resté malheureusement sourd à ses suppliques. En fait, il s’était fait à l’idée de la perdre. Il s’était réconforté en pensant que son rôle de princesse l’obligeait à remplir son devoir. Sa fille restera à jamais gravée dans la légende, et la gloire. Voyant son père inflexible, Iphigénie avait compris qu’elle ne pouvait rien attendre de lui. Elle s’était donc résignée. Le jour du sacrifice, la jeune princesse avait tout de même tenté une dernière chose avant d’être envoyée au bûcher. Elle s’était mise à prier pour que cette coupe de malheur s'éloigne d'elle. Elle avait alors fait un vœu. Si son funeste destin lui était épargné, elle était prête à perdre tous ses privilèges. Elle préférait vivre dans la misère plutôt que de sacrifier sa vie pour la gloire, mais surtout en sachant que sa mort entraînerait celle de milliers d'autres. A ce moment du récit, Iphigénie, des sanglots dans la voix, ne put continuer. Le souvenir de son père voulant la sacrifier, et du flambeau dans la main du prêtre, fut de trop pour la princesse grecque qui s'effondra en larmes. Eole, encore à la surprise de Cupidon, mit son bras autour des épaules de sa compagne pour la consoler. Voyant toujours de la curiosité dans les yeux de l’Eros, il poursuivit l'histoire de ce jour à sa place :

« Quand je descendis sur Terre pour souffler de nouveau les vents sur les océans, j'ai entendu des pleurs, et cette prière, portés dans ceux-ci. Je suivis ces murmures pour arriver devant un autel où était attachée Iphigénie. Un prêtre, le bras levé, s'apprêtait à mettre le feu aux branchages où elle reposait. Je ne sais pas pourquoi j'ai agi, mais j'ai arrêté le geste fatal et emmené Iphigénie avec moi. Diane m’a bien sûr aidé à la sauver. Au moment où je la prenais avec moi, elle lui avait substituée une biche qui fut immolée à sa place, se servant de la fumée épaisse pour le faire en dehors des regards des Mortels. En m'éloignant, j'ai déchaîné les vents qui permirent aux navires d’Agamemnon de quitter le port et de prendre la mer. Ainsi, ils crurent que leur sacrifice avait marché.

— Je vois... Et depuis, Iphigénie est avec toi sur le mont Olympe ? Demanda Cupidon.

— Non, pas tout de suite, répondit son ami. Après notre départ, je l'ai emmenée en Tauride, au sein du temple de Diane qui la fit sa prêtresse.

—Attends, se mit à réfléchir le dieu ailé. Ce n’est pas le temple où le roi Thoas avait ordonné qu’on y immole tous les étrangers qui aborderaient sur ses côtes ?

— En effet, c’est ce temple, fut la réponse d’Iphigénie. Et je n’ai jamais dérogé à mon devoir. Aucun naufragé n’y échappa, sauf deux d’entre eux… mon frère Oreste et notre cousin Pylade. Quand les deux arrivèrent dans le temple, je ne les ai pas reconnus tout de suite. Toutefois, je leur ai proposé de renvoyer sain et sauf l’un d’entre eux, un seul suffisant pour respecter la loi. Pylade fut celui que je voulus retenir. Oreste s’y opposa, et se proposa de le remplacer, refusant de voir son « frère » mourir, mais notre cousin le contra à son tour. Un combat d’amitié s’en suivit, chacun offrant leur vie l’un pour l’autre. Au bout d’un moment, une tâche de naissance me permit de reconnaître mon frère, qui me présenta mon cousin. Désireuse de sauver les membres de ma famille, je fis croire à Thoas qu’ils étaient coupables d’un meurtre, et qu’il m’était impossible de les sacrifier avant qu’ils expient leur crime. Afin que cette expiation soit accomplie, il était nécessaire qu’elle se déroule en mer. Le roi apprêta un bateau, où une statue de Diane fut installée, et embarqua, suivi par Oreste et Pylade. En qualité de prêtresse, je montais aussi à bord, à la suite. Quand nous fumes au large, s’armant des armes que j’avais cachées, mon frère et notre cousin se débarrassèrent des rares gardiens, et de Thoas. Puis, nous avons vogué jusqu’à notre patrie, où j’espérais vivre tranquillement. Malheureusement, encore une fois, je ne fus pas maîtresse de mon destin. Après avoir donné en mariage notre sœur Electre, à Pylade, Oreste voulut également me marier à un vieux roi. J’ai refusé, mais il ne m’écouta pas. J’ai donc fui durant une nuit pluvieuse et de grands vents. Alors que je marchais sur un chemin escarpé, mon pied glissa, et je tombai dans le précipice. La chance voulut que je me retrouve sur une corniche étroite. J’ai appelé au secours, et…

— Comme lors de son sacrifice, les vents m’apportèrent son appel, intervint Eole. Et…

— Et tu t’es empressé d’aller la secourir, interrompit le dieu de l’Amour, de plus en plus étonné, et se posant encore des questions. Et depuis Iphigénie se trouve en ton palais ?

— En effet, Au début, je voulais la laisser à un membre de sa famille, après qu'elle se soit reposée. Elle m'apprit alors toute son histoire, et qu'on la rendrait à son frère si elle rentrait chez elle, ou chez une de ses connaissances. Elle avait trop peur qu’il finisse par la marier contre son gré. Elle ne savait pas où aller, et me supplia de la garder auprès de moi.

— C’est audacieux comme souhait, un souhait que tu as réalisé, taquina le frère d’Himéros. Toutefois, il y a une chose que je ne comprends pas… Ça fait quand même plusieurs… »

Cupidon ne put terminer sa phrase à cause de l’empressement d’Eole à l’en empêcher. D’un mouvement du doigt, ce dernier avait discrètement joué d’un léger vent pour lui clouer le bec. Ne désirant pas défier son ami, le fils de Vénus n’insista pas et garda le silence. Prétextant la fatigue de sa campagne d’avoir pleuré et trop parlé, le roi des Iles Eoliennes la saisit au niveau de la taille et l’invita à le suivre. Il se dirigea alors vers un banc en marbre pour l'y déposer le temps qu'elle se repose. Il lui demanda de l'attendre un instant avant de s’éloigner. Il avait besoin de parler à son compère. Les deux dieux s'éloignèrent par la suite pour discourir, loin des oreilles de la jeune mortelle :

« Alors ? Demanda à nouveau Cupidon, d’un ton qui appelait à la confidence.

— Et bien... commença Eole. En fait, elle s'est proposée de me servir, telle une esclave, pour me remercier, et pour ne pas à repartir à Mycènes. Au début, j'étais réticent. Garder une mortelle dans notre monde n'est pas vraiment une chose à faire si elle se fait attraper. Les Faons risquent de s'en servir comme jouet. Quand aux autres Dieux, ils vont surement vouloir se divertir avec elle.

— Surement, en effet, acquiesça son ami en haussant les épaules nonchalamment. Mais je ne vois pas en quoi ça serait différent… Et puis d’habitude, ça te laisse complètement indifférent. Qu’est-ce qui change cette fois ?

— Je ne me l'explique pas pourquoi, confessa Eole. Au début, j’ai cédé à sa demande à une seule condition, qu’elle ne quitte jamais l’intérieur de mon palais. Je pensais la garder que quelques années, afin de me divertir un peu.

— En gros, c’était ton petit caprice personnel.

— Voilà, admit-il. Quand j’ai voulu la libérer de son servage, elle a refusé, menaçant de se tuer. Là encore, j’ai cédé. Je me sentais un peu mal à l’idée d’être responsable de sa mort. Mine de rien, elle me servait bien, tout en gardant un je ne sais quoi qui la rendait différente des nymphes et autres…

— Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que tu ne me dis pas tout… Allez crache le morceau. Pourquoi continuer à la maintenir recluse dans ton palais ?

— Je… En fait… l'idée qu’Iphigénie puisse vivre un quelconque outrage m'est insupportable, confessa le maître des Vents, avec quelques rougeurs sur les joues. Ou même d’être proche d’un autre dieu.

— Je vois, se frotta les yeux Cupidon, qui avait une petite idée des causes d’un tel comportement. Mais ça ne m’explique pas pourquoi ta soi-disant servante soit encore en vie. Si je me souviens bien, la guerre de Troie est terminée il y a bien une éternité. Elle aurait dû trépasser depuis des siècles.

— Pour… Pour te révéler la vérité, je… Je fais discrètement boire à Iphigénie de l’eau en provenance de la Fontaine de Jouvence.

—Quoi ? Tu… Tu fais quoi ? »

Cupidon n’en croyait pas ses oreilles. Depuis des siècles, l’ancienne princesse grecque voyait sa vie prolongée grâce à la nymphe des eaux nommée Jouvence. Cette dernière était fille du titan Océan. Du temps où Jupiter n’était pas encore marié et était sans enfant, il était parti à la recherche de Jouvence, afin de profiter de la jeunesse éternelle à tout jamais, et de partager cette nouvelle vertu avec ses futurs enfants divinités. Après plusieurs mois de recherche, tellement la belle nymphe aimait se dissimuler des autres, Jupiter avait réussi à la dénicher. Dès leur rencontre, les deux avaient succombé à l’amour, et s’étaient aimés. Jouvence avait alors accordé son vœu à son amant, et était allée jusqu’à lui donner un fils, le dieu adolescent Cairos aux ailes d’ange, qui symbolisait les opportunités à saisir avant qu’elles ne disparaissent à jamais. Afin de la remercier, Jupiter lui avait proposé de réaliser un de ses souhaits. La nymphe avait choisi de devenir invisible aux yeux du monde. Pour l’exaucer, et être le seul à ses côtés, le dieu des Dieux l’avait changée en fontaine magnifique, et l’avait placée dans un endroit secret. Il était dit qu’uniquement Junon en connaissait l’emplacement. En effet, afin de retrouver chaque année sa virginité, elle s’y baignait une fois par an.

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