Himéros

9 minutes de lecture

Sans crier gare, le tremblement de terre prit de l’ampleur, faisant tomber les temples et les maisons. A Pompéi, la pression dans le Vésuve arriva à son point critique, prêt à faire connaître toute sa puissance, une puissance qui s’abattit en une fraction de seconde, au moment précis où le divin nouveau-né poussa son premier cri. Le volcan se réveilla, et explosa dans un fracas assourdissant. Une nuée ardente s’éleva dans le ciel jusqu’au firmament, formant un nuage qui obscurcit la lumière de la lune. Retombant sur le sol à une vitesse extraordinaire, ce mélange de souffre, et de fumée se précipita vers la ville romaine. Les habitants endormis, ou pris au dépourvu, ne purent s'enfuirent. Ceux qui tentèrent leur chance furent foudroyés en pleine course. En quelques minutes, la ville toute entière se fit ensevelir. Aucune âme n'en échappa. Tous furent prisonniers des cendres incandescentes, et de la lave, destinés à rester ainsi jusqu’à l’éternité.

Face à ce constat, Pluton, le dieu des Enfers, en soupira, dépité. Il allait avoir du travail en rentrant en son palais. Sentant le désespoir de son mari, Proserpine lui serra la main, en lui souriant doucement, pour l'encourager. Diane avait les mains sur la bouche. Elle ne pourra plus aller chasser au sein des terres de Pompéi, pendant un certain temps, pas avant que Terra, déesse de la Terre, refasse pousser de nouveau la vie. A l’opposé de l’effarement de certains, Mars et Cupidon poussèrent un souffle de soulagement. Alors, l’évènement tant attendu venait de se produire, et le monde en était le témoin. Sortant de leur contemplation, les autres divinités les entourèrent, et leur offrirent leurs félicitations, à l’exception de Vulcain, énervé, et Pluton, peu enclin à montrer ses émotions,

« Ca y est ! Notre patience vient d'être récompensée, fit remarquer Jupiter en mettant sa main sur l'épaule de son fils aîné, et regardant Cupidon entrain de sautiller sur place devant la porte, hésitant à l'ouvrir.

— Oui, c'est fini, répondit Mars, qui lui offrit un sourire timide. Mais les mortels en ont payé le prix. J'ai peur que nous ayons fait preuve d'égoïsme et qu'un jour, nous devrons faire face aux conséquences de nos actes. J'espère qu'ils nous pardonnerons, et que nous ne le regretterons pas.

— Mmm, tu as peut-être raison, répliqua Jupiter, songeur. Mais pour le moment, ce qui compte est ce qui se passe aujourd'hui, et ta famille. »

Le dieu de la Guerre lui répondit juste avec un signe de tête, et rejoignit son fils. Il résista à l'envie de le prendre dans les bras, car même si ce dernier avait le corps d'un enfant, il était quand même âgé de plusieurs siècles. Il ne supportait plus qu'on le traite tel un bébé. D'ailleurs, c'était une des raisons qui avait poussé Vénus à donner naissance à un deuxième enfant, quitte à entraîner la mort de plusieurs Mortels. Elle l’avait fait par amour pour leur aîné. Et pourtant, ils avaient tous espérés qu'aucune catastrophe n’arrive, mais le pourcentage avait été faible. De toute manière, que pouvaient-ils espérer ? A chaque naissance divine, à chaque événement très rare dans la communauté des Dieux, des phénomènes se produisaient sur la terre des Hommes, parfait bouc émissaire à leur colère. Pour l’heure, les divinités se rapprochèrent de la porte de la chambre où se reposait Vénus. Au bout de quelques minutes, la benjamine des Parques l'ouvrit, et laissant le passage, les fit rentrer. Tous purent voir la nouvelle mère couchée sur son lit, alors que Junon et Latone terminaient de stabiliser l'énergie de la déesse. Pendant ce temps, l'aînée des Parques baignait le nouveau-né et sa cadette attendait avec une serviette. Quand elle le reçut dans les bras, elle s'évertua à le sécher avant de le remettre à sa mère. Celle-ci tendit ses mains et serra son enfant sur son cœur. Après l'avoir bien calé sur son sein, elle fit signe à l’Amour de s'approcher, et le lui présenta :

« Voici ton frère, Cupidon. Il se nomme Himéros. »

Le dieu de l’Amour monta sur le lit, et observa celui qui était maintenant son frère. Il lui semblait si petit avec ses petits points serrés, et sa tête parsemée de cheveux aussi noirs que les plumes du corbeau du passeur Charon. Cette couleur contrastait avec celle de sa peau très claire, presque blanche, alors que la sienne est très mâte. A première vue, le nouveau-né était son total opposé. Une chose le frappa encore plus. Rien en lui ne prouvait qu’il ait pour père Mars. Ce dernier le remarqua, mais ne reprocha rien, gardant le silence. Il ne fit que sourire à ce nouveau membre de sa famille. Oui, le fils aîné de Jupiter était prêt à en assumer la responsabilité, même si aucun lien de sang ne le reliait à ce nouveau-né. En regardant Justitia un instant, Cupidon lança une remarque :

« Voici donc mon frère, mais était-ce vraiment nécessaire que papa n'en soit pas également le père ?

— Oui, c'était indispensable, lui répondit calmement, mais avec sévérité la déesse de la justice. Lorsque Vénus est venue me voir pour se plaindre que tu ne grandissais pas, je me suis informée auprès des Astres, qui sont plus vieux que nous tous. Ils m'ont apprise que tu ne pourrais pas t'épanouir jusqu'à ton corps d'homme, tant que ta mère ne serait pas tombée enceinte d’un homme désigné par le Destin...

— Mais pourquoi ? L’interrompit Cupidon

— Mais tu vas me laisser finir, oui. Sale gamin, va... Bon, où en étais-je ?... Ah oui ! Je disais donc avant d'être interrompue, vociféra la déesse de la Justice en le foudroyant du regard. La puissance des Dieux augmentent lorsqu'ils grandissent. Si on t'avait laissé continuer ta croissance normalement, nous courions à la catastrophe, au chaos le plus total. Il faut que tu possèdes à la fois ton homologue, et ton contraire pour que ce dernier complète, ou freine ta frénésie et ta puissance. Il faut un Ying et un Yang pour que le monde tourne normalement. Tu es descendant d’un dieu. Himéros devait alors être issu d’un mortel, ne possédant aucune ascendance divine, ou aucun lien quelconque avec une divinité. Voilà, il n’y a rien de plus à dire.

— Oui, oui. J'ai compris, dit Cupidon, protégeant sa tête de ses bras pour éviter le coup de Justitia.

— Heureusement, souligna Morphée, blasé. Deux Cupidon auraient été tout à fait ingérables. Déjà, que tu m'empêches de faire la sieste lorsque le printemps montre son bout du nez. Tu pourrais faire l’effort de faire moins de bruit quand tu décroches tes flèches sur chaque créature. C'est assourdissant tous ces cris et chants d'animaux,…, sans parler des Mortels qui tombent amoureux toute l'année, et qui sont des plus bruyants.

— Tu as raison ! Ria Minerve. Avant même qu’il ne puisse utiliser son arc, il nous a mis l'Olympe, les Enfers et la terre des Hommes sans dessus dessous.

— Ah, tu parles sans doute de ce jour-là, la corrigea Cérès, se plongeant dans ses souvenirs. Quand je pense qu'à cause de lui, la guerre a frappé la ville de Troie pendant plus de vingt ans. Sa puissance a éveillé une telle passion chez le prince troyen Pâris pour Hélène, qu'il l'a enlevée pour l'amener en sa cité. Dommage qu’elle ait entraîné la mort de deux héros, Achille et Hector. Leurs exploits me manquent tellement. Ils nous amusaient bien.

— Oh oui, intervint Diane, aussi songeuse que sa comparse. Mais tu oublies que Ménélas et Pâris n’en furent pas les seules victimes, ma chère Cérès. Tu ne parles pas de tous ces hommes convoitant la femme de l'autre, allant jusqu’à se bagarrer pour éliminer la concurrence. Bon, il n’y a pas eu de morts, mais quand même. En plus, cette frénésie avait gagné la nature, permettant à des espèces, qui normalement ne se croisaient pas, de s'accoupler. On a eu la création de nouvelles races un peu bizarres.

- Effectivement ! Ca mettait complètement sorti de l’esprit. Le roi Minos n'a pas dû l'oublier lui. Son épouse s'était éprise d'un taureau, et de cette union naquit le minotaure. Pauvre roi, ironisa la déesse de la Nature.

- Bien fait pour lui, intervint Neptune. Je ne demandais pas la lune en guise de remerciement pour l’avoir aidé à monter sur le trône de Crète, et à prendre l’hégémonie sur les îles de la mer Egée. Je l’ai même secondé dans sa lutte contre les pirates. Il a surement cru qu’être fils de Jupiter et d’Europe, ainsi que l’époux de la fille du Soleil Pasiphaé, l’exonérait de me sacrifier un simple taureau… Je lui avais promis de le punir moi-même, mais Cupidon m’a devancé, et j’avoue avoir adoré la façon dont cela a été mené… Etre cocu, tout en élevant ce monstre, quelle humiliation pour ce roi pourri gâté… Et puis, je ne suis pas le seul à en avoir bien profité de l’explosion de pouvoir de notre cher chérubin, lors de sa naissance. N’est-ce pas Jupiter ?

« Bon, bon, on va peut-être s'arrêter là l'énumération des exploits de Cupidon, » plaida le dieu des Dieux, une goutte d'eau sur la tempe.

En fait, il essayait par tous les moyens de changer de sujet, mais surtout d’éviter de croiser le regard de son épouse. En effet, Junon lui envoyait de ces éclairs à travers le sien, qu’elle aurait pu tuer en un clignement de paupière. Vraiment, son époux ne donnait pas cher de sa peau, et n’en menait pas large.

« Vous êtes méchants avec moi, bouda le sujet de cette conversation, les bras croisés sur le torse. Et puis, de quoi vous plaignez vous ? Vous vous êtes bien amusés avec la guerre de Troie, en jouant avec les Mortels comme si c'était des pions sur un latrunculi.

— C'est vrai, concéda Minerve. Bien qu’au début, nous n’étions pas autorisés à y prendre part. Personnellement, j’avais choisi le camp des Grecs. Et toi, mon cher Neptune, éternel rival, le camp des Troyens. »

Ainsi interpellé, le dieu des Océans se tourna vers sa comparse. Son épouse allait devoir attendre encore un peu avant de quitter cet endroit. Visiblement, il avait encore un compte à régler avant de rejoindre sa belle-famille avec elle. Il se redressa, et prit quelques secondes pour comprendre le sujet de l’intervention de sa nièce. Comprenant où elle voulait en venir, il soupira avant de répondre d’un ton à la fois las et puissant :

« Minerve, tu ne veux pas arrêter un peu de me renvoyer dans la figure mes défaites face à toi. Depuis que ton nom grec, Athéna, fut choisi pour nommer la ville d’Athènes, tu es devenue plus qu’arrogante. Tu devrais faire attention à ne pas réveiller mon courroux, car fille de Jupiter ou non, je ne t’épargnerais pas. »

Au lieu de l’inquiéter, cette menace à peine sous-entendue fit sourire sournoisement la dite-déesse, les bras croisés sur le torse et narguant d’un air suffisant son adversaire. Elle donnait l’impression que quoi qu’il dise ou fasse, elle était comme intouchable, invincible, comme si elle était certaine de disposer d’un bouclier indestructible. Pourtant, contrairement à ses espérances, rien ne vint. Seul un calme olympien habitait l’assemblée divine. A part peut-être Jupiter et Junon, tous les dieux et déesses étaient suspendus à ce nouveau duel divin. Ils en avaient presque oublié la raison de leur présence en ce palais. Il faut dire que les combats entre l’oncle et la nièce étaient légendaires. D’ailleurs, l’affrontement pour la nomination de cette ville grecque était devenu mémorable.

La cité venait d’être érigée, et les habitants avaient eu recours aux Dieux pour en trouver le nom. Un match avait donc eu lieu, et les finalistes furent Minerve et Neptune. Celui-ci avait fait sortir, de l’écume des vagues, un magnifique cheval ailé à la robe immaculée. Sa puissante musculature était telle que le souverain des Mers et des Océans l’avait présenté comme symbole de la guerre. Quand son tour était venu, la fille préférée de Jupiter avait pris le parti de son contraire. Frappant le sol de sa lance d’or et d’argent, elle avait fendu la terre et avait fait pousser un magnifique arbre aux fruits fermes et colorés. Lui donnant le nom d’olivier, la déesse l’avait destiné à être le témoignage de la Paix Universelle, apportant prospérité et abondance à la contrée sur laquelle il venait de naître pour la toute première fois. Entre la Paix et la Guerre, les dieux avaient préféré opter pour la Paix. Ce fut donc Minerve qui remporta la mise, et qui offrit son nom grec à la ville. Athènes venait de naître. Par la suite, elle s’était de nouveau confrontée à son oncle lors de la guerre de Troie, mais surtout au cours de l’Odyssée d’Ulysse, roi d’Ithaque et de Dulichie, îles de la mer Ionienne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Edwige BOUDAS ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0