Le retour à Rome

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Les mois hivernaux passèrent ainsi, entre éducation et prévenance. Psy, aidée par sa famille, et poussée par le désir de prendre soin de la seule chose que son défunt époux lui avait confié, leur fils Endymion, finit par se rétablir doucement au cours du printemps qui suivit. Cependant, elle resta de constitution fragile. Après ces temps tragiques, plusieurs années passèrent, et les saisons s'enchaînèrent avec son lot de joie et de tristesse. Le jeune garçon grandit dans le souvenir de son père et l'amour de sa mère, de son oncle et de sa tante. Plus il croissait, plus il faisait la fierté de chacun. Quand il atteignit l'âge de huit ans, plusieurs événements eurent lieu, changeant son destin, ainsi que celui de la famille Junius Silanus.

Depuis le décès de Sol, la vie avait donc repris son court normal durant six ans. Malgré le rétablissement de la veuve, le couple avait pris la décision de rester dans leur propriété de campagne située à quelques kilomètres de Rome. Marius avait jugé qu'il était préférable pour sa belle-sœur, et son neveu Endymion, de s'éloigner de la cohue de la grande capitale. Ainsi, Psy profita du calme de la nature pour reprendre des forces. Idylla, qui ne voulait pas quitter sa jumelle dans l'adversité, s'installa donc définitivement avec elle, et le jeune garçon. Le conseil de famille ne s'opposa pas à cette éventualité. Bien au contraire, il l'encouragea. Marius en fut satisfait, même si pour lui, une certaine difficulté allait se présenter à lui. En effet, étant sénateur, il se devait d'être présent aux séances du Sénat, et s’était résigné à quitter son épouse durant plusieurs jours.

Possédant un sens du devoir et de l'honneur inscrit au plus profond de son être, il tenait à prendre part aux décisions qui régissaient la vie de l'Empire Romain. Il se devait de faire entendre la parole de son clan, et en tant que pater familias, c'était à lui d'y siéger. C’était une tâche ardue et épuisante. Les sénateurs étaient longs à se mettre d'accord. Ils se battaient à coup d’arguments et de plaidoiries aussi fastidieuses qu’épuisantes. La majorité d'entre eux défendaient les intérêts des citoyens romains, et la famille Junius Silanus se vantait d'en faire parti. Malheureusement, d'autres politiciens ne voyaient que leurs bénéfices au détriment du bien de la communauté. Ils avaient tendance à envenimer, ou à faire traîner les débats pour avoir satisfaction. Heureusement, pour les citoyens, la plupart du temps, la fraction en faveur de la ville l'emportait le plus souvent. Ce qui obligeait souvent les conspirateurs à avancer dans l'ombre. Dès qu'il en avait fini avec le Sénat, Marius s'empressait de retourner vers son épouse, et les autres membres de sa famille restés en leur villa campagnarde. Son arrivée était toujours une source de joie pour Idylla, mais surtout pour Endymion, qui voyait en lui l’image d’un père.

En cette soirée, c’était encore le cas. Alors que Marius pénétrait sur le chemin de terre bordé de cyprès, dont les cimes côtoyaient les nuages, son cheval interrompit une abeille dans son butinage d’une fleur nouvellement poussée en ce jour de printemps. Une foulée de cette noble monture obligea la descendante des nourrices de Jupiter à quitter sa place, et à s’envoler pour fuir le danger. Elle virevolta en essayant d'échapper au coup de queue de l'immense animal. Elle tournoya alors autour de la tête du cavalier, qui, dans un mouvement de main, l'écarta de lui. Etant obligée de s’écarter à nouveau, l'abeille prit de l'altitude, et parvint à se diriger vers sa ruche. Chemin faisant, elle croisa les oliviers et les arbres fruitiers, qui entouraient une maison au toit de tuiles d'argile et au mur blanc. Cette demeure était moins ostentatoire que celle de Rome. Plus intimiste, cette dernière appelait au calme et au repos ses occupants. Les enfants jouaient autour d’un bassin, alors que les chiens faisaient la sieste au pied des mères qui surveillaient leur progéniture, tout en brodant et discourant. Elles arrêtèrent de parler, lorsqu'elles aperçurent le cortège du chef de famille s’approcher. Désirant le saluer, elles se mirent devant la porte d’entrée, et attendirent son bon plaisir. Marius, arrivé dans la cour, descendit de cheval, et après avoir reçu les salutations d’usage, se dirigea vers son bureau sans s’arrêter un instant, même pour son épouse. Il fit appeler un esclave, et lui ordonna d'aller chercher la personne qu'il désirait voir depuis son départ de la capitale. Il s'installa derrière la table en bois tropical, et attendit, tout en se plongeant dans ses pensées.

Ces dernières étaient remplies du désir de respecter son serment, ce serment qui le poussait à prendre au sérieux l’éducation d’Endymion. Depuis des années, il y réfléchissait. Il projetait de lui apporter toute la formation nécessaire à un homme digne de ce nom. Marius avait mis en jeu son honneur en faisant cette promesse de sang devant les Dieux. Il mettrait donc toute sa volonté pour la tenir. Ainsi, il avait déjà engagé tous les précepteurs indispensables pour instruire son neveu, dès qu'il aurait atteint l'âge requis pour suivre l'enseignement. Et ce jour était arrivé. D’ailleurs, l’attente ne se fit pas longue. Bientôt, une personne toqua à la porte. L’invitant à rentrer, Marius se retrouva en face d’un jeune garçon qui, naturellement, avait hérité des yeux caractéristique de la famille, mais aussi de leurs cheveux sombres, autre signe distinctif familial. Ses traits étaient ceux de son père, bien que fins, témoignages juvéniles de son statut. Rempli de dignité, l’enfant arborait un air sévère et un regard froid, contrastant avec ceux de son âge. En le regardant, tous devinaient qu’il préférait s’adonner aux études, et à se perfectionner, plutôt que d’aller jouer. En cela, il ressemblait à sa mère, Psy. Le voir faisait toujours remonter en son oncle le souvenir du défunt pendant un court instant. Sortant de ses regrets de ne plus avoir son jumeau à ses côtés, Marius lui fit signe de s'asseoir sur un siège devant lui. Après les salutations d’usage, il parla en ces termes :

« Endymion, mon garçon, je t'ai fait venir dans mon bureau pour t'informer de plusieurs choses.

— Je vous écoute, mon oncle, lui répondit le jeune garçon.

— Tu as maintenant huit ans. Il est temps d’envisager ton éducation plus profondément, l’informa-t-il.

— Je comprends, affirma Endymion avec sérieux et sans aucune émotion.

— Pour cela, j'ai engagé un maître d'armes qui t'enseignera, en plus de la stratégie de guerre, leur maniement, un entraîneur pour l'apprentissage de l'équitation et te préparer physiquement, un philosophe pour réveiller ton esprit, un interprète pour t'apprendre plusieurs dialectes nécessaire aux commerces avec nos alliés, et enfin, un précepteur qui continuera à t’enseigner l’art de la lecture, de l’écriture et des mathématiques. Si tu souhaites y ajouter la pratique d’un instrument, je t’y autorise. Fais-le-moi juste savoir. Je te trouverai le meilleur des professeurs, continua Marius calmement en fixant son neveu.

— Je vous remercie, mon oncle, mais je préfère me consacrer à votre programme. Je n’ai aucun désir artistique.

— Entendu, acquiesça son oncle. Sache que j’attends de toi de l’assiduité et du sérieux dans tes études. Pour se faire, j'ai pris une décision. Je te ramène à Rome où je compte t'enseigner moi-même l'art de la politique.

— Et ma mère ? Demanda le jeune garçon, une petite angoisse dissimulée dans la voix.

— Elle vient avec nous, bien entendu. Je vais faire de toi un homme accompli, qui fera la fierté de mon défunt frère, ton père. Je compte sur toi pour honorer sa mémoire, ajouta le chef de famille.

— Vous pouvez compter sur moi, mon oncle. Mon défunt père et ma mère seront fiers, ainsi que vous-même, » affirma avec force le petit garçon en se levant et quittant la pièce.

Marius suivit Endymion des yeux, et le vit sortir. Dès que la porte se ferma, il se mit à soupirer avant de sourire timidement. Il tourna sa tête vers la fenêtre, et regarda le ciel. Oui, il était fier de son neveu, et remerciait les Dieux tous les jours pour l'intelligence de ce garçon. Ce sera un grand homme. Personne ne savait comment cela était possible, mais Endymion, malgré ses huit ans, montrait une maturité et un intellect que beaucoup d'adultes lui envieraient à la cour sénatoriale. Oui, personne n’en connaissait l’origine. Encore une fois, la voie des Dieux était vraiment impénétrable, car oui, Marius en était certain, Endymion avait eu la chance d’être béni par les Dieux, un don dont le jeune garçon en avait bien conscience. Par conséquent, la seule chose qui dérangeait son oncle était sa tendance à prendre de haut les petites gens, et les nobles qu’il jugeait inférieurs. Son intelligence semblait l'avoir rendu hautain, et orgueilleux au delà du raisonnable. Les seules personnes, qui arrivaient encore à faire ressortir son côté enfantin, étaient sa mère et sa tante. Le garçon de huit ans le respectait, et le voyait certainement comme quelqu’un à qui obéir, mais il aurait aussi aimé faire parti des privilégiés de ses sentiments. Malheureusement, ses absences répétées pour honorer sa place de sénateur ne lui avaient pas permis de développer des liens affectifs très forts avec lui. Marius espérait que le retour à Rome, et sa formation auprès de lui, leur permettront un certain rapprochement. De plus, depuis qu’Endymion avait montré cette précocité, le pater familias soupçonnait certains anciens du conseil de vouloir influencer le garçon, et s'en servir contre lui pour leur propre intérêt. Il n'était pas né de la dernière pluie, et était un vétéran averti de la politique. Malheureusement, il n'avait aucune preuve. Et puis, un scandale au sein d’une des familles politiques les plus influentes de Rome ne serait pas bénéfique pour la cité. Ses soupçons le renforcèrent dans son projet d’'avoir Endymion auprès de lui, et d'avancer en catimini pour surveiller les corrompus. Il était si plongé dans ses pensées qu’il ne revint dans le royaume de la réalité qu’au bruit d’une porte s’ouvrant. Sans se retourner, et reconnaissant le pas léger de son épouse, il demanda :

« Ma chère Idylla, que me vaut votre visite en ce lieu de réflexion ? »

Derrière lui, se présenta donc une femme à l’apparence fluette, et d’où émanait une beauté emplie de douceur et d’affection. Tout en elle respirait la bonté d’âme et l’amour conjugal. Ses cheveux sombres, et ses yeux comme les siens témoignaient qu’un autre lien, autre que marital, les liait. Bien qu’elle paraisse fragile, elle était devenue au fil du temps son plus grand soutien, et son plus grand réconfort. C’était vers elle que Marius se tournait quand il avait besoin de réfléchir, sans peur d’être jugé, mais surtout de repos et de calme. Ainsi interpellée, Idylla lui répondit :

« J'ai entendu Endymion prévenir sa mère que nous retournons à Rome.

— En effet. Je compte tenir mon serment fait devant les Dieux. Pour cela, je vais lui apporter une éducation digne de son père et de la famille Junius Silanus, affirma son époux, toujours le regard porté sur le ciel.

— ... Je suis désolée, Marius, sanglota la maîtresse de maison en entendant son dernier mot. Tu dois tellement être déçu. »

A ces mots, et surtout à l'entente de son prénom, ce dernier se retourna pour apercevoir des larmes, sur le point de tomber, orner les paupières de sa femme. Il comprit par le tutoiement, que la discussion concernait, pas le chef de famille, mais l’époux et l’amant. Acceptant de rentrer dans cette sphère privée, il intervint pour tenter de la réconforter, car il connaissait la source de ses larmes :

« Pourquoi t'excuses-tu ? Tu n'as rien fait. Ma décision...

— Je ne parle pas de ta décision, pleura maintenant son épouse, en lui coupant la parole. Je suis désolée de ne pas pouvoir te donner le fils que tu désires tant… Et pourtant, tu sais combien je voudrai sentir la vie grandir en moi, et offrir à un enfant tout mon amour. »

Se levant pour se précipiter à ses côtés, le pater familias la serra dans ses bras, et embrassa le haut de sa tête, en continuant ses efforts de réconfort.

« Je sais. Je ne t'en veux pas, voyons...

— Mais, le conseil de famille... Je sais que certains anciens te poussent à me répudier pour te marier à une autre femme, une femme qui serait plus disposée à te donner des enfants, et plus particulièrement une de leur fille, l'interrompit-elle encore, en collant son visage baigné de larmes contre le torse de son époux. Les Dieux doivent me juger indigne d’être mère, et d’être une épouse digne de ce nom.

— Je sais que tu feras une excellente mère. Tu es déjà une merveilleuse épouse. Nous sommes encore jeunes, et je suis sûr que les dieux exauceront un jour ce souhait. Bientôt tu serras un nouveau-né contre ton sein, essaya de consoler Marius, en lui relevant ses yeux vers lui. Et pour ce qui est du conseil, laisse-moi m'en charger.

— Bien, je te fais confiance, murmura sa moitié, avant de reprendre une attitude plus solennelle, sonnant le glas de l’atmosphère confessionnelle. Vous allez donc mettre votre projet à exécution. Vous savez que je l'aime énormément, mais elle est encore fragile.

— Non, pas pour le moment. Je pense qu'il est encore trop tôt,…, et puis elle est encore vivante. J’ai peur qu'elle pense que je veux le lui enlever. C'est tout ce qu'il lui reste, répondit le chef de famille avant de redevenir l’amant. Alors tranquillise-toi. Ne pense plus à tout ça, et laisse-moi te prouver mon amour pour toi. »

Après avoir séché tendrement les larmes de sa bien-aimée avec son pouce, Marius lui prit la main, et l'emmena dans leur chambre pour qu'ils puissent en ce beau soir de printemps se retrouver, et se montrer la profondeur de leur sentiment mutuel. Le lendemain de cette nuit de passion, le retour à Rome s'organisa. Ainsi, au bout de quelques jours, tous se mirent en route. Les hommes étaient à cheval. Les femmes, les enfants et les vieillards voyageaient en grand carpentum, voiture tirée par deux équidés. Les esclaves à pied guidaient les bêtes, ou portaient les bagages tout le long de la voie romaine, reliant toutes villes à la capitale de l’Empire romain.

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