La renaissance

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Une maladresse l’avait fait connaître de lui. Face à son regard rempli autant de sévérité, que de curiosité à la vue d’un adolescent dont le physique lui rappelait le sien, l’Amour s’était enfui. Il avait trouvé refuge, et contrairement à ses habitudes, pas dans les jupes de Junon, mais, à sa grande surprise, dans celles de sa mère. Le suivant, Mars avait découvert la vérité de sa paternité de la bouche de son ancienne amante. La colère et la joie d’être uni encore une fois à celle que son cœur n’avait jamais cessé d’aimer par un lien immuable, s’étaient mêlées au sein du dieu de la Guerre. Malheureusement, le ressentiment d’avoir été gardé dans l’ignorance, avait pris le dessus. Une dispute s’était alors élevée entre les deux dieux. L’un avait voulu savoir pourquoi elle lui avait caché autant sa naissance, que son existence. Il avait été au courant pour les jumeaux, alors pourquoi pas pour son aîné. L’autre lui avait alors reproché de l’avoir abandonnée, préférant guerroyer au loin et de conter fleurette à d’autres femmes. Bien entendu, le sujet d’Adonis était revenu sur le tapis, ne faisant qu’empirer la colère et la rancune des deux anciens amants. Comme quoi les vieilles blessures étaient encore vives.

Au milieu d’eux, Cupidon n’avait pu qu’assister au déchirement de deux êtres qui s’aimaient profondément. Il l’avait senti du moment où ses parents s’étaient revus. Et plus la dispute s’était intensifiée, et plus l’atmosphère s’était chargée d’un froid glacial, un froid qui avait gagné son cœur, au point de le serrer et de le blesser. Petit à petit, le dieu de l’Amour s’était senti mal. Sa poitrine avait commencé à le brûler, alors que son visage habituellement mâte s’était mis à blêmir inexorablement. A ses côtés, Junon l’avait vu se tenir le cœur, le visage du chérubin témoignant de la plus vive douleur. S’agenouillant face à lui, elle avait tenté de savoir ce qui n’allait pas, mais il avait été incapable de lui répondre. Un peu à l’écart, ses frères avaient commencé à chuchoter, se moquant de lui. Sans que personne ne le sache, leur attitude avait intensifié le mal de Cupidon, qui s’était mis à gémir. L’entendre souffrir avait-il interpellé ses parents ? Que nenni. Ils avaient continué à s’entredéchirer, au point que la douleur en l’Amour était devenue insupportable, lui faisant souhaiter la mort. Le remarquant et se doutant qu’un lien existait entre les deux phénomènes, Junon s’était interposée entre Mars et Vénus pour les faire cesser, mais en vain. Aucun des deux ne l’avait écoutée. Suppliant son époux du regard, la souveraine de l’Olympe l’avait prié de faire valoir sa position de dieu suprême. Jupiter était sur le point de s’exécuter qu’un trait doré, et plusieurs cris d’effroi l’avaient devancé.

A cet instant, la voix de Junon avait percé le firmament en hurlant le nom de l’Amour. Répétant encore et encore ce nom, elle s’était mise à courir dans sa direction pour le rattraper avant qu’il ne s’effondre sur le sol. Un véritable chaos s’en était suivi. Ce furent les pleurs, et les lamentations des autres divinités qui avaient fini par interrompre la dispute. Le souffle court, son esprit se bataillant entre l’envie de regarder et le désir de se dérober, le corps de Vénus s’était mué dans un mouvement saccadé. Face au spectacle qui s’était alors présenté à elle, l’air lui avait manqué. La plus grande terreur s’était exprimée dans ses yeux. Ses mains avaient recouvert sa bouche pour empêcher tout cri d’en sortir. Ses jambes, glacées sur place par l’horreur, s’étaient décidées enfin à bouger et à l’amener vers la source de l’enfer qui venait de s’abattre sur elle. La panique dessinée sur le visage de son ancienne amante avait alors réveillé Mars, et l’avait sorti de la spirale de la colère. A son tour, il avait tourné la tête, et comme les autres, en était resté sans voix de stupeur.

Devant lui, une mère agenouillée avait pris, en ses bras, le corps de son enfant ensanglanté, complètement indifférente à la couleur pourpre qui avait taché sa peau et ses habits. Devant lui, le cœur de son fils nouvellement découvert avait été transpercé de part en part par un trident d’or et d’orichalque. Sur sa tunique, du sang s’était déversé. Son visage en était souillé après en avoir craché. A cette scène, l’instinct paternel du dieu guerrier avait alors éclaté en une seconde. En un rien de temps, il s’était trouvé un genou à terre devant Vénus, pleurante, suppliant Cupidon de rester avec elle. La main de Mars s’était lentement avancée, mais surtout toute tremblante, vers les lèvres ensanglantées du chérubin aux cheveux d’or. Devant l’absence de toute preuve de respiration, il avait compris. Son fils était rentré dans son Sommeil Eternel. A cette réalité, son sang n’avait fait qu’un tour, et une nouvelle rage s’était emparée de lui. Des nuages sombres s’étaient accumulés au-dessus de la colline, et des éclairs en étaient sortis. Une aura meurtrière avait entouré Mars pendant qu’il s’était levé. Il s’était dressé de toute sa puissance face au meurtrier de son enfant.

Ce dernier avait été aussi livide que la mort, en comprenant l’erreur qu’il avait commise. Jamais il n’avait désiré cette fin. Tout ce qu’il avait souhaité avait été de se venger de Mars. La colère qu’il avait ressentie lors de l’acquittement de ce dernier l’avait tant aveuglé. Profiter de sa dispute pour le blesser, en lançant dans sa direction son trident, n’avait été que son objectif. Rien de plus, rien de moins. Cependant, il avait omis un détail. Le dieu de la Guerre était si aguerri dans l’art du combat qu’il avait senti instinctivement le danger, et avait esquivé le coup sans s’en rendre compte. Le trident l’avait alors frôlé, continuant sa course pour la terminer en perforant le cœur de Cupidon. A la vue et à l’odeur du sang, ainsi qu’aux cris, il avait alors réalisé son geste fatal et son ampleur. Sa propre personne lui avait fait horreur à la minute où la main de son épouse s’était abattue sur lui pour le gifler en représailles. Face à la rage noire qui s’était avancée vers lui, la divinité marine avait levé les mains en signe d’apaisement, bien qu’il n’ait jamais cru beaucoup en l’efficacité de sa tentative. Oui, Neptune s’était trouvé en très mauvaise posture, et il avait eu raison de s’inquiéter. En un rien de temps, Mars avait été sur lui, glaive en avant et prêt à frapper. Ne désirant pas rejoindre son Sommeil Eternel, Neptune avait fait de son mieux pour se défendre et éviter les coups. Ce qui n’était pas facile, quand on était en face d’un si grand guerrier, et ayant inventé la guerre elle-même. En plus, le Destin avait décidé d’être contre lui sous la forme d’une pierre. Se glissant sous son pied, celle-ci l’avait fait tomber à terre, le laissant à la merci de Mars.

Comprenant la situation, il n’était plus temps pour lui d’échapper à la sanction. De toute manière, il devait payer d’avoir « tué » un innocent. Ce qui, au final, n’avait pas été le cas d’Allyrothius. Ce dernier avait en quelque sorte mérité son sort en agressant la fille de Mars. Dommage qu’il ne l’ait compris qu’à cet instant. Prêt à subir son châtiment pour expier sa faute, il avait fermé les yeux. Au bout de quelques secondes, voyant que rien n’était venu, il les avait ouverts à nouveau doucement pour voir Jupiter retenir la main du dieu de la Guerre. Un combat père fils s’était alors engagé, durant lequel l’un avait évité chaque coup, alors que l’autre n’avait qu’un objectif, éliminer l’obstacle qui s’était dressé au travers de son chemin. Un combat qui s’était intensifié quand enfin, Jupiter avait usé de ses éclairs, frappant le sol au point de le faire trembler. Ne supportant pas ce spectacle et comprenant le danger, Eole était intervenu alors. Entrouvrant son outre, il en avait libéré les Vents, et s’en était servi comme des mains géantes pour immobiliser Mars. Il l’avait maintenu, de ce fait, à distance de Jupiter et de Neptune. Afin de lui refaire reprendre son calme, le roi de l’Olympe avait posé son doigt sur son front, et en avait sorti une petite décharge, agissant comme un électrochoc. Retrouvant ses esprits, la divinité guerrière en avait lâché son glaive. Comprenant que tout était fini, le dieu des Vents leur avait commandé de lui rendre la liberté, avant de leur ordonner de revenir dans leur outre. Libre et sans un regard pour le meurtrier, Mars était revenu vers Cupidon, dont le trident avait été retiré par Esculape. Ce dernier avait usé de toutes ses connaissances pour tenter de sauver le dieu aux ailes de cygnes, malheureusement, en vain. Contrairement à Hyppolyte qu’il avait réussi à sauver de la mort, le cœur avait été touché par une arme divine, ne laissant aucun espoir. Le dieu de la Guerre avait alors serré de toutes ses forces Vénus dans ses bras, elle portant leur fils emporté dans son Sommeil Eternel. C’était comme si sa perte avait dissipé leur bataille personnelle.

Le visage inondé de larmes et ne supportant pas cette perte, Junon avait posé son regard sur Latone, et l’avait plongé dans le sien, tout aussi larmoyant. Comprenant silencieusement le désir de sa souveraine, la fille du Titan Cœus avait hoché la tête en signe d’accord, et s’était alors avancée vers Vénus. Sans prononcer une seule parole et lui offrant un sourire confiant, elle avait pris l’Amour des bras de sa mère et l’avait amené à l’épouse de Jupiter. Cette dernière avait solennellement levé sa dextre et sa senestre au-dessus du corps sans vie. Elle avait ensuite fermé les yeux. S’enfonçant au plus profond d’elle-même, elle était rentrée en méditation. Un silence de mort s’était alors installé tout autour des deux divinités, personne osant à peine respirer. Après un moment insupportable de patience, un halo de lumière s’était mis à entourer les mains de Junon, une lumière qui s’était dirigée sur la dépouille du chérubin, et l’avait englobé toute entière. Puis, petit à petit, le corps du dieu de l’Amour s’était troublé, et était devenu de moins en moins net, pour finir par disparaître. A la place était apparue une sphère éclatante, d’où émanait une douce énergie. La confiant à la garde de Latone, Junon avait pris le glaive que Mars avait laissé tomber à terre. Se dirigeant vers lui, et sans attendre son approbation, elle lui avait saisi le poignet et le lui avait entaillé. Ainsi, elle lui avait prélevé quelques gouttes de sang, des gouttes qui s’étaient mises à léviter dans sa paume. Puis, elle avait réalisé le même geste avec Vénus. Se retrouvant à virevolter ensemble, formant comme une danse, le liquide vital des deux amants avaient fini par fusionner en un seul. Enfin, retournant vers la sphère, la souveraine de l’Olympe avait déversé son précieux trésor à sa surface.

Absorbées à l’intérieur, les perles sanglantes s’étaient transformées en un liseré qui avait fini par dessiner la vague silhouette d’un fœtus, sans que personne ne puisse en être sûr. A la fin du processus, Junon avait pris le relais de Latone, en recueillant sa charge entre ses doigts. La fille de Cœus s’était alors présentée à Vénus. Toujours en lui souriant, elle lui avait ouvert sa tunique au niveau du nombril, et y avait apposé ses mains, tout en fermant les paupières. La déesse de la Beauté en avait senti une chaleur envahir sa matrice, une chaleur qui n’avait cessé de monter jusqu’à ce que Latone fasse signe à l’épouse de Jupiter. Comprenant que tout était prêt, Junon avait approché la précieuse perle lumineuse du ventre de Vénus. Imitée par sa comparse, les deux divinités protectrices des mères avaient murmuré comme une prière. En réponse, la sphère s’était mise à briller de plus belle. La puissance de cette lumière avait été telle, qu’elle en avait envahi toute la colline, aveuglant tous ses occupants. De son côté, l’amante de Mars avait senti pénétrer son monde utérin, qu’elle en avait crié. Etait-ce de douleur ou de surprise, elle ne l’avait jamais su vraiment. Toutefois, une chose avait été certaine, la sphère était entrée en elle.

Enfin, la lumière émise avait commencé petit à petit par se dissiper. Quand elle avait fini par disparaître, et que tout était redevenu calme, l’assemblée divine avait été toute abasourdie par cet extraordinaire phénomène. Ils leur avaient même fallu un certain temps pour reprendre leur esprit, mais surtout leur vision. Seules Junon et Latone avaient été tout sourire face à la réussite de leur entreprise. Levant les yeux vers elles, toutes les autres divinités avaient voulu en connaître les détails. Désignant la déesse de la Beauté du doigt, Junon les avait invitées à y jeter un coup d’œil. Tous et toutes l’avaient alors vu la main caressant son bas-ventre, de nouvelles larmes coulant sur son visage. A la seule différence que ces larmes avaient été des larmes de joie. Les deux déesses protectrices des mères avaient accompli sous leurs yeux un miracle. Elles avaient rendu Vénus, de nouveau, enceinte de Cupidon.

Neuf petits mois après, était venu au monde une seconde fois le dieu de l’Amour, une naissance qui avait apporté de nouveaux lots d’événements et qui en apportera sans doute à l’avenir. Jupiter l’avait senti, et le sentait toujours, mais encore une fois, il avait tout gardé pour lui. Sa décision n’avait jamais changé depuis lors. Il s’était refusé à gâcher un bonheur retrouvé. Un bonheur qui ne s’avait pas tout de suite arrangé la situation entre les deux anciens amants. Certes, tous deux avaient saisi cette nouvelle chance pour tout recommencer. Oui, cette nouvelle grossesse et la peur de la perte d’un enfant les avaient rapprochés, au point qu’une grande discussion avait eu lieu. Une discussion qui avait fini par des aveux de souffrance et d’amour mutuels, ainsi que par un divorce pour Mars. Toutefois, la crainte de le voir l’abandonner une nouvelle fois, et certaines rancunes s’étaient cachées au fin fond du cœur de Vénus, la laissant encore vulnérable aux charmes masculins de certains mortels et divinités. Réagissant à ses infidélités, de son côté, son amant partait batailler en représailles.

Pendant ce temps, Vulcain avait dû subir l’humiliation d’être à jamais un mari trompé, et de voir le couple de son frère se pavaner devant tous. Parfois, beaucoup oubliaient que c’était lui l’époux de Vénus, et non Mars. Les Dieux avaient essayé de passer outre, et de lui refaire une place parmi eux. Malheureusement, le mal avait été fait. Maintenant, trop de temps était passé, et le rapprochement avait été maladroit, le blessant encore plus. Puis, le fait de voir Mars posséder tout ce qu'il aurait voulu avoir, et être tout ce qu’il aurait voulu être, avait renforcé sa jalousie. Une famille aimante et puissante, la beauté, les femmes mais surtout la plus belle étaient tout ce à quoi il aspirait, mais sans l’atteindre, au contraire de son frère. Ainsi, il était persuadé que Mars était plus aimé que lui. Il avait alors désiré que ce dernier souffre, comme il avait souffert, et être le seul dans le cœur de Vénus. Le meilleur moyen avait été de s'attaquer à ce qu'il avait de plus cher, son fils. Toutefois, face aux souvenirs de Cupidon, le dieu du Feu connut pour la première fois le sentiment de culpabilité face à ses actions. Flottant toujours dans le subconscient de son neveu, il se surprit à s’essuyer une larme. Il pleurait, qu’il s’en trouva pathétique. Pourquoi pleurer ? A cause du sort de son neveu ? Oui, peut-être. A bien réfléchir, l’Amour avait côtoyé la douleur de l’abandon, la souffrance de voir la culpabilité dans le regard des autres. Il avait même fait l’expérience du Sommeil Eternel, alors que lui, ne l’avait qu’effleuré. Finalement, ils étaient les mêmes.

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