Un geste de réconciliation

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Au bout de quelques heures, toute la maisonnée semblait dormir. Pourtant, alors que la lune était à son apogée, une silhouette encapuchonnée de la tête au pied avançait le plus furtivement possible pour se glisser en dehors de la villa Junius Silanus. Une chouette effraie au plumage blanc était perchée sur un arbre non loin, et vit cette forme humaine passée non loin de son perchoir. S’envolant, elle eut un étrange comportement, se mettant à la suivre au travers des ruelles sombres de la ville jusqu'au quartier malfamé de Rome. Arrivée devant une porte délabrée, la personne rentra à l’intérieur d’un domicile aux murs fissurés, et au toit dont des tuiles manquaient. L'oiseau se posa sur le bord d'une des fenêtres encore ouverte, et fut le témoin de la rencontre entre l'inconnu, et une vieille dame au dos recourbée et aux habits en haillon.

« Que veux-tu ? Pourquoi viens-tu chez moi si tard ? Interrogea-t-elle.

— J'aurai besoin de certaines herbes, et de certaines potions, sorcière, répondit l'étrange apparition.

— Pour quelle raison ?

— Cela me regarde. Tu n'as pas besoin de le savoir. Contentes-toi de m'obtenir ce que je te demande, vociféra l’individu, en lançant une bourse remplie de pièces d'or à l'effigie de Jules César sur la table. Tu auras la même somme quand j'aurai en ma possession ma commande.

— Et de quelles potions et herbes as-tu besoin, riche visiteur ? Demanda l'édentée en souriant, et prenant l'argent pour le cacher sous son manteau.

— Je voudrai.... »

A ce moment-là, la chouette prit peur à cause d'un chat qui avait tenté de faire d'elle son repas, s'envola et se percha sur une branche non loin. De là, elle vit à nouveau la même silhouette ressortir de la maison délabrée, pour rebrousser chemin et aller rejoindre les bras de Morphée, le sourire aux lèvres de voir ses projets avancés. La vieille lui avait assuré qu’elle faisait de sa commande une priorité et qu’elle la lui fabriquerait d'ici quelques jours.

Pendant la semaine qui suivit, tout se passa bien. Idylla suivait les recommandations du médecin sous la surveillance de sa sœur. Endymion s'employait à faire la fierté de son père adoptif. L’épouse de Severus et qu’autres mères continuèrent leur mission séduction sur le jeune garçon, en essayant de lui proposer leur aide, ou de trouver des failles dans sa carapace de froideur. En effet, Endymion était comme son père, un véritable Junius Silanus. Il restait poli, mais si subtil dans ses réponses et son attitude, que personne n’était capable de connaître ses véritables pensées. De plus, il était assez intelligent pour s’enfuir sans froisser personne. Seules sa tante, sa mère, et maintenant, son père pouvaient se vanter de le voir sourire, et d’avoir droit à sa vraie personnalité. Cependant, Octavie était résolue à y arriver, et commença donc à l'observer. Elle était certaine que malgré les apparences, la future naissance le perturbait, ou le questionnait sur son avenir. Il lui fallait juste faire preuve de patience, et d’attaquer au bon moment. De plus, elle remarqua qu’Infama se montrait des plus douées pour savoir quand aborder le jeune garçon, et quand il fallait le laisser tranquille. Certes, elle semblait ne pas avoir le même objectif, désirant visiblement juste se lier d’amitié avec Idylla et Psy. Toutefois, peut-être qu’en fin de compte, sa bru n’était pas si inutile que cela. Elle pourrait se servir de sa naïveté pour ses propres plans, et mettre sa petite-fille sur le siège auprès du futur dirigeant.

Ainsi, à part quelques perturbations, les journées se passèrent sans encombre. De son côté, poussée par l'appât du gain, la sorcière travailla plus rapidement que prévu, et envoya le signe convenu pour prévenir son mystérieux commanditaire. Le soir même, la chouette revit la même silhouette se rendre à la même maisonnette, et en ressortir en cachant sous son habit des herbes et des fioles. Le reste de la nuit se déroula sans d’autres évènements jusqu'au lendemain, où la ville de Rome fut la spectatrice d'une magnifique procession.

Le jour d’honorer les Dieux, et plus particulièrement la déesse Vénus et le dieu Cupidon pour les remercier de la grossesse d’Idylla, était arrivé. Devant le cortège, se tenaient des jeunes garçons, esclaves, portant des torches enflammées, dont la fumée dégageait une odeur d'encens. Ils étaient suivis par des musiciens qui jouaient du tambourin et de la flûte de Pan. Des Vestales marchaient à leur suite. La tête ceinte de bandelettes de laine blanche, qui leur retombaient sur les épaules et de chaque côté de la poitrine. Leurs vêtements étaient pourvus d’élégance, malgré leur grande simplicité. Par-dessus leur robe blanche, elles portaient une sorte de rochet de la même couleur. Leur manteau était de pourpre. Il leur cachait une épaule, et laissaient l’autre demi-nue. Elles parsemaient le sol de pétales de roses qui étaient piétinées par les sabots d'une génisse, somptueusement recouverte d'un drap de soie et d'un collier de fleurs rouges. Elle était suivie par des prêtres vêtus de blanc et couronnés de feuillage. La famille Junius Silanus au grand complet fermait la marche avec Idylla dans un palanquin, et chaque enfant tenant dans leur main une colombe. Marius avait refusé qu'elle ne marcha, et avait recommandé la plus grande prudence aux porteurs s'ils ne voulaient pas subir sa colère.

Le cortège ainsi pourvu arriva jusqu'au temple de la déesse Vénus et du dieu Cupidon. Les Vestales escortèrent la génisse, qui allait servir d’hostie, jusqu'à la cour. Ainsi installée, l'animal attendit l'arrivée du grand prêtre qui débuta la cérémonie par des prières et des vœux. Un héraut ordonna ensuite le silence, et qu’on éloigna les profanes. Par la suite, les prêtres jetèrent la mola, pâte faite de farine de froment et de sel, sur la victime. Après cette consécration, le premier officiant effectua les libations. Pour cela, il gouta le vin, et en donna à la famille Junius Silanus. Puis, il en versa entre les cornes de la génisse. Ensuite, les Vestales allumèrent le feu, et brûlèrent l’encens pendant que les popes, à demi-nus, amenèrent l’hostie devant l’autel. Le cultrarius la frappa avec une hache et l’égorgea aussitôt. Un autre recueillit le sang dans des coupes qu’il déposa sur l’autel pour l’offrir aux divinités. Puis, plusieurs hommes placèrent l’hostie sur la table sacrée, où des prêtres la dépouillèrent, et procédèrent à sa dissection. Ils continuèrent en procédant à l’holocauste de la génisse, en la brûlant toute entière. Au moment où la fumée montait dans le ciel, les enfants Junius Silanus lâchèrent les colombes pour honorer la déesse de la Beauté. Ces oiseaux étaient habituellement sacrifiés à cette dernière. Cependant, Idylla avait refusé qu'on s'en prenne aux colombes, car elle était persuadée que c'était grâce à elles que ses prières avaient été entendues. Pendant ce temps, le sacrifice terminé, les sacrificateurs se purifièrent les mains. Enfin, le grand prêtre congédia l’assistance par ces termes, Ex templo, autrement dit, on peut se retirer. La même cérémonie se déroula au sein du temple de Junon, afin de mettre la grossesse d’Idylla sous sa protection.

Quand tous rentrèrent à la demeure principale, la famille festoya pour se réjouir. Lasse de cette longue matinée, Idylla sentit le besoin d'aller se reposer au calme dans ses appartements. Elle prévint son époux qui l'y encouragea. Cette sortie fut surprise par la mère de Lua. Désirant vraiment repartir sur de meilleures bases avec sa cousine par alliance, elle sauta sur cette occasion, et la suivit. Lorsqu’Idylla arriva dans sa chambre et qu'elle se préparait à s'allonger, elle entendit des coups provenant de la porte. Intriguée, elle autorisa la personne à rentrer et découvrit Infama rentrer. Cette dernière se dirigea vers une table pour y déposer un plateau, contenant deux verres et une cruche. Puis, elle commença à prendre la parole :

« Ma cousine, excusez moi de vous déranger, mais je voulais absolument vous parler en privée.

— Je ne voudrai pas me montrer impolie, mais je suis assez fatiguée, et j'aimerai me reposer, dit Idylla.

— Je le comprends, mais je me permets d'insister, continua Infama. Je voudrai faire la paix avec vous, et surtout m'excuser. »

Intriguée par ces paroles, l'épouse de Marius accepta de l'écouter :

« Je sais que vous ne m'appréciez pas beaucoup, et je le conçois. Je sais que je peux paraître hautaine et orgueilleuse, commença l'épouse de Colinus. Mais je ne suis pas comme ça en réalité. J’aimerai tellement vous…, vous dire…, vous convaincre que ce n’est qu’un masque que je porte. Ce n’est pas ma vraie nature. »

Submergée par ses émotions, elle fit une pause, afin d’essuyer des larmes naissantes, avant de continuer :

« Voyez-vous, il n'est pas facile de se faire une place au sein de votre famille quand on est une étrangère, comme moi. Je n’ai pas de frère, alors mon père ne pouvait compter que sur moi pour réaliser une forte alliance, afin de se mettre à l’abri du besoin. Nous n’étions pas riches. Il m’a menacée de me renier si Colinus ne m’épousait pas, ou se séparait de moi. Je dois aussi avouer que mes beaux-parents ne m’ont jamais vraiment acceptée, menaçant, à leur tour, de l’encourager à divorcer, si je faisais le moindre écart. De plus, j’étais rongée par la culpabilité. Par amour pour moi, mon mari a renoncé à sa place dans la succession. Alors pour honorer ma place, celle de Colinus, de mes beaux-parents, et de mon père, j’ai porté un masque d’orgueil, afin de cacher mes craintes et de répondre à leurs exigences. La pression était telle que j’ai parfois retourné mes frustrations sur mon entourage, et sur vous… Aujourd’hui, je sais que j’ai pris le mauvais chemin, et je tiens maintenant à m’excuser. Ma crainte m’a aveuglée.

—…

— Je suis si fatiguée de porter ce masque. J’aimerai redevenir celle que j’étais quand j’ai rencontré Colinus, redevenir la femme qui est tombée amoureuse de lui. Je souhaite également, de tout cœur, que nous puissions devenir amie, et que nous œuvrions ensemble pour le bien de nos familles… Je vous prie d’exaucer ma prière. »

A peine fini, la jeune femme tomba à genoux, laissant ses sanglots s'exprimer, sous le regard d'Idylla qui n'en croyait pas ses oreilles. Alors, la personne devant elle n'avait joué qu'un rôle, par peur de faire honte à son père, et de tout perdre. Ses beaux-parents lui avaient aussi trop mis de pression sur les épaules. Comme elle la comprenait dans un sens. Peut-être que même elle aurait terminé ainsi, sans le soutien de Psy. Attendrie par les larmes coulant sur ce beau visage, l’épouse de Marius décida de lui donner une chance en l’incitant de la main à se relever, tout en affirmant :

« Ma cousine, voyons relevez-vous. Bien sûr que je vous pardonne, mais maintenant, ne vous cachez plus de nous. Laissez-nous vous connaître réellement. Je suis certaine que Colinus en sera heureux, et qu’il empêchera toute personne de le séparer de vous. Il vous aime tellement.

— Je vous remercie, ma chère cousine. Vous êtes bien bonnes. Je vous promets de ne pas vous décevoir. J'aimerai vous demandez une autre faveur. Je désire partager avec vous le verre de l'amitié, » demanda Infama, en montrant ce qu’elle avait apporté.

L'épouse de Marius hésita, car cela semblait être du vin, et le médecin le lui avait interdit, en affirmant que ce serait dangereux pour le fœtus.

« Rassurez-vous, c'est du jus de raisin. Je ne voudrai pas mettre en danger votre enfant à naître, affirma son interlocutrice en souriant. Je souhaite vraiment que nous scellions ce nouveau départ et la naissance d’une belle amitié… Je vous en prie.

— Alors, dans ce cas, j'accepte de boire en votre compagnie. »

Souriante et heureuse, Infama cousine remplit donc les verres, et tendit à Idylla le sien. Cette dernière, après avoir trinqué à une future amitié, amena la coupe auprès de ses lèvres, et s'apprêtât à les tremper dans le liquide, quand..., une main prit le verre de ses mains, et but le contenu d’une traite à sa place, sous les yeux étonnés de la mère de Lua. Troublée, l’épouse de Marius s’en étonna :

« Ma sœur, que faites-vous ? »

En effet, devant les deux cousines par alliances, se dressait la veuve de Sol, qui après avoir lâché le verre qui se brisa au contact de Terra, s’essuya la bouche avec l’aide d’un mouchoir avant de répondre :

« Oh, désolée, j'ai cru que c'était du vin et comme vous n'avez pas le droit d'en boire, j'ai pensé qu'il valait mieux que ce soit moi qui le boive. »

Puis elle se tourna vers Infama. Face à des yeux qui se voulaient menaçant, au point qu’ils auraient pu la tuer dans la seconde, cette dernière eut un mouvement de recul.

« Vraiment, je suis désolée si je me suis méprise. De toute manière, vous le méritiez. Vous avez osé ne pas m’inviter à votre petite sauterie, voulut plaisanter Psy, afin de ne pas alarmer sa jumelle. Honte à vous !

— Ma sœur, voyons, cela ne se fait pas, réprimanda Idylla, tout en ayant la main devant la bouche, pour cacher un sourire moqueur.

— Non, non, je suis furieuse contre vous, répliqua-t-elle, avec une moue qui finalement fit craquer son aînée.

— Oh Psy, personne ne pourra vous changer, pouffa d’un rire contenue cette dernière, avant de ressentir à nouveau le poids de la lassitude sur ses épaules. Excusez-moi, mais je suis vraiment fatiguée. Je ressens le besoin de m'allonger quelques heures. Pouvez-vous me faire la faveur de vous occupez de la maison pendant ce temps, ma chère ?

— Bien sûr, je m'occupe de tout. Reposez-vous. Je vais mettre un esclave devant votre porte pour que personne ne vienne vous déranger, » conclut la veuve de Sol en entraînant Infama dans son sillage.

Après l'avoir remerciée de sa diligence, Idylla referma donc la porte après les avoir vues l'emprunter, et se laissa aller vers le pays de Morphée. Pendant ce temps, Psy tira l’épouse de Colinus jusqu'à une pièce vide, et la força à y entrer. Elle la balança sur un sofa avec si peu de ménagement que sa victime s'étala de tout son long dessus, essayant de ne pas tomber au sol sous la force du choc. Infama tourna son visage vers la veuve, et y vit la plus grande noirceur qu'elle n’avait jamais connue. Son regard clair était aussi froid qu'un iceberg, à vous en glacer le sang. Elle l'entendit ensuite la tutoyer, lui montrant ainsi qu'elle n'avait aucun respect pour elle :

« Je ne veux pas savoir ce que tu as manigancé... Mais je suis sûre d'une chose, c'est que tu ne voulais rien de bien à Idylla.

— Mais,…, mais voyons ma cousine, je ne sais pas ce que vous voulez dire, nia la mère de Lua.

— Ne joue pas à la plus fine avec moi, la menaça encore Psy. Je sais qui tu es. Je sais que tu es une intrigante, une arriviste qui ferait tout ce qui est en son pouvoir pour s'élever, ou pour supplanter les autres. »

Le cœur d’Infama battait dans l’affolement le plus total. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, et de quoi Psy l’accusait. Ses yeux tournaient dans tous les sens, à la recherche d’une aide quelconque. Elle n’avait jamais voulu nuire à l’épouse de Marius. Si elle le faisait, c’était signé son arrêt de mort. Même si ce dernier l’épargnait, Colinus, bien qu’aimant, ne pourra que la renier et divorcer, ou du moins, tout son entourage le fera divorcer. Alors son père, déshonoré, serait à même de la tuer, ou de l’abandonner dans la rue, l’obligeant à subvenir à ses besoins en offrant ses charmes à ceux qui voudrait bien lui en donner quelques pièces. Cette perspective serait pire que la mort. Pourquoi Psy refusait-elle de l’entendre ?

« Tu as mis quelque chose dans ce jus, n’est-ce pas ? Continua son accusatrice, calmement, mais avec un ton de plus en plus glacial.

— Non, bien sûr que non, tenta de se défendre Infama, les yeux affolés face à une telle calomnie. Vous vous méprenez. Je voulais instaurer la paix avec elle. Je ne désire que devenir amie avec Idylla, et même avec vous. Je vous assure que je possédais que ce désir en offrant ce verre. Je…

— Je ne veux rien entendre de tes explications, l’interrompit Psy. Ne me prends pas pour une inculte. J’ai bu la boisson, et je sais que le raisin n’en est pas le seul ingrédient. Quel poison as-tu utilisé ? Où te l’ais-tu procuré ?

— Je vous assure que je n’y aie rien mis dedans… Ce n’est pas moi. J’ignorais que cette boisson en détenait. Il faut me croire.

— Arrête de mentir ! Je ne sais pas comment tu as réussi à embobiner Idylla, mais moi, tu ne m'auras pas. Je ne te fais pas confiance, perdit patience Psy, de plus en plus en colère, mais une colère froide et contenue. C'est mon seul et unique avertissement. Ne tente plus rien contre ma sœur, entends-tu, ou tu le regretteras amèrement. Je serai moins clémente la prochaine fois. Maintenant, vas-t-en ! »

Profitant de cette opportunité, Infama se leva pour fuir. Alors qu’elle allait franchir précipitamment la pièce, la voix de Psy la stoppa nette :

« Une dernière chose, tu n'auras pas non plus mon fils. Tiens-le pour dit. »

Après ces mots, la mère de Lua se sauva vers ses appartements. Essoufflée, elle s’appuya sur le bord d’une commode pour éviter de tomber.

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