Sous haute protection

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Sa déclaration laissa son cousin sans voix, ainsi que Psy. Cette dernière en plissa les yeux, suspicieuse. Qu’est-ce qu’avait pu raconter Infama à son époux pour qu’il vienne plaider en sa faveur ? De son côté, Marius, le faisant se relever, réalisa le vœu de Colinus et accepta de l’écouter. Tout comme pour sa belle-sœur, aucune interruption n’entacha la confession. Après avoir tout révélé de ce qu’il savait, son cousin attendit dans l’angoisse qu’il prenne la parole. En effet, le chef de famille continua à regarder par la fenêtre, tout en analysant ce qui avait été annoncé. De son côté, Psy attaqua Colinus, en l’accusant d’être venu sous l’insistance de son épouse. Ce dernier nia, promettant qu’elle ignorait sa venue en ce bureau. Coupant leur palabre incessant, Marius finit par demander :

« En êtes-vous certain, mon cousin ?

— Je peux vous le garantir. L’idée du plateau ne venait pas d’elle. Elle me l’a jurée sur le Styx. De plus, je l’ai vue quitter la salle à manger, à la suite d’Idylla, sans rien dans les mains. Elle m’a assurée qu’il lui fut confié sur le chemin menant à la pièce où se rendait votre épouse. »

Face à ce serment inviolable, même par les Dieux, Marius garda encore une minute de silence. Personne, craignant la colère divine, ne ferait une telle promesse, de peur de finir au Tartare, foudroyée par Jupiter en personne. Ferment les yeux, il entendit Colinus le supplier de mener une enquête pour trouver les vrais coupables. Il était prêt d’en assurer la responsabilité. La survie d’Idylla était en jeu, mais pas seulement. A travers son épouse, transformée en bouc-émissaire, son honneur avait aussi été attaqué. Il devait le laver de cet affront, et il mettrait tout en œuvre pour cette mission. Oui, il était déterminé à réussir, et à poursuivre ses détracteurs. Au début, Psy s’y opposa, suspectant qu’il fasse tout pour qu’ils ne trouvent aucune preuve impliquant Infama. Encore une fois, Colinus se défendit, assurant que seuls les intérêts de la famille le motivaient. Si des preuves incriminaient son épouse, il promit qu’il n’interférait pas, et qu’il abandonnerait l’affaire à un autre, afin d’en préserver l’impartialité. La veuve de Sol voulut encore argumenter, mais elle en fut empêchée par la voix de Marius :

« Très bien, dit-il. Colinus, je vous confie l’enquête. Soyez impartial et sévère dans votre investigation.

— Je vous remercie, mon cousin, affirma le père de Lua. Je ferai tout pour trouver les coupables, et les amener devant la justice, autant pour mon honneur que pour préserver la vie d’Idylla, ainsi que de son enfant à naître.

— Je n’en doute pas. Toutefois, bien que je vous fasse confiance, j’aimerai que Psy vous seconde. Elle a bu le jus empoisonné. Elle en reconnaîtra les herbes usées.

— Je comprends, accepta Colinus. Toute aide me sera précieuse. D’ailleurs, je vais prendre congé et commencer dès maintenant. »

Après avoir salué une dernière fois, l’époux d’Infama sortit du bureau, plus déterminé que jamais, et pensant déjà à son plan d’action. Il lui fallait tout d’abord trouver qui avait confié le plateau à son épouse, alors il saura qui était derrière tout ça. En sortant, il passa devant deux esclaves au visage fermé et sombre, qui semblaient attendre quelque chose. Pendant ce temps, un silence lourd entourait Marius et Psy. Il fut rompu par une personne qui toqua à sa porte. Soufflant face à ces interminables interruptions, le chef de famille ordonna de rentrer. Un vieil esclave, accompagné par un plus jeune, s'introduire dans le bureau. Les deux hommes se mirent à genoux. Le plus âgé prit la parole :

« Pardonnez-nous, maître, de venir à l’improviste. Je vous demande la faveur de vous parler librement. Si mes propos ne vous semblent pas honorables, nous sommes, mon fils et moi, prêts à en payer le prix avec notre vie. »

Après que Marius lui en donna la permission, perplexe comme il était après les mots de cet homme :

« Nous étions en route pour prendre nos ordres auprès de dame Psy, puisque vous nous avez ordonné de laisser dame Idylla se reposer au vu de son état, que les Dieux soient bénis pour cela, commença-t-il. Nous avons malencontreusement entendu votre conversation sur les dangers qu'encoure notre maîtresse. Veuillez pardonner notre indiscrétion. »

Après que son maître lui ait fait signe que son pardon dépendrait de ses paroles, le vieil homme continua :

« Nous voudrions vous aider, maître. Je suis prêt à goûter tous les plats et les boissons qui seront proposées à votre épouse, afin de la préserver des poisons. Mon fils, ici présent, est un ancien soldat, fait prisonnier et vendu comme esclave. Il souhaite mettre à votre service ses compétences en devenant son garde du corps.

— Pourquoi ? Pourquoi mettriez-vous vos vies en jeu ? demanda Psy aussi étonnée que Marius, qui garda le silence, attendant la suite.

— Nous sommes redevables à dame Idylla et à vous, maître. Vous nous traitez avec respect. Vous nous donnez un logement décent. Vous éduquez nos enfants, et vous les affranchissez, s’ils désirent quitter votre service quand ils deviennent adultes. Nous savons que les esclaves des autres grandes familles ne reçoivent pas un aussi bon traitement, expliqua l’ancien soldat, âgé d'une trentaine d'année.

— Je me permets de rajouter que personnellement, ma famille et moi-même avons une dette envers notre maîtresse, renchérit son père. Voyez-vous, le jour où nous avons été achetés par votre famille, ma femme et moi avons failli être séparés de notre fils et de notre fille. Il est rare que des personnes âgées soient achetées, à part pour le Colisée, afin d'y être livrés aux lions lors des jeux du cirque. Heureusement, dame Idylla a entendu les plaintes de mon épouse, qui avait vu nos enfants partir sans elle. Par pitié, elle nous acheta également, nous permettant de vivre à nouveau ensemble.

— Maître, c'est grâce à votre épouse que ma femme peut serrer notre fils dans ses bras. Il lui doit la vie. Lors de l'accouchement, il s'est présenté des complications, laissant le bébé comme mort. Nous ignorons comment cela est possible, mais dame Idylla l'a sauvé en le frictionnant, et en priant la déesse Latone. J'ai donc aussi une dette envers elle, appuya l'ancien soldat.

— Nous nous offrons nos vies pour payer nos dettes, maître, dirent-ils en cœur, » en posant leur front sur le sol en attente de la décision de Marius.

Alors que Psy, les yeux brillant par tant de dévotion de la part des deux esclaves, se tourna vers son beau-frère. Celui-ci, les yeux fermés, réfléchissait. Personne ne savait d’où venait réellement le danger, alors c’était une solution pour qu’Idylla soit en sécurité. Maintenant, il fallait la convaincre de la présence de ses personnes auprès d'elle. Le chef de famille prit alors la parole avec force :

« Qu'il en soit ainsi. Psy, veuillez conduire celui qui sera à partir d'aujourd'hui son goûteur auprès d'Idylla, pour le lui présenter et la convaincre de l'utilité de son rôle. Qu'en à toi, ancien soldat, je t’autorise à te pourvoir d'armes dans le but de protéger mon épouse de tous dangers. Quand tu seras prêt, revient me voir et je t'introduirai moi-même. Je compte sur vous pour tenir vos engagements.

— Nous vous le promettons sur le Styx, » clamèrent les deux esclaves.

Ils sortirent en compagnie de la veuve de Sol, qui conduisit le plus vieux auprès de sa sœur, alors que le deuxième alla se préparer à la salle d'armes de la demeure. Cependant, avant d'aller rejoindre son maître, il passa par la salle commune des esclaves, pièce mise à leur disposition. Cette dernière était située en sous sol de la demeure, et leur permettait de se reposer, de manger, et de se réunir durant la journée. Il y vit la majorité de ses compagnons de servitude, et leur parla. Après que tout le monde soit parti, de son côté, Marius remercia les Dieux de lui avoir donné des hommes aussi dévoués et une épouse qui, aujourd'hui, recevait le paiement de sa gentillesse et sa générosité. Cependant, Idylla n’était pas encore hors de danger. Il fallait résoudre cette affaire le plus rapidement possible. Quand le nouveau garde du corps revint, tout armé vêtu, les deux hommes se dirigèrent vers les appartements de son épouse. Arrivé à destination, le futur père vit le vieil esclave sur le pas de la porte, attendant que les deux sœurs finissent leur conversation. D'ailleurs, il les entendait à travers la cloison.

Marius entra à son tour après avoir ordonné aux esclaves de patienter. Il observa une Idylla, assisse dans un fauteuil, et une Psy debout les poings sur les hanches. Cette dernière essayait de la convaincre de la nécessité du goûteur et du garde du corps. A l’entrée du chef de famille, elles se tournèrent vers lui. Au regard que lui lançait sa belle-sœur, il comprit qu'elle le sollicitait, afin d'appuyer ses dires. En effet, Idylla avait du mal à se rendre compte qu’elle avait échappé à une tentative de meurtre. La mère d’Endymion lui avait pourtant décrit sa souffrance survenue après avoir bu le verre qu’Infama lui avait tendu tantôt. Malgré ces arguments, sa jumelle n’arrivait pas concevoir que leur cousine par alliance ait manœuvré tout cela. Elle la pensait innocente et sincère dans son désir de paix. Malheureusement, le doute était maintenant dans son cœur. Ce fut l'argument de Marius qui termina de la convaincre :

« Idylla, veux-tu vraiment prendre le risque de mettre la vie de notre enfant en danger ? Tu ne peux douter des réactions de Psy au contact de cette boisson. Une personne a tenté à ton existence. Je sais que tu es une personne généreuse, mais tu n'es plus seule. Tu as la responsabilité d'une petite vie en toi. Tant que nous n’avons pas fait la lumière sur cette affaire, je vous demanderai de vous résoudre à suivre mes dispositions. »

Après ces mots, Idylla, la main sur le ventre, se rendit compte qu'ils avaient tous les deux raisons, et consentit à rencontrer les esclaves volontaires pour la maintenir en vie. Dès qu'ils rentrèrent, elle les reconnut, et les remercia de leur dévouement. Depuis ce jour, tous les Junius Silanus virent un vieil homme goûtant tous les plats et les boissons de la maîtresse des lieux, ainsi qu’un plus jeune, ne quittant plus ses côtés, ou le devant de sa chambre, armé de la tête au pied. Personne ne doutait qu'il était près à tuer le responsable de toutes menaces. De plus, ce nouveau garant à la sécurité avait renforcé celle de la demeure. Aucune denrée, aucun visiteur n’échappait à son analyse et à sa fouille, que ce soit de jour, comme de nuit. En tout cas, bien que certains s’en félicitent, cette protection n’était pas au goût de quelques personnes. Par contre Marius était plus que satisfait, car plus aucune possibilité ne semblait être envisageable au coupable pour mener à bien ses funestes projets. En effet, si le goûteur tombait malade ou mourrait, cet individu risquait de se découvrir. De plus, la carrure du garde du corps, et ses cicatrices prouvant son passé guerrier, était plus que dissuasif. Au moins, ses dispositions donnaient un peu de temps pour l’investigation en cours d’arriver à terme. Qu’en à Infama, elle restait le plus souvent enfermée dans ses appartements, et ne se mélangeait à la famille qu’à de rares occasions. Bien que Colinus ne le lui ait pas conseillé, ce confinement l’arrangeait pour mener à bien son enquête, qu’il voulut la plus discrète possible. Il ne fallait surtout pas que les coupables s’alarment et se débarrassent des preuves. Pour cela, il usa de créatures que personnes ne soupçonneraient. Ce qu’il ignorait était les vrais raisons de l’isolement de son épouse. Cette dernière avait peur de croiser Psy. La sœur d’Idylla ne ratait jamais une occasion de lui murmurer à l’oreille qu’elle était sous surveillance, et qu’au moindre écart, elle fendrait sur elle, tel un rapace sur sa proie. Oui, Infama préférait se réfugier chez elle, en espérant se faire oublier.

Plusieurs jours se passèrent ainsi. Tous vaquaient à leur occupation, ne se rendant pas compte que des petites mains furtives étaient à l’œuvre pour protéger deux vies. Un fil dressé sur le chemin d’Idylla, il était enlevé avant son passage, ne laissant que deux trous dans le mur comme témoignage. Un vase, mis en équilibre précaire sur le bord d’une fenêtre au-dessus d’elle, se voyait retirer dès sa découverte. Une esclave, faisant mine de trébucher juste devant elle, et risquant de l’ébouillanter avec l’eau brûlante d’une cruche, était vite mise à l’écart, et punie en toute discrétion. Un serpent venimeux, glissé dans l’appartement d’Idylla la nuit, était tué dès qu’il franchissait la fenêtre. A chaque déplacement de la maîtresse de maison, elle était entourée d’un barrage discret, empêchant toute personne de la bousculer ou de l’approcher. Oui, à l’insu de tous, des anges gardiens veillaient sur elle à tout instant.

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