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 ⸺ Toi, tu dors avec moi, m’annonça Lola alors que nous nous dirigions vers les dortoirs.

⸺ Tu ne dors pas avec Mélisande ? m’étonnai-je.

⸺ Non. Elle dort avec d’autres filles.

⸺ Alors, tu dormais seule, jusqu’à maintenant ?

Je lui glissai un regard en coin. Son magnifique visage s’était assombri, comme voilé.

⸺ Je ne dors pas seule – même si c’est tout comme.

J’arquai mon sourcil droit.

⸺ La… fille avec qui je partage ma chambre n’est jamais là. Toujours en mission.

⸺ En mission de quoi ?

⸺ Si je le savais ! Mais elle ne me dit jamais rien. D’ailleurs, elle ne dit jamais rien.

⸺ Pourquoi t’être installée dans la même chambrée, alors ?

⸺ Pas le choix : quand je suis arrivée, toutes les autres étaient déjà remplies.

⸺ Enfin, c’est pas comme si vous manquiez de place, ici ! Déjà, pourquoi l’idée des chambrées ? Avec l’espace qu’il y a, pourquoi s’embarrasser de ça ?

La jeune fille haussa les épaules.

⸺ Pas moi qui ai pris les décisions. J’imagine que ça a à voir avec la proximité ou non à une Fenêtre. Tu sais, dès fois qu’on soit attaqués pendant la nuit…

Elle renversa la tête et s’esclaffa. Apparemment, l’hypothèse était d’une absurdité sans nom.

⸺ Bref. Tu dois être épuisée, non ? On aura le temps de plaisanter plus tard.

J’acquiesçai en baillant. Je n’attendais plus qu’une chose, c’était l’instant divin ou ma tête se coucherait à l’horizontal, les yeux fermés ; pour que la nuit s’empare de mon esprit.

Au moment même où je formulai mon souhait, des images de pyramides ensanglantées me revinrent à l’esprit.

Je me forçai à me concentrer sur le dos de la jeune fille devant moi et les images reculèrent. Mais je sentais toujours leur présence, guettant mon prochain moment d’inattention pour revenir à la charge.

Soudain, la perspective de demeurer seule dans le noir à attendre que le sommeil me gagne me parut beaucoup moins attrayante.

Je retins un nouveau bâillement.

L’attente ne sera probablement pas très longue, pensai-je rassérénée.

Je m’installai sur une couchette rudimentaire et, sans prendre le temps de me changer, tirai sur moi la couverture.

*

 Contrairement à ce que j’avais imaginé, le Cokhleönn di Elesperaâ – ou voleur de poussière – mit du temps à venir me visiter. Je restai donc mes bras croisés derrière la tête, à fixer le dessous de la couche de ma colocataire, dont le léger ronflement m’indiquait avec précision que j’étais la seule dans la pièce à ne pas m’être assoupie.

Je coulai un regard à la couchette vide fixée au mur opposé. Lola n’avait pas menti : une fois de plus, sa compagne de chambre avait déserté le campement, pour accomplir quelques sombres besognes dont Kent l’avait affublées.

À quoi pouvait donc ressembler cette mystérieuse jeune femme ? Il m’avait semblé entendre dans les inflexions de Lola une crainte déguisée, mêlée de haine et d’une troisième émotion que je ne parvenais pas à identifier. Que pouvait-il bien s’être passé entre les deux ?

Je continuai à me torturer la tête sur la question ; mais faute d’esprit en bon état de marche et puisque la jeune fille au-dessus de moi n’avait pas jugé utile s’attarder sur le sujet, il m’était difficile d’élaborer des hypothèses qui tenaient la route.

En vérité, le sujet – quoique intéressant – n’était pour moi qu’un prétexte : le tout était de m’éviter de penser à tout ce qui avait trait au passé, tout ce qui était douloureux.

La partie rationnelle de mon esprit savait que j’aurais dû fermer les yeux et me mette véritablement en « position » de sommeil. Malheureusement pour la rationalité, l’idée d’abaisser mes paupières n’était pas pour moi des plus attrayantes : derrière elles, les monstres prenaient forme, devenaient réels.

Et je n’étais définitivement pas prête à les affronter dans la foulée.

Ne sachant plus quoi faire, je me concentrai et fouillai les environs – de manière spirituelle – à la recherche de l’esprit de mon âme-sœur.

Celle-ci dormait déjà, aussi ne pris-je pas la peine d’entrer en contact avec elle de quelques manières que ce soit, me contentant à la place de calquer les battements de mon cœur sur les siens. Bercée par les pulsations cardiaques régulières de ma sœur d’écailles, je m’endormis rapidement.

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