Chapitre 4.1
La cérémonie se déroula sans accroc. Elle fut ennuyeuse bien sûr, mais au moins l’Exarque se contenta de sa mission. Les époux quittèrent le temple chacun de leur côté, ils furent réunis dans la chambre nuptiale, chacun portant une simple chemise de nuit blanche. On ferma les portes derrière eux et ils se retrouvèrent seuls, face à face, à la lumière vacillante des bougies. Comme synchronisé, ils se rapprochèrent du lit, soulevèrent chacun les couvertures de leur côté et se glissèrent dedans. La princesse Éloise commença à frémir, ses mains tremblaient et ses joues semblaient s’humidifier.
Balian prit sa main comme elle l’avait fait plus tôt.
« - Nous ne sommes pas obligés de faire ça ce soir, dit-il en prenant un ton rassurant.
- C’est notre devoir, dit-elle en s’essuyant les joues.
- Mon … Notre devoir envers le Royaume est de concevoir un héritier. Il y a aussi mon devoir envers ma femme qui consiste à bien le traiter et à ne pas lui faire de mal. J’ai respecté aujourd’hui mon devoir envers le royaume en me mariant devant tous mes sujets, maintenant que je suis avec vous, je pense que prendre un peu de temps ne mettra pas le royaume en danger. »
Elle acquiesça de la tête, elle semblait lentement se détendre.
- J’étais amoureuse, avoua-t-elle. Dans mon royaume, je suis tombée amoureuse de mon professeur d’équitation. Je l’ai rencontré jeune puis il m’accompagnait lors de mes sorties. J’ai toujours respecté mon devoir et ma place, mais le cœur se moque bien de cela.
- C’est à la fois heureux et triste. Cela doit être merveilleux d’éprouver ce sentiment. J’ai toujours été trop occupé pour me laisser aller à cela. Mon frère en revanche est bien différent. Jusqu’au moment où le rideau est tombé, je n’y prêtais pas plus d’importance, mais quand je vous ai vu sourire, je me suis dit que je pourrais sûrement vous aimer.
- J’ai eu le même sentiment, répondit-elle en souriant. Je me suis dit que faire le deuil de mon amour serait finalement moins difficile que je l’avais imaginé. Même si j’ai été surprise par votre raideur lors de la procession.
- Vous n’en étiez nullement la cause, la vue de l’exarque m’a fait penser à mon petit frère.
- J’ai appris cette affaire il y a des mois, j’ai moi-même un petit frère et cela me chagrine pour vous.
- Vous ne connaissez pas toute l’histoire, mais je la réserve pour une autre fois, je ne voudrais pas assombrir notre rencontre. »
Le mariage se poursuivit dans les meilleures conditions. On ne manqua pas de remarquer la tache rouge dans les draps symbole de la consomation de l'union. Tymérand lui remarqua une coupure assez nette sur le bras de son frère. Le couple semblait très complice et en vérité il l’était. Les deux époux partageaient la même philosophie de vie. Éloise était franche et généreuse, elle plaçait son devoir en haute estime ainsi que les convenances et l’étiquette. Mais elle manquait un peu de subtilité, comme son mari, elle présenta, par exemple, son soutien à la Reine par rapport à son jeune fils disparu. L’évocation de son fils peina la Reine, mais elle fut tout de même touchée par le geste.
Le dernier bal était vraiment somptueux, toute la ville était transformée en salle de fête. La musique et les chants étaient partout, les rues étaient éclairées avec des chandelles et on s’y promenait jusqu'à tard comme en plein jour. Tymérand déambulait dans les rues avec une outre de vin à la main. Cette fête lui avait enfin permis d’échapper à l’ambiance de la cour. Alors qu’il passait par une ruelle pour atteindre les quais, un mouvement dans l’ombre attira son attention. Il continua avec une démarche nonchalante, mais les sens étroitement en éveil. Il sentit une personne se déplacer dans l’ombre dans sa direction. Il perçut une main se tendre vers lui. Le prince plongea et fit volte-face dans un mouvement aussi gracieux que lui permettait son ivresse. Il avait dénudé son épée et la pointait en direction de l’individu.
« - Tu oses me toucher ! rugit-il.
L’individu sortit des ténèbres. Le prince le prit d’abord pour un vagabond aux abois avant de réaliser qu’il s’agissait de son frère Symeith. Sa peau était si tendue qu’on distinguait son crâne au-dessous. Ses mains était noueuses et faibles. Il portait une tenue de bûcheron élimée avec une coiffe et un capuchon vert sur la tête. Son nez et sa bouche étaient restés sensiblement pareils, mais le haut de son visage avait légèrement changé. Quant à ses yeux, ils n’exprimaient aucune douceur, aucune tendresse, ils bougeaient sans cesse comme s’il suivait des yeux un insecte particulièrement rapide. Tymérand savait qu’il analysait le moindre stimulus afin de se cacher.
- Que fais-tu là ? Demanda Tymérand.
- C’est le mariage de mon frère, dit Symeith d’un ton posé mais les yeux toujours remuant.
- L’est-il vraiment au fond ?
Tymérand s'en était voulu d'avoir raté les évènements ayant conduit à la dissparition de son frère. Non pas qu'il pensait que sa présence aurait fait une différence. Il était frustré car aucun des récits qu'il avait entendu ne lui avait apporté les réponses qu'il désirait. Enfin, il allait savoir.
- Je n’en sais rien. Mais mes sentiments pour vous ont toujours été sincères. Je me suis toujours senti différent, mais je ne sais rien de ma nature.
- Et la sorcière ?
- La sorcière ? répéta-t-il sans comprendre. Son regard s’était un peu plus attardé sur son frère.
- La sorcière des marais, elle est venue après ton départ et a fichu une déculottée à l’exarque, tu ne la connais pas ?
- Je connais le conte que racontait mère, comme toi.
Tymérand soupira. Il avança vers un tonneau et grimpa dessus. Il inspecta son frère des pieds à la cape et porta son attention sur un sac à ces pieds.
- Qu’est-ce que tu trimballes ?
Symeith sourit et ouvrit le sac. Il était rempli de brioches. Tymérand lui rendit son sourire. D’une certaine manière, il était ravi de constater que malgré son apparence différente, il restait le même. Tymérand était rassuré qui qu'il ait été à l'origine, c'était toujours le frère qu'il a vu grandir.
- Comment as-tu échappé aux inquisiteurs ? Et où comptes-tu aller ?
- Je suis retourné là où j’ai échappé aux loups. C’était une intuition qui s’est révélée correcte. Les inquisiteurs ne pouvaient pas me voir sur cette île. Je ne saurais pas l’expliquer mais j’ai pu survivre là-bas tout ce temps. Toutefois, depuis mon départ, j’ai réalisé que cela m’avait grandement affaiblie. Je dois trouver une autre cachette.
- Il te faut donc quitter le royaume, déclara Tymérand.
- Je pensais prendre un bateau pour l’Est et peut-être trouver des elfes qui sait.
Tymérand avait aussi pensé à cette idée. Un elfe ne serait jamais en sécurité dans les royaumes de l'Ouest à cause de l'inquisition. Son seul salut était d'allé à l'Est où elle n'était pas présente et pour se faire, de prendre un navire s'y rendant à Port-Royal.
- Mauvaise idée, les inquisiteurs surveillent tous les bateaux. Si tu veux quitter ce royaume, tu dois aller voir des professionnels et heureusement j’en connais.
- Alors c’est ce que tu fais quand tu n’es pas là ? Tu joues au contrebandier ?
- Chacun son rôle, petit frère, Balian dirige dans la lumière et moi je le protège dans l’ombre. Je n’ai rien décidé c’est le plan de Père, il m’a formé pour ça.
Tymérand savait qu'il n'aurait pas dû dire cela. C'était un secret qui n'avait pas sa place dans les oreille de Symeith. Surtout dans sa situation actuelle. Il lui était agréable de partagé son fardaux avec quelqu'un. Curieusement, cela ne semblait pas effrayé Symeith. Il semblait même rassuré.
- Et moi quel était mon rôle ?
- Je ne suis pas sûr, mais je pense que tu devais épouser une fille du vieux Arlestrand. Tu serais devenu le maître de cette ville et grâce à ton éducation dans les langues et la géographie tu aurais peut-être pu développé ce port !
- Épouser Léotie ? Finalement ce qui m’arrive est peut-être une chance, ironisa Symeith.
- Elle est belle pourtant mais quelle garce, répondit son frère en prenant une gorgée de son outre. Écoute bien maintenant. Tu vas rentrer à Thesser ce soir. Va dans le quartier des docks et cherche l’auberge de la dernière chance. Entre et demande à la taulière : « un peu de lumière dans une nuit sans étoile ». Si le barde vient te voir, demande l’ode à Beffrand le noir.
- Alors je me mets en route tout de suite.
Il s’approcha de son frère et l’étreignit. Après un long moment, Symeith lui prit la main et y glissa une clef et une chevalière.
- Sous le box de mon cheval, il y a une trappe et dessous un coffre. Dit à notre frère de se servir dedans pour son cadeau de mariage. Donne mon cheval à ma nouvelle sœur, il ne peut porter que les bons cavaliers.
- Et la bague ?
- Je ne fais plus partie de la famille désormais, dit-il en laissant couler des larmes sur ses joues. Cette chevalière ira donc au prochain membre de la famille.
Symeith tourna les talons et disparut dans les ombres. Tymérand resta un moment assis pantois sur son tonneau avec dans une main son outre de vin et dans l’autre les présents de son frère. Il finit par fermer son poing et le ramena contre son cœur. Il sauta du tonneau et jeta l’outre de vin dans un geste de rage. Il était resté là tout ce temps ! L’Exarque l’avait retrouvé, mais n’avait pas pu le voir. Voilà qui expliquait leurs recherches si désordonnées. En fait, ils attendaient juste qu’il sorte de son trou. Et dire qu’ils les avaient cru inefficaces a jouer depuis un an au chat et à la souris avec un gamin sans résultat. D’après les informations qu’il avait, les inquisiteurs avaient fait semblant de quitter le pays tout en l’encerclant. Les choses s’expliquaient : ils savaient que Symeith allait tenter de prendre la fuite pour trouver les elfes.
Le regard de Tymérand se posa alors sur la chevalière de son frère.
Ils connaissent les liens qui nous unissent. Ils savaient qu’il allait se montrer. Il se sert de nous en appât.
Mais oui ! Pensa-t-il, justement ? Ils attendent qu’il se montre, ils ont un informateur. Alors non mon frère la famille ne saura rien de ton dernier geste. Je t’ai mis sur une bonne piste, à toi maintenant de survivre.
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