Anedora est assise sur la dernière branche d’un immense arbre de WoodFall Park. Elle n’a pas de souvenir de WoodFall, elle suppose qu’elle ne devait pas vivre ici. Tout devient tellement flou. Elle a l’impression de naviguer en eaux troubles, sentant l’évolution constante de son esprit pour laisser place à quelque chose de plus grand qu’elle n’arrive pas à nommer. Elle observe les grandes maisons bourgeoises au-delà de la forêt ainsi que les quartiers plus standards, avec ses grandes rues et ses maisons quasiment toutes identiques. Elle aperçoit même le lycée au loin avec son parking grouillant d’élèves en tout genre. Elle fait un quart de tour et pose son regard sur le centre-ville. Le bureau de poste, les magasins aux devantures colorées, la Mairie et une immense tour certainement remplie de bureaux. Elle se dit que la vue doit être splendide de là-haut, il faudrait qu’elle s’y rende au plus vite. L’air est plutôt chaud, l’automne n’a pas encore totalement chassé l’été. Elle se laisse aller à écouter le bruissement du vent dans les feuilles et le chant des oiseaux. Son ouïe s’est affinée et sa vue aussi. Elle est impressionnée par cette nouvelle façon de percevoir le monde. Elle ne comprend pas encore tout ce qui lui arrive ; elle n’a plus de besoin physique, elle ne dort plus, elle vagabonde au Paradis, faisant la connaissance des créatures qui le peuplent. Elle passe beaucoup de temps avec Adelan aussi, il est sage et attentif. Il l’aide du mieux qu’il le peut pour qu’elle arrive à accepter son nouvel état. Et cela va de mieux en mieux, elle commence à prendre la mesure des évènements et surtout de ce qui arrivera bientôt si elle échoue. Un voile noir obscurcit son regard quand les images apocalyptiques que Gabriel lui a montrées refont surface. Elle secoue la tête tentant d’effacer ces horreurs, elle ne veut pas y penser pour le moment. Elle se ressaisit et se tourne vers Adelan.

— Est-ce que quelqu’un peut me voir ?

— Seulement si tu le désires, mais c’est plutôt déconseillé, répond Adelan, en sautillant d’une branche à l’autre.

Anedora se prend la tête entre les mains. Malgré ses efforts, les images de la vision la hantent, est-elle réellement en mesure de sauver le monde ? A-t-elle la force nécessaire pour accomplir la mission qui lui incombe ? Ses yeux se perdent dans le vide.

— Anedora ? demande timidement le Protecteur.

— Oui, répond-elle en sortant de sa torpeur.

— J’ai une question.

— Vas-y.

— J’aimerais savoir… enfin, pourrais-tu me parler de ce que t’a montré Gabriel ?

— Sur la fin du monde ?

Adelan baisse la tête, car il est conscient qu’il ne devrait pas lui poser cette question, elle est la seule à savoir et doit rester l’unique détentrice de cet avenir, mais la curiosité est trop grande. Il est au Paradis depuis de nombreuses années maintenant et il a toujours entendu parler de cette Prophétie. Pourtant, quand l’Ange Suprême lui a fait l’honneur de le choisir pour épauler l’Élue, il a été euphorique. Même si son rôle de protecteur est sa seule préoccupation, il aime aider les autres. Il est toujours le premier à se dévouer pour une quelconque mission que lui donne Gabriel, c’est un ange loyal et obéissant. Mais la fierté éprouvée a vite fait place à la frustration. Il a tenté d’en savoir plus, mais chaque fois qu’il interrogeait Gabriel, ses réponses restaient invariablement évasives et énigmatiques. Aujourd’hui, il doit soutenir l’Élue, vaincre le Mal à ses côtés, mais sans savoir de quoi il retourne, c’est rageant. Percevant son désarroi, elle pose sa main sur la sienne pour essayer de l’aider. En quelques secondes à peine, Adelan sent l’espoir revenir dans son cœur et il s’apaise. Il lui sourit.

— Tu apprends vite.

— Merci, répond-elle en lui rendant son sourire. Allez viens. Redescendons, tu veux bien ? Nous devons aller voir Davia.

Adelan ne paraît pas surpris par la requête de l’Élue. Anedora s’approche de lui pour qu’ils puissent se téléporter ensemble. Adelan n’a pas d’ailes, mais il a la capacité de se déplacer par un autre moyen, tout aussi magique. L’Ange novice, quant à elle, n’a ni ailes ni don de téléportation pour le moment.

— Ah ! Au fait, j’ai découvert un nouveau pouvoir hier, s’exclame-t-elle en rejoignant le protecteur.

— Ah oui ? demande Adelan le visage illuminé d’un fier sourire.

— Tu ne devines pas ?

Aucun son ne sort de sa bouche, pourtant Adelan a entendu distinctement sa voix.

— La télépathie ! J’aurais dû m’en douter. Tu es vraiment très douée, on ne devient pas télépathe si vite après sa mutation, je suis épaté.

Elle lui fait un clin d’œil complice.

— Je suis l’Élue !

Adelan se rapproche de la jeune fille et pose sa main sur son bras. Il effectue un cercle au-dessus de leurs têtes et ils disparaissent. Quelques secondes plus tard, ils se retrouvent face à Davia, assise sur un grand lit en chêne massif feuilletant un grimoire ancien. Elle sursaute.

— Vous pourriez prévenir ! les réprimande-t-elle en se levant.

— Bonjour Davia. Excuse-nous de t’avoir fait peur, dit Adelan.

Anedora observe le lieu. Ses sens toujours en éveil, elle a l’impression de ressentir la magie tout autour d’elle. Davia est une jeune sorcière. L’Ange, avide de savoir, a posé des dizaines de questions à leur sujet à Adelan, ce dernier lui avait expliqué que les sorcières formaient la Communauté Magique et qu’elles avaient un poids énorme dans l’équilibre du monde. Si elles restaient un peu en retrait et que leur existence était si peu connue, c’était qu’au même titre que les anges, elles devaient protéger les humains et le Monde Magique. Anedora continue son tour d’horizon, une douce odeur d’encens aux senteurs qui lui sont inconnues flotte dans l’air, la tapisserie est blanche avec des reflets d’or, il y a un cadre représentant un paysage somptueux au clair de lune, et un petit ours en peluche est couché sur le sol, la fixant de son regard inanimé. Puis, ses yeux se posent sur la petite bibliothèque de Davia, il y a plusieurs livres encensés par toutes les adolescentes comme la saga à succès remplie de vampires qui avait inondé le monde quelques années plus tôt ou encore la collection complète des aventures du plus célèbre des sorciers, Harry Potter. Anedora sourit. Le souvenir fugace du plaisir qu’elle avait pris à lire les aventures du petit sorcier la submerge. Elle aimait la lecture, ça lui permettait de s’évader, de vivre des aventures à travers ses ouvrages préférés. Aujourd’hui, c’est elle le personnage principal d’un livre qui n’a pas encore été écrit.

— Bonjour, finit par dire Davia de mauvaise grâce.

Elle pose le livre sur sa table de chevet et ajoute :

— Que puis-je faire pour vous ?

Adelan se tourne vers Anedora.

— Bonjour Davia. Nous n’avons pas eu l’occasion de nous revoir depuis mon réveil. Comment vas-tu ?

— B… bien, répond la jeune fille surprise.

— Bon, commence alors Anedora, tu sais que je suis devenue un ange dans un but bien précis.

— Tu dois nous sauver.

Anedora acquiesce.

— C’est exact, tu me seras d’une grande aide tout comme toi, Adelan.

Davia et Adelan échangent un regard, la jeune sorcière sait que le monde court un terrible danger, Gabriel le lui a expliqué, elle est très fière de cet honneur qui lui est fait. Adelan, quant à lui, ne doit se préoccuper que de la sécurité de l’Élue, c’est ce que Gabriel lui a ordonné. Anedora les observe tour à tour. Le visage grave, elle leur dit :

— Nous devons trouver la Clé et la protéger quoiqu’il arrive.

— La Clé ? demandent-ils en chœur.

— Je n’en ai jamais entendu parler, ajoute Adelan.

— C’est une jeune humaine. Nous devons la localiser. Tout ce que m’a communiqué Gabriel à son sujet est qu’elle vit ici, à WoodFall, elle a seize ans et s’appelle Julia. Julia Klarence.

— Impossible… souffle Adelan, devenu livide.