Rayon complice
Le supermarché était plein ce jour-là. J’étais adolescent, accompagné à contrecœur pour “donner un coup de main”. Je traînais les pieds vers le rayon fruits et légumes quand elle est apparue, plantée devant les pommes.
Elle avait ce vieux blouson en jean délavé, des écouteurs coincés entre ses cheveux et son écharpe trop épaisse, et tenait une pomme à la main, l’air ultra-concentrée sur la choisir ou la reposer. J’ai vu son nez se plisser, un tout petit froncement, comme si elle se disputait avec elle-même.
Sans vraiment réfléchir, je me suis approché. Au moment pile où je l’ai dépassée, elle a laissé tomber la pomme, qui a roulé jusqu’à mes pieds. Elle a sursauté, gênée, a murmuré un “pardon” si bas qu’on l’aurait cru volé. J’ai ramassé la pomme, nos doigts se sont frôlés. Là, tout s’est arrêté.
On a ri, chacun avec sa gêne, le temps d’un tout petit instant complice. Elle a attrapé la pomme et s’est vite éclipsée. Rien de fou, rien d’évident, mais cette chaleur subite, cette maladresse partagée, m’a laissé le cœur léger toute la journée.
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