Quand la vague mange tout
Je m’enroulais autour de cet arbre stérile comme une bête traquée, écorchée vive, liane de chair et de sang, cramponnée à la dernière illusion de stabilité dans un monde qui s’effondrait. Il n’avait plus de feuilles, plus de force, simplement courbé par les tempêtes comme un vieillard par les ans. Avez-vous déjà vu un arbre saigner ? Moi, oui.
Mon corps – comme le tien – n’est que peau, os, nerfs et sang.
Mais l’arbre… cet arbre-là, suintait le même rouge que moi. Sa sève n’était plus qu’hémorragie. Il saignait à travers moi. Il saignait avec moi.
Mes ongles, devenus griffes, s’enfonçaient dans son écorce noire, lacéraient la chair du bois jusqu’à se retourner, jusqu’à presque s’arracher. Et le vent… le vent hurlait. Un vent si violent qu’il semblait vouloir arracher le ciel lui-même.
Les larmes de Dieu tombaient avec fracas, impitoyables, cinglant ma peau nue d’une pluie d’apocalypse. Ce n’était plus de l’eau, c’était une sentence. Mes propres larmes s’y mêlaient, fondues dans le déluge, devenues armes invisibles qui me brisaient de l’intérieur.
La peur… la peur avait tout submergé. Plus de pensée, plus d’espoir, rien que cette panique sourde, animale, qui me poussait à m’agripper à ce totem de mort comme si ma vie en dépendait.
Du haut de la colline, j’entendais les hurlements. Les derniers cris des corps déchiquetés dans la plaine. Une symphonie de fin du monde.
Le vent soulevait ma robe maculée de sang, la jetait vers le ciel comme une provocation. Impudique, seul survivre m’importait.
Mais au fond de moi, je savais. Je savais que ce raz-de-marée ne pardonnerait pas.
Il ne faisait pas que tout emporter : il déchirait, broyait, effaçait.
Et malgré tout, quand je vis surgir cette vague faite de sang, de larmes et de boue, haute comme un cauchemar, j’ai resserré ma prise. Plus fort. Encore. L’arbre lui-même gémit. Il craqua sous mes bras.
Il avait peur, lui aussi.
Le choc fut brutal. Total.
Le monde bascula. Le cri se coupa.
Et moi, toujours accrochée, engloutie, je me répétais dans la panique étouffante : respire, respire, tiens bon….
Souvent les gens qui racontent une noyade disent que l'eau est silencieuse. Pas ici. L’eau… cette eau n’était pas un silence.
Elle hurlait. Elle m’emplissait les oreilles de ses cris profonds, de ses râles de fin.
Elle était noire. Elle était épaisse. Elle était glaciale.
Elle serait ma tombe.
Mon corps, meurtri, n’était plus qu’une masse brûlante et lourde. Mes forces me quittaient. Mes poumons suppliaient.
Et c’est à l’instant précis où l’eau a forcé la porte de ma gorge, où elle s’est infiltrée dans mes entrailles pour y noyer la vie, que j’ai compris.
Que c’était aujourd’hui.
Le jour de ma mort.
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