5.

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C’était décidemment un jour avec pour Rick. Léger comme une plume après sa rencontre matinale du Royal diner, il se sentait littéralement planer depuis que le boss lui avait proposé de conduire l’équipe à Corner Peek.

Il s’était d’abord demandé s’il ne fallait pas négocier quelque chose pour ça ; une prime ou un jour de repos ; mais l’idée s’était vite échappée. Il devait prouver. Après viendrait le temps de réclamer.

Ils roulaient depuis une heure et les deux types qu’il escortait n’avaient pas beaucoup causé depuis leur départ. Assis à la place du mort, Kennedy pionçait depuis un bon moment. Quant à l’autre espèce de chinetoque installé à l’arrière, c’était aussi bien qu’il se taise. Rick ne supportait pas sa voix pincée de collégien en mue. Surtout, il ne supportait pas son côté Viet.

— T’es sûr que c’est le chemin ? demanda soudain Nakata. On n’est pas passé par là la dernière fois.

Rick empruntait la route de Red Lodge tous les samedis autrefois, lorsqu’il livrait du petit bois aux particuliers. Il avait encore en mémoire le panneau, à la sortie de la ville, qui indiquait l’itinéraire jusqu’au site de Corner Peek.

— T’inquiètes pas. T’échapperas pas au boulot aujourd’hui. Je vais t’y conduire.

Nakata chercha le regard de Paterson dans le rétroviseur. Mais celui-ci demeurait concentré sur la route, front balayé de temps en temps par une mèche de cheveux.

— C’est pas pour ça que je…

— Boucle-là. J’ai pas de conseil à recevoir d’un… enfin d’un type comme toi. Je les connais les feignasses dans ton genre. Toujours la bonne excuse pour pas bosser. Je sais très bien que t’espères que je me plante de route. Comme ça tu pourras dire à McPherson que je suis un pauvre con d’incompétent et t’auras gagné ta journée à te branler les couilles dans la bagnole.

— Mais non, je…

— Vous pouvez pas fermer vos gueules, soupira Kennedy. J’aimerais bien me reposer un peu avant la semaine qui m’attend.

— C’est rien, fit le chauffeur. Tu peux te rendormir.

Bien que l’envie ne manque pas, Nakata choisit de ne pas répondre. Du haut de ses 19 ans d’inexpérience, ce n’était pas le genre à faire dans l’explication musclée avec un bonhomme de deux fois sa morphologie. Le moment viendrait, le karma remettrait les pendules à l’heure. C’était une philosophie plus rentable selon lui.

Désormais réveillé, Hank Kennedy ronchonna tout en se redressant. S’il y avait bien une chose qu’il détestait, c’était bien de se faire réveiller par deux cons qui s’engueulent.

Il jeta un œil par la fenêtre. Ils étaient sur une nationale coupant des pâturages à bovin à perte de vue. En face trônaient les Rocheuses.

— On est où ?

— On va arriver à Roberts.

— Roberts ! Attends, t’as pas pris l’autoroute ?

— L’autoroute…

— D’habitude Daryl prend l’autoroute jusqu’à Columbus, pis on coupe par Roscoe. Putain mais qu’est-ce que c’est que ce chemin de merde !

— ça va aussi bien par ici. J’ai été des dizaines de fois dans ce secteur et…

— Tu piges que dalle. Y’a un putain de protocole et tu fais de la merde. McPherson contrôle les compteurs des fourgons et tu vas nous foutre dans le pétrin avec tes détours à la…

Rick enfonça le frein. Nakata s’écrasa contre la banquette avant, l’autre passager sur le tableau de bord. Une Continental marron s’approcha dangereusement du pare-choc arrière mais parvint à s’arrêter à temps. Après une ruée de klaxons, elle le doubla. Le chauffeur, un moustachu costumé à l’allure Wall Street, proposa son majeur par la fenêtre.

— Mais t’es débile ou quoi ! beugla Hank.

Rick se rangea sur le côté, sortit et ouvrit la portière côté passager. Il choppa Kennedy par le haut de sa chemise poisseuse.

— Écoute moi bien. Ton Daryl à la con n’est pas là, et ici c’est moi le pilote, c’est moi qui conduit. Si t’es pas heureux, tu descends et tu te trouves un autre moyen pour aller au turbin. T’as pigé ? ajouta-t-il en resserrant son col.

— Pigé, expira Kennedy, à la recherche d’air.

Aussi calmement que descendu, Rick reprit place dans le cockpit, enclencha la vitesse et reprit la route. Sa route. Sa mission.

Même s’il était d’humeur joyeuse, il n’aimait pas qu’on lui dise ce qu’il avait à faire. Un peu comme Paul McPherson.

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