23.

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Bien avant de courir jusqu'au magasin de Francis Julius, Denise était restée inerte et amorphe une courte minute. Courte minute surprenante dans sa situation, mais minute qui avait suffi à la convaincre qu'un cadavre caché serait toujours mieux qu'un cadavre planté au beau milieu d'un salon.

Elle avait donc balancé Patty comme un vulgaire polochon dans les escaliers de la cave – cette dernière terminant sa course dans une position qui avait failli la faire vomir tant elle lui avait rappelé celle d'Archie. Puis elle avait nettoyé tout le sang pendant qu'il était frais. La facilité avec lequel les murs, portes et sols furent lavés la déconcerta au point de se demander comment ces abrutis de la télé faisaient pour frotter pendant des heures et réussir à laisser des traces. Elle avait ensuite refermé la porte de la cave comme on couvre de terre fraîche une déchèterie saturée d'ordures, histoire de cacher la merde. Mais quoi que l'on fasse, la merde est toujours là, risquant d'imprégner les sols et toutes ses ramifications vers un vaste bordel.

Une chose était sûre, elle s'était activée à la tâche comme jamais pour rendre la maison propre. Quitte à se retrouver couverte de sueur. Il faut dire que la crainte d'entendre le fourgon se garer ne l'avait pas quitté une seule seconde. Mon dieu, comment va-t-il réagir s'il me voit dans une telle posture ? Mais le cas de figure ne se s’était pas présenté. Elle avait alors souri en s'imaginant la réaction de Rick à son retour. Pouffé en songeant à son air de débile quand il se hasarderait dans la maison – presque – vide. Explosé de rire en se disant que cela surviendrait bien une heure après avoir enfin remarqué que personne ne lui avait préparé à bouffer. Mais elle avait surtout espéré qu'il n'inspecte pas la cave, même depuis le haut. Ce serait bien le dernier endroit au monde où elle chercherait Rick s'il avait disparu. Aucune raison qu'il ne fasse pas de même. Enfin… on ne savait jamais.

Puis elle avait repensé à son billet de loterie, à cette somme considérable qui dormait dans l'usine à diabète. La dernière chose dont elle aurait besoin, ce serait d'agents du gouvernement venant lui remettre son chèque à la maison. Pouvait-on remonter à elle depuis Helena ? Était-ce possible qu'on l'ait reconnu ? Elle portait un chapeau et des lunettes de soleil et n'avait pas donné son identité, ça c'était sûr. Et lorsqu'elle avait quitté le centre de paiement, personne n'était parti à ses trousses en hurlant : revenez madame, vous avez oublié vos cent-cinq millions de dollars. Et les caméras ? Oh, la qualité de ces appareils ne permettait jamais d'identifier qui que ce soit. Si ? Mais qui pouvait bien répondre à cette question ? C'est alors qu'elle avait repensé à la seule et unique personne qui était au courant de sa fortune. Une personne préférable de garder dans sa poche. Et il se trouvait que cette personne était un ami. Oh oui ! Francis Julius était un très vieil ami. Il valait mieux qu'il le soit. Le billet avait été validé dans son magasin, et Denise avait soudain réalisé qu'on viendrait vite interroger le vendeur.

Elle avait jeté un dernier coup d'oeil au salon et à la cuisine avant de quitter la maison, bien consciente qu'elle venait de maquiller une scène de crime et surtout de dissimuler un corps en moins de dix minutes. Un corps qu'elle avait elle-même fait passer de la lumière à l'ombre. Comment une simple journée dans une simple vie pouvait apporter un tel lot d'éléments contraires ? Elle voulut un temps disparaître dans un caniveau, s'allonger par terre et attendre de voir ce qu'on ferait d’elle. Puis eut envie de courir chez le shérif Hoover plutôt que Francis. Mais chaque fois que cette sotte d’idée émergeait, un écho résonnait en retour dans sa tête.

LO-TO. LO-TO. LO-TO.

Désormais, presqu'une heure après le meurtre, Francis se tenait sur le seuil de la cave, observant le cadavre de la jeune fille gisant à cheval entre les marches et le vieux parquet brut.

— Je voulais lui donner une correction. J'étais hors de moi et je voulais seulement qu'elle se taise. Mais...

— Ça va aller. Tu n'as pas besoin de te justifier après tout ce que tu m'as raconté. Elle t'aurait peut-être tué la première si... Bref.

Il posa un pied sur la première marche.

— Attends, lança-t-elle.

— Quoi ?

Denise paraissait beaucoup moins à l'aise qu'à la fin de leur conversation au magasin. Tuer quelqu'un était un traumatisme auquel elle n'avait jamais été confronté, et sa manière de le gérer avait été jusqu’ici surprenante.

— Je ne sais absolument pas où est Rick. Et si jamais il rentre dans les cinq prochaines minutes, nous serons cuits toi et moi. Alors dis-moi que tu es toujours prêt à prendre ce risque ?

— Que faire sinon ? Tu voudrais tout arrêter ?

Elle ne répondit rien, se contentant de l'observer de ses grands yeux tremblants.

— Tu voudrais tout lui laisser, c'est ça ?

— C'est juste que tu vas te retrouver impliqué dans... enfin tu vois quoi. Et puis on ne sait rien d’elle. Qui sait si elle n’a pas dit à quelqu’un qu’elle venait voir Rick ?

Francis n'eut pas de mal à sentir la perche qu'elle lui tendait. Ou plutôt la dernière chance de sortie qu'elle offrait. Elle doutait. Elle était morte de trouille et voulait savoir si elle pouvait partager ça avec lui ou tout abandonner. Mais elle l'avait convaincu. Et c'était lui désormais qui ressentait le plus de courage et de motivation. C'était un phénomène courant quand on se retrouvait dans de beaux draps et qu'on demandait de l'aide. Après une rude bataille d'arguments, on se mettait à douter et c’était finalement le complice qui entrainait l’autre vers le point de non retour.

— Ne t'en fais pas, dit-il de sa voix la plus rassurante, tout en s'approchant d'elle. Je suis avec toi.

Et cette dernière phrase, il la prononça alors que leur nez se touchaient presque. Mais il n'avança pas davantage, se recentrant sur sa mission.

Il descendit les escaliers et se pétrifia face au corps. Ses yeux étaient ouverts et ressemblaient plus à des billes de biche morte qu’à quelque chose d’humain. Elle paraissait le regarder lui et toute la pièce à la fois.

De la dinguerie. De la pure et simple dinguerie. Voilà tout ce qu'il lisait chez elle à présent. Il avait cru un jour que sommeillait quelque chose de merveilleux en Patty Bells. Quelque chose de suffisamment grand pour la faire briller ailleurs qu'à Ludvig en tout cas. Alors qu'il observait son oeil vide et sombre injecté de sang, Francis se rendait compte qu'il n'avait pas su mettre le bon mot sur son talent caché. Dingue ! Cette fille était en réalité complètement dingue.

Puis il se demanda si ce qu'ils s'apprêtaient à faire ne l'était pas tout autant.

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