31.

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Clac.

Denise et Francis s’observèrent. Ce dernier serrait son arme de fortune au point d’en glaner une ampoule à chaque doigt.

— Il est parti ?

— Il est parti, répondit-il.
Denise grossit ses yeux au moment d’entendre le moteur démarrer dans la rue. Se redressa quand les pneus se mirent à crisser.

Elle dévala les escaliers à toute vitesse et alluma la lumière pour constater que Rick avait bel et bien déguerpi.

— Oh non, gloussa-t-elle dans un début de sanglot. Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?

Francis s’assit sur le bord du canapé. Il donnait l’impression de garder son calme, mais le tumulte qui l’agitait aurait pu le pousser à hurler tout nu dans la rue, couvert de ketchup et de plumes de pigeon, pour expulser sa tension.

— On va devoir faire quelques modifications.

— Lesquelles ? On va encore plus s’enfoncer dans la merde ! haussa-t-elle.

— Chut, laisse-moi réfléchir. Je… attends…

Denise s’installa dans le fauteuil de Rick et se plaqua les mains sur le visage.

— Il me faut quelque chose à boire, annonça-t-elle en se relevant.

Elle ouvrit le meuble à alcool et se servit une généreuse dose de vodka, qu’elle avala en moins de cinq gorgées.

— T’en veux ?

— Je préfère garder les idées claires, répondit-il sans la quitter du regard.

Elle remplit son verre et retourna dans le fauteuil.

— Très bien, alors j’écoute ta réflexion.

Il replongea dans ses pensées, tel un grand savant à deux doigts d’obtenir le prix Nobel. La vérité était qu’il paraissait ridicule.

Denise le regarda attentivement. Il portait quelque chose comme des miettes ou des confettis dans sa barbe mal taillée ; il s’était peut-être frotté de trop près aux planches et divers bouts de bois qui trainaient dans la cave. Mais c’était surtout ses cheveux qui l’écoeuraient. Plus le stress et la tension avaient augmenté, et plus ils s’étaient comme engraissés. Ils se trouvaient à présent au point de suer des gouttes de gras bonne pour cuire un steak.

À force de l’observer, elle se rappela pourquoi il le dégoutait tant au lycée. Le côté imberbe de sa personne n’était qu’une façade à l’époque, l’enveloppe de ce qu’elle lui reprochait. Car Francis était une chiffe molle. Mais une gentille chiffe molle. Il y a plus de dix ans de cela, il avait déjà cette manière de dissimuler sa trouille. De se feindre grand orateur, maître du self-control et du verbe juste. En réalité, il tremblait comme un gosse. Là-dessus, pas de quoi lui en vouloir. Il existait des millions de gens qui fonctionnaient ainsi. Et parmi eux, des personnes qui réussissaient même à accomplir des choses. Mais Francis, qui était-il ? Un tenancier de boutique merdique d’une ville merdique d’un État merdique. Un merdeux qui se sentait supérieur aux ploucs du coin parce qu’il avait sûrement quelques points de Q.I. de plus à la moyenne locale. Sorti de là, que savait-il faire ?

Un vaste froid s’insinua en elle. Quelque chose d’assez puissant pour remonter à son cerveau et lui poser cette question : « Mais pourquoi t’es-tu tournée vers lui ? Comment as-tu pu marcher dans son plan à la con ? Comment as-tu pu y croire une seule seconde ? ».

Elle se souvint du discours de Francis, alors qu’il constatait encore la mort de Patty au pied de l’escalier de la cave :

… écoute, la fille sonne à ta porte. Tu ouvres et découvres que c’est la maitresse de ton mari et qu’elle veut discuter de l’avenir. Bon… jusque-là, tout est vrai. Puis Rick rentre à l’improviste et tombe nez-à-nez avec vous. S’en suit une dispute durant laquelle Patty termine avec un éplucheur planté dans la gorge. Pris de panique, il exige que tu nettoies le sang et que tu la jettes dans la cave en attendant de trouver une solution. Ce que tu fais. C’est après que j’interviens. Disons que tu m’avais contacté un peu plus tôt concernant ton billet de loterie. Tu as bien été à Helena mais le type du centre de paiement t’a fait peur, ou intimidé. Peu importe, tu trouveras bien quoi dire plus tard là-dessus. Du coup tu voudrais que je t’accompagne, et c’est pour ça que je viens. Je sonne mais personne ne répond. Je t’entends crier depuis l’intérieur. J’entre et découvre la chaise cassée. Je prends un pied, monte à l’étage et surprend Rick en train de te cogner. Je frappe de toutes mes forces derrière sa tête pour l’arrêter, mais le coup est fatal. Et si il ne l’est pas, qu’il est seulement assommé ou qu’il se défend, je frappe encore jusqu’à te savoir en sécurité. Qu’est-ce que t’en dis ?

OK. Denise avait simplement répondu OK. Mais c’était perdu d’avance. Il ne suffisait que d’un témoin pour certifier que Rick n’était pas là à l’heure du crime pour tout mettre en l’air. Ce scénario avait été créé à la volée et sans le moindre recul. Parfait pour terminer en cellule. La meilleure des choses aurait été de dire la vérité dès le début. Le crime passionnel était toujours vu d’un autre oeil dans les affaires criminelles. Bien sûr, il aurait fallu s’assoir sur les cent-cinq millions, mais elle n’aurait pas fini en prison jusqu’à la fin de sa vie.

— Déjà, on va sortir Patty de la cave, lança-t-il. Si elle a dit à quelqu’un qu’elle venait ici et qu’elle n’est pas rentrée depuis, un avis de disparition va être lancé et une enquête sera ouverte. On viendra sonner à ta porte et vaudra mieux pas que t’aies un cadavre sous ton toit.

— Et tu veux faire quoi ?

— On doit la faire disparaître.

— Co… Comment ?

Il prit une grande inspiration.

— Vous avez bien une pelle dans le garage ?

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