3.

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Rick était entré sa chambre d’hôtel vers 2 heures du matin. Il avait voulu chiffrer sa fortune au dollar près mais s’était affalé sur le lit, épuisé.

Durant son sommeil, il avait rêvé que madame McPherson découvrait son implication dans la disparition de son mari et qu’elle engageait un détective japonais pour le retrouver. Quand le type mettait la main sur Rick, il avait la tête de Denise, mais avec des cheveux courts. « Je te cherche depuis pas mal de temps, qu’il répétait d’une voix caverneuse. Madame McPherson aussi. On va aller la voir maintenant. Pas vrai, Ricky ? »

Et puis madame McPherson était apparue par magie, comme seuls les rêves savent le jouer. Elle était à califourchon sur lui, sa forte poitrine collée contre la sienne. « Je vais te baiser, qu’elle lui murmurait à l’oreille. Je vais te baiser mais je ne te dirai pas comment. » S’en suivait un rire salace et sadique à la fois.

Puis il avait ouvert les yeux, déstabilisé par la pièce inconnue dans laquelle il se trouvait. La réalité commençait à peine à lui revenir. J’ai dormi combien de temps ? se demanda-t-il.

Rick avait laissé sa montre dans le fourgon, mais en observant à travers les rideaux, il jugea qu’il devait être largement 5 heures.

Il se leva pour aller pisser.

Un peu vaseux, il décréta qu’une bonne douche le requinquerait. Il n’avait pas pensé à prendre d’affaires de rechange en partant de Ludvig mais, heureusement, il gardait toujours un vieux sac en kraft avec le strict minimum sous son siège de voiture. Ça lui servait souvent quand il picolait un peu trop et qu’il se dégueulait dessus. Mais la vraie raison, c’était surtout quand il s’endormait dans un coin et se réveillait le froc trempé de pisse.

Il observa un temps son reflet dans le miroir. Et ce qu’il renvoyait n’inspirait guère confiance. Mal rasé, les cheveux poisseux, des cernes sous les yeux, il ressemblait au parfait marginal en manque et prêt à dévaliser le premier venu pour dix dollars.

Il ouvrit un tiroir sous le lavabo et découvrit un kit de premiers soins comprenant une paire de ciseaux. Sans plus réfléchir, il entama sa chevelure par les tempes, en essayant de ne pas tailler trop court. En quelques minutes, il avait rempli l’évier. Le résultat n’était pas trop mal, même s’il n’avait aucune idée de ce que ça donnait derrière sa tête.

Il prit une douche rapide. Quand il la quitta, il entendit que son voisin d’à côté en faisait autant. Ça lui rappela que son sac de sport était resté sagement posé sur le lit durant sa toilette. Même si la porte de la chambre était fermée à clé, le premier cambrioleur du coin aurait pu entrer et se servir à volonté.

— Je dois être plus vigilant, dit-il tout haut.

Son nécessaire de lendemain de cuite contenait une chemise, un slip et un jean. En revanche, il devrait renfiler les chaussettes de la veille, ce qui n’était pas un problème puisqu’il utilisait généralement une paire deux à trois jours consécutifs. Quatre lorsque c’était l’hiver et qu’il décrétait qu’il ne transpirait pas des pieds.

Il s’habilla et se vautra sur la partie du lit où il n’avait pas dormi. Les mains sous la tête, il réfléchit longuement à son avenir. À Denise aussi. Il y avait quelque chose qui le perturbait la concernant. Ou plutôt, et c’était bien là le plus bizarre, une inquiétude. Peut-être aurait-il dû laisser un mot avant de partir… plutôt que de filer à l’anglaise en lui fauchant des sucreries. Il n’avait même pas laissé d’argent comme prévu. Mais ça, c’était toujours possible de le faire par la poste.

Il regrettait de ne pas avoir vérifié qu’elle dormait bien dans son lit. Sa voiture était là, de mémoire, son sac à main également, mais rien ne prouvait que Denise le soit aussi. Et puis, il y avait toujours cette question ouverte au sujet de son absence de l’après-midi.

Rick se demanda s’il n’aurait pas dû éclaircir ça avant de décamper. Après tout, si elle était en train de se faire fourrer par un autre, il aurait peut-être éprouvé moins de scrupules à l’abandonner… Il y réfléchit quelques secondes et conclut que non. Ce n’était pas le genre de Denise. Refouler ses remords concernant Patty devenait difficile. Les torts étaient majoritairement pour sa pomme. D’un point de vue conjugal, et jusqu’à preuve du contraire, c’était bien lui qui avait fauté. C’était indéniable.

Patty avait été un super coup, certes, mais elle ne représentait rien pour lui. Il n’aurait jamais demandé le divorce pour cette conne qui… que se demandait-elle déjà ? Ah oui : « pourquoi dit-on d’un truc chaud qu’il est frais ? ». Non, ce n’était pas envisageable. C’était une erreur. Une erreur agréable durant quelques secondes, mais une erreur tout de même.

Patty ressemblait pourtant à ce genre de fille que n’importe quel pote aurait aimé balader au bout d’une laisse en éructant « Regardez, les copains. Regardez : c’est ma nénette ». Rick était un type trop discret pour agir ainsi. Et étrangement, un type trop droit. Il était la victime d’un paradoxe dans cette histoire, car il ne supportait pas l’adultère. Désormais, il comprenait peut-être ces mecs qui trompaient leur femme sur des pulsions, mais il peinait toujours à donner raison à ceux qui récidivaient. Et surtout, il s’en voulait.

Rick admira ses liasses de pognon pour penser à autre chose, mais renonça à les compter, se contentant de son estimation qu’il espérait proche de la réalité. À la place, il alluma la télé. Et comme aucune chaine ne captait, il décida d’aller boire un café, ou autre chose qui le stimulerait.

Quand il entra dans le hall de réception, il remarqua une femme assise à sa droite. Celle-ci le perturba immédiatement par sa morphologie. De dos, elle lui rappelait Denise le jour où il l’avait rencontrée. Ses cheveux étaient un peu plus clairs, mais la forme de son crâne, ses épaules et ses hanches étaient en tous points similaires.

Évidemment, il était impossible que ce soit elle. À moins qu’elle n’ait passé la veille dans une clinique, à se faire extraire les quinze kilos d’huile qui l’enrobaient, cette femme n’était pas Denise. Cependant, quand elle croqua dans un cookie et se présenta de profil, Rick faillit échapper son sac en la voyant sa moue déconfite. Elle avait les mêmes sourcils, le même front plat et étroit, le même menton que Denise à ses vingt ans. Surtout, elle possédait cette même expression de sévérité quand elle grimaçait.

Discrètement, il extrait le paquet de milky way de son sac, s’approcha et le posa sur le bar.

— Vous en voulez-un ? proposa-t-il, la voix un peu troublée.

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