3. Je savais que le courant passerait avec toi (2/2)

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   Elle refusait de se tourner vers ses parents. Et même de s'en remettre à Google : il fallait qu'elle y arrive, seule.

   Abattue, parfaitement consciente que sa bourse d'études ne suffirait pas à couvrir son loyer et ses dépenses – en particulier si elle s'obstinait à fumer comme un pompier et à se nourrir ailleurs que chez elle –, Thaïs poussa un soupir et s'accouda au bloc-notes. De l'autre côté de l'esplanade, elle remarqua la rouquine et la brune de sa promo – elle n'avait même pas retenu leurs prénoms – assises sur un banc. La première monopolisait la conversation, apparemment. Mon copain... blabla... mon copain... blablabla, blabla... mon copain, imagina Thaïs pour s'expliquer l'air résigné de la fille au nez de hérisson qui, pendant ce temps, réalisait un scan complet de chacune des personnes passant devant elles.

   — Bonjour, Thaïs.

   La salutation était venue de sa gauche. L'étudiante y découvrit un Sourou presque immobile, légèrement penché vers elle et paré d'un sourire rayonnant. Il avait troqué son manteau de peau lainée contre un pull rose pâle et tenait une pochette cartonnée en haut de laquelle s'agrippait un stylo. Il progressait.

   — Tu vas bien ? demanda-t-il en se redressant pour extirper un paquet de clopes écrasé d'une poche de son jean.

   — Ça va, et toi ?

   — La forme.

   — Je ne t'ai pas vu ce matin, remarqua-t-elle, plus pour elle-même que pour lui.

   — Non, j'ai déplacé les cours sur un autre jour. Tu fais quoi, là ? s'enquit-il en s'inclinant sur le bloc-notes. On a déjà des trucs à rendre ?

   — Oh, non, c'est juste une lettre de motiv que je n'arrive pas à écrire.

   — Je peux t'aider, affirma-t-il en s'asseyant à ses côtés, je suis passé maître. Tu vises quoi comme boulot, vendeuse ?

   — Caissière.

   — Hôtesse de caisse, Mademoiselle, on ne veut offenser personne. Allez, fais voir ce que t'as mis.

   — Rien. Je ne suis pas assez bonne menteuse pour donner l'impression que j'ai vraiment envie de faire ce boulot.

   — Dis la vérité, trancha-t-il avec un haussement d'épaules. T'es étudiante, dispo tel et tel jours, tu cherches un poste qui assurera ton indépendance financière pendant la poursuite de ton cursus, bien cordialement, bisou bisou.

   Thaïs afficha un sourire sceptique.

   — Et ça marchera ?

   — Personne croira que t'as vraiment envie de faire ce boulot, reprit-il en lui renvoyant son sourire. La ponctualité, le sens du contact, ces conneries-là tu les gardes pour l'entretien. Et tu me fileras ton adresse pour que je t'envoie ma note d'honoraires après ton embauche.

   — Tu prends les crédits sur vingt ans ?

   — T'auras qu'à me payer un café.

   — Vendu.

   Ragaillardie, Thaïs rangea ses affaires avant de réaliser qu'elle manquait à la politesse la plus élémentaire. Elle s'apprêtait à réparer son oubli lorsque Sourou reprit la parole, mais pour s'adresser à quelqu'un d'autre.

   — Salut, les filles.

   Devant eux se tenaient, l'une toute droite et l'autre débordante d'une sympathie mal simulée, la brune que Thaïs surnommerait dorénavant Terminator, et la rousse. Sobriquet en cours de réflexion.

   — Vous savez dans quelle salle on va ? interrogea cette dernière tandis que l'autre soumettait Sourou et Thaïs à un examen visuel invasif.

   — Non, s'esclaffa-t-il, je suis touriste ici.

   — On a remarqué, badina la rouquine en entortillant une mèche de cheveux filasse autour de son index. T'as manqué la moitié des cours d'hier et on ne t'a pas non plus vu ce matin.

   — J'apporterai un mot d'excuse, la prochaine fois.

   Les deux pieds dedans ! songea Thaïs avec amusement. Si le ton sur lequel il venait de s'exprimer n'indiquait pas qu'il fût fâché, Sourou ne souriait plus, à présent. À l'évidence, l'idée que ces deux-là, ou peut-être quelqu'un en règle générale, surveille de trop près ses faits et gestes ne lui plaisait pas. Ou alors, il flairait l'embrouille. L'approche de Terminator et sa copine manquait de subtilité. Pour Thaïs qu'elles avaient questionnée la veille à son sujet, leur objectif était clair : elles faisaient mine de sympathiser pour lui soutirer des infos. Peut-être plus, peut-être rien d'autre. Peut-être, juste, pour se donner de l'importance en prétendant fréquenter des gens plus âgés. Ou peut-être qu'elle les jugeait trop vite, et qu'elles essayaient simplement de casser la glace avec les étudiants de leur promo. Au fond, était-ce important ? Non.

   Le silence prenait ses aises, entre-temps. Tout le monde se regardait en chien de faïence, les uns en attendant que les intruses s'en aillent, les autres cherchant sans doute une façon de sauver les apparences avant de tirer leur révérence. Deux rejets en deux jours, ça commençait à faire pas mal déjà. Pour finir, la brune prétexta se souvenir du numéro de la salle et entraîna sa copine vers le bâtiment principal, sans fioritures. Sourou les suivit du regard sur quelques mètres avant de commenter :

   — Il faut vraiment qu'elles s'ennuient pour s'occuper de mes allées et venues.

   — Elles viennent à la pêche aux infos, expliqua Thaïs, mais elles s'y prennent comme des manches. Hier, elles m'ont demandé si on se connaissait pour essayer de savoir ton âge.

   — Ouais, j'imaginais bien que ça en intriguerait quelques-uns. Bon, on en fume une dernière avant d'y aller ?

   — OK.

   — Si elles reviennent à la charge et tu veux qu'elles te foutent la paix, tu pourras leur dire que j'ai vingt-neuf ans, marmonna-t-il la clope au bec, en abritant la flamme du briquet au creux de sa paume.

   — Moi ? J'ai rien à dire à personne, surtout pas à ces deux-là !

   Sourou tira une taffe, inhala puis recracha la fumée en souriant. Il observa Thaïs d'un air pensif, redirigea son regard vers le sol et ajouta, à mi-voix :

   — Je savais que le courant passerait avec toi.

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