11. Deal (2/2)

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   Plutôt que de rentrer, elle fila ensuite vers la bibliothèque afin de s’atteler plus calmement à son patchwork horaire tant que ses réserves d’énergie suivaient. À sa grande surprise, elle y trouva Sourou. Coude sur la table, menton calé dans une paume, celui-ci parcourait la quatrième de couverture d’un vieux volume près de la section « Littérature anglaise ». Son niveau d’enthousiasme semblait proche de zéro. Il écartait l’ouvrage et s’apprêtait à en piocher un autre dans une petite pile placée sur le côté lorsque Thaïs tira une chaise en face de lui.

   — Je te croyais parti, murmura-t-elle.

   — Non, j’avais rendez-vous avec le responsable de la formation continue. Et toi ? Je te croyais rentrée aussi.

   — Bureau du planning, grogna l’étudiante avec une grimace qui le fit sourire. J’ai bien failli commettre un assassinat.

   — Ouais, c’est l’effet Brigitte.

   — Elle s’appelle comme ça ?

   — Je sais pas, je trouve juste que ça lui va. Raconte.

   Thaïs ne se fit pas prier. Sourou s’amusa beaucoup de ses tournures. Il commenta peu, mais l’écouta vider son sac avec un sourire franc et tint son regard fermement amarré à ses prunelles. Son visage changeait quand il riait. Libéré de ses traits soucieux, il devenait doux et lumineux. Pour la première fois – Saïgons mis à part –, Thaïs le trouva charmant. Elle eut envie de figer son image et de rester là sans bouger, juste à l’observer. Troublée, elle finit par baisser les yeux. Un ange passa. Sourou s’éclaircit la voix.

   — Bon, je vais t’épargner la moitié du boulot, déclara-t-il sur un ton plus sérieux. J’ai dû faire sauter tous les cours du mercredi, donc je peux déjà t’informer que ton lundi est pris désormais. C’est la seule option possible. T’es coincée ici jusqu’à dix-neuf heures.

   — Tu déconnes ?

   — Désolé. Non, pas désolé du tout, en fait. Je me sentirai moins seul. La seule autre personne que je connaisse dans ces cours, c’est la brune qu’a l’air d’un robot. Tu vois de qui je parle ?

   — Ouais, Terminator. J’ai pas retenu son nom.

   — Non, Terminator ça va, je valide ! s’esclaffa le jeune homme.

   Cette parenthèse refermée, chacun retourna à ses occupations initiales. L’étudiante copia son nouveau planning du lundi et casa les cours du jeudi sur le restant de la semaine tandis que son camarade reprenait l’examen de sa pile de livres.

   — Tu fais quoi avec tous ces bouquins ? lui demanda-t-elle.

   — Je cherche l’heureux élu pour la présentation.

   — Quelle présentation ?

   — En anglais.

   Thaïs fronça les sourcils. Sourou arqua les siens.

   — La prof n’a parlé que de ça, ce matin. T’as rien suivi ?

   L’estomac de l’étudiante s’entortilla sur lui-même. L’heure d’anglais. Ce matin. Elle avait passé le cours à noircir des carreaux sur sa feuille en se demandant si Sourou se montrait distant à cause d’elle, évidemment qu’elle n’avait rien suivi !

   — Elle veut qu’on analyse une œuvre à l’oral, expliqua le jeune homme.

   Thaïs blêmit. Les prises de parole en classe lui donnaient des sueurs froides, elle en avait même bégayé pendant les épreuves du Bac !

   — On est tous obligés d’y passer ?

   Sourou hocha la tête en signe de confirmation.

   — Elle fera circuler une feuille avec les dates de passage à choisir, la prochaine fois. J’imagine qu’on va tous se jeter sur la dernière.

   — On ne peut pas lui rendre une dissertation à la place ? Je suis une quiche à l’oral !

   — Nope. Mais t’inquiète pas, ça va aller.

   — Parle pour toi ! gémit la jeune femme dont le cœur martelait la poitrine avec frénésie. Tu maîtrises l’anglais, t’as vécu aux États-Unis !

   — Relax, Thaïs, répondit Sourou en lui effleurant la main. Personne n’a sauté de joie quand elle l’a annoncé, on va tous se retrouver dans la même galère à la fin. Pour toi, c’est l’anglais qui pêche, pour moi c’est l’analyse, pour Edwige ce sera autre chose encore.

   Sa camarade de promo n’entendait pas. Les mots glissaient sur elle sans l’atteindre, comme repoussés par la peur. Les oraux… Les oraux la rendaient malade, putain, elle avait tant espéré en avoir fini avec ça !

   — Ça te rassurerait de le faire en binôme ? s’enquit Sourou en se tassant sur lui-même pour capter son regard.

   Thaïs consentit à lever les cils et rencontra ses grand yeux noirs. Une telle bienveillance s’en dégageait qu’elle s’y blottit sans la moindre réserve. Comme lui le matin même, elle s’accrocha à son image et souffla. Respira. Sourou ne lâchait pas. Tout irait bien, assurait-il en silence, il serait là. Son pouls ralentit peu à peu.

   — Voilà ce qu’on va faire, assura-t-il posément, tu vas choisir un bouquin qui t’inspire et on va bosser l’oral ensemble. Si on peut, on passe en binôme, sinon, je me jetterai à l’eau le premier. Tu verras, j’ai un accent si dégueulasse que t’en oublieras de penser aux autres, t’auras plus peur de rien après moi.

   Thaïs éclata de rire. Elle doutait que ce fût possible.

   — OK. On pourra travailler chez moi, si tu veux.

   — Pas question, déclina Sourou en agitant l’index, tu vas me tuer avec ton jus de chaussette. On fera ça à la maison. Deal ?

   — Deal.

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