18. Elle comprenait Chris, à présent (1/1)

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[Aujourd'hui, texte en un seul bloc pour ne pas casser la dynamique et lien pour l'ambiance musicale décalé plus bas dans le texte pour coller au timing :) ]

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18. Elle comprenait Chris, à présent

   Thaïs comprenait, maintenant. Le retard des lundis matins : parce que Sourou devait traverser Paris afin d’emmener la gamine chez une assistante maternelle qui refusait de l’accueillir plus tôt, le contrat ne le prévoyant pas ; les changements d’humeur : au gré des messages annonçant de nouveaux frais alors qu’il galérait déjà pour joindre les deux bouts ; le matelas posé au sol : parce que la petite venait souvent le rejoindre la nuit mais craignait de monter l’échelle ; les retours de week-end euphoriques : lorsqu’il avait pu profiter d’elle sans recevoir de mauvaise nouvelle. Maintenant qu’il s’ouvrait, tout devenait limpide : derrière le danseur de claquettes se cachait un mec à la dérive qui cherchait désespérément un point d’ancrage dans sa vie partie en vrille.

   Longtemps, elle l’écouta. Les heures défilèrent si discrètement que l’étudiante fut effarée d’en constater le nombre quand elle s’inquiéta du passage du dernier métro. Parti depuis belle lurette.

   — Tu peux rester dormir ici, suggéra Sourou sans assurance aucune. La… Hum… La chambre d’Ellie est libre.

   — D’accord. Merci.

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   La prévenance de sa proposition lui plut. Sa timidité, aussi. Qu’il ne prenne pas les choses en main comme s’il avait joué la scène des centaines de fois déjà, avec d’autres, avait quelque chose de sécurisant. De touchant. Thaïs n’acceptait pas de passer la nuit chez lui pour faire chambre à part, cependant.

   Sourou sourit timidement. Le regard en fuite, il dansa d’un pied sur l’autre, se pencha pour sortir une cigarette de son paquet, le reposa, recula, avança.

   — Je dois prendre une douche, annonça-t-il comme à court d’idées. Fais comme chez toi en attendant. Ouvre les placards, allume la télé… Comme chez toi, quoi.

   Après un raclement de gorge et plusieurs passages mécaniques de sa main sur sa nuque, le jeune homme se retira. Sa nervosité emplissait tant l’espace que Thaïs fut soulagée de le voir partir. Elle-même resta debout un instant. Puis s’assit. S’empara d’une cigarette qu’elle reposa aussitôt, joignit les mains sur ses genoux qui tressautaient : ce qui allait se passer… Eh bien, oui, ça allait certainement arriver. Ils allaient se toucher. Se déshabiller, s’embrasser. Faire l’amour… Ou pas. Après tout, ils n’y étaient pas obligés. Mais si. Le désir était présent, elle l’avait bien senti. Ils le voulaient tous les deux, pourtant l’évidence… Oui voilà, l’évidence était trop forte, elle sapait leur spontanéité. Sourou prendrait sa douche, et reviendrait, et ensuite il y aurait encore ce flottement bizarre en attendant de voir si Thaïs aussi irait se laver ou s’ils passeraient tout de suite la vitesse supérieure, ou trouveraient un autre subterfuge pour retarder la mise à feu. L’étudiante avait le sentiment de suivre un script établi à quelques minutes de différé seulement ; un scénario qui la bloquait d’avance.

   Sur un coup de tête, elle se remit debout, fila droit vers la salle de bain, ouvrit la porte et pénétra dans un nuage de vapeur dense, tout juste éclairci le temps de refermer derrière elle. Sans attendre, la jeune femme ôta ses chaussures et s’avança. Un… deux… trois… quatre pas jusqu’au rideau couleur cactus. Main tendue, elle se figea dans la lumière orangée, les poumons oppressés par la moiteur suffocante. Son bras retomba mollement contre son flanc. Et maintenant ? Elle se montrait peut-être envahissante – intrusive, même. Tout s’était enchaîné si vite depuis la sortie de la fac, peut-être que Sourou avait besoin de ce moment seul avec lui-même, peut-être…

   Se sentant sans doute épié, le jeune homme écarta le rideau et passa la tête au-dehors. Son regard se posa sur Thaïs qui se tenait là, immobile. La surprise de l’un jaugea l’hésitation de l’autre, pendant quelques secondes d’une neutralité parfaite, puis un sourire naquit au coin des lèvres de l’ancien camarade de promo. Celui-ci faufila une épaule hors du bac, un bras, une main qu’il glissa sur la taille de la jeune femme et, se voyant retourner son sourire, l’attira sous l’eau avec lui. La pluie déferla sur l’étudiante, ses gouttes chaudes emportant avec elles la pudeur et la retenue qui jusqu’ici l’encombraient. Sa place était là, songea-elle, au cœur de l’histoire qu’elle prenait le parti d’écrire.

   Sourou, à son tour, demeura immobile. Il contemplait les vêtements de la jeune femme ; l’œuvre de l’eau qui les plaquait contre son corps et le laissait transparaître par intermittence, entre un pli et l’autre. Il attendit que le T-shirt devînt translucide pour le lui ôter, et le fit lentement, en découvrant chaque centimètre de peau révélée comme un trésor longtemps convoité. Thaïs se sentit frissonner comme si la température avait chuté de plusieurs degrés. Elle regarda les doigts de Sourou survoler ses côtes d’ivoire, décrire un cercle autour de son nombril, descendre encore ; déboutonner son jean ; baisser la fermeture éclair. Elle contempla ses épaules et son dos, le roulis de la musculature sèche sous sa peau, à mesure que le jeune homme menait la désescalade du pantalon jusqu’à ses chevilles et accompagnait le mouvement des jambes que l’étudiante levait une à une pour achever de s’en libérer ; la droite en premier, la gauche ensuite. Il la touchait à peine. À la frustration de ce quasi-contact se mêlait la délectation ; une fébrilité latente et douce qui la caressait de l’intérieur et lui coupait le souffle.

   Sourou posa ses mains sur les mollets de Thaïs et suivit délicatement leurs contours en sinuant vers les genoux ; les cuisses ; jusqu’aux hanches. Le tracé ondulait. Jamais encore, la jeune femme n’avait eu conscience de posséder pareilles courbes ni même de pouvoir inspirer la volupté que Sourou transcrivait par le cheminement de ses doigts. À cet instant, le jeune homme leva les yeux vers elle et rencontra son regard fasciné. Il vit sa bouche entrouverte. Devina sa respiration heurtée. Il referma ses poings sur la dentelle noire du slip et entreprit de l’abaisser sans hâte, tandis que la jeune femme dégrafait le soutien-gorge assorti et le laissait pendre, ne le retenant que par une bretelle, près de la tête de son partenaire qui la fixait toujours. Les sous-vêtements échouèrent simultanément sur le bac de douche. Alors vint la rencontre des lèvres et de l’épiderme, le glissement léger de la bouche qui paisiblement remontait, remontait, remontait de l’intérieur de la cuisse au bassin, du nombril au sternum, de la clavicule à la gorge, déviant sciemment des points stratégiques, par trop évidents, pour venir au-devant de Thaïs et de sa langue. Les gémissements de l’étudiante se perdirent sous la pluie qui continuait de ruisseler. Ses jambes tremblaient. Trop chaud, elle avait trop chaud ; la tête lui tournait.

   Une lueur espiègle dans les yeux, Sourou s’écarta. Il s’empara d’un gel douche, versa une dose de savon au creux de sa paume et se frotta les mains sans quitter Thaïs du regard, avec une lenteur calculée, habillant les secondes de bulles multicolores, distillant une fragrance vanillée dans l’air. Ensuite seulement, quand il sentit la jeune femme sur le point de s’impatienter, il posa les doigts sur ses poignets et la caressa, la caressa vraiment, des avant-bras vers les épaules. Parvenu à la nuque, il redescendit du bout des doigts vers la poitrine et s’arrêta un court instant, à quelques millimètres de distance, comme pour guetter l’assentiment de l’étudiante. Celle-ci ferma les yeux au contact de ses paumes, la chair traversée d’un courant électrique. Sourou épousait le galbe de ses seins comme s’ils étaient taillés pour ses mains. Il répondait à leurs désirs muets aussi sûrement que s’ils avaient pu les lui susurrer à l’oreille, pressait leur pointe sans les accabler…

   La comparaison avec Chris s’imposa à la jeune femme malgré elle. Lui revenait en mémoire le doute qui avait subsisté tout au long de leur relation, chaque fois qu’il l’avait touchée sans l’émouvoir, et l’avait rongée de l’intérieur : le problème venait peut-être d’elle. De son incapacité à lâcher prise, de l’incessant flot de pensées qu’elle ne parvenait pas à maîtriser, de ses craintes, de son inexpérience, de sa constitution défectueuse, de… Mais non. L’un savait s’y prendre, et l’autre pas, c’était aussi simple que ça.

   Thaïs scella la découverte de son plaisir par un franc soupir d’extase. Elle enlaça Sourou, s’empara de sa bouche, déplaça ses mains sur son corps, ici, là ; elle les voulait partout. Une partie d’elle gravait cet instant merveilleux dans sa mémoire, ce fragment de temps multicolore au parfum des îles, quand l’autre s’en détournait pour revenir au présent, assemblage d’instantanés qui n’existaient déjà plus et qu’elle désirait vivre intensément, maintenant, ensuite, et ensuite encore. Tant de choses restaient à découvrir, à partager, à ressentir.

   Sourou s’écarta d’elle à nouveau, brusquement cette fois, et coupa l’eau. Ce détachement subit désarçonna Thaïs, qui l’espace d’un instant pensa avoir commis quelque erreur, mais aussitôt après, le jeune homme l’arracha au sol en la soulevant par la taille, cala ses mains sous ses fesses tandis qu’elle enroulait ses cuisses autour de ses hanches, et l’emporta hors de la douche, hors de la pièce, hors du couloir, jusqu’au matelas posé sur le parquet du salon. Peu importait qu’ils fussent trempés, que les draps dussent ensuite être changés ; tout importait peu. Tout, sauf eux.

   Dans un accès nouveau de confiance en elle, presque provocateur, Thaïs inversa les rôles. Elle qui s’était cantonnée à la fonction d’étoile que Chris lui avait toujours dévolue, refusa la passivité que Sourou ne semblait pourtant pas envisager pour elle. Ramenant les bras du jeune homme au-dessus de sa tête, l’étudiante s’assit sur son ventre et le contempla, le dominant de toute sa hauteur. Ses côtes saillaient sous la peau couleur café et creusaient un dénivelé sous le diaphragme. Subjuguée, la jeune femme s’attarda sur cette cavité, traversée en son centre par une ligne de toison clairsemée qui courait du bas-ventre et s’ouvrait en corolle à l’emplacement du cœur. Elle y déposa ses lèvres. Ses mains glissèrent sur le corps de Sourou, chassèrent les perles d’eau. Chacune de ses caresses appela un soupir, ses baisers un râle, une invitation à le faire encore et le dénivelé se creusait, la cage thoracique s’ouvrait, le ventre tendre se contractait. Thaïs s’émerveillait de ce pouvoir qu’elle exerçait. Pour la première fois, elle se sentait femme. Maîtresse de son corps et de ses actes, de ses sens, du plaisir à donner et recevoir. Elle ne se demandait plus ce qu’elle devait faire ni comment s’y prendre, ne réfléchissait plus, ne s’inquiétait plus ; elle savait. Parce qu’il ne la guidait pas, ne demandait rien d’autre qu’elle et accueillait chacune de ses initiatives avec une délectation égale, Sourou éveillait son instinct et lui donnait le sentiment d’être toute-puissante, irrésistible, parfaite. Cette sensation l’exaltait, la transcendait même et les caresses de son partenaire comblaient son désir tout en le ranimant sans cesse, elle n’avait jamais rien connu de pareil.

   Le jeune homme serra contre lui sa partenaire. Il plongea les mains dans ses boucles, s’y accrocha en soupirant.

   — Viens, souffla-t-il.

   Alors Thaïs revint à sa position initiale et accueillit le sexe du jeune homme entre ses cuisses. Un subtil mélange d’effervescence et de délassement la pénétra avec lui. Le couple se raidit et exhala de concert, leurs corps se pressant l’un contre l’autre, tenant la note une seconde, peut-être deux. Les yeux clos, l’étudiante laissa les sensations l’investir, apprécia les secousses de son cœur dans sa poitrine, écouta la respiration heurtée de son partenaire et, fin prête, se cambra. Ondula.

   Un bien-être absolu la gagna. Elle irradiait une chaleur intense, si forte que l’air ambiant lui parut devenir brume. Elle n’eut même pas conscience d’accélérer la cadence.

   Sourou se redressa pour la serrer dans ses bras, emplir sa bouche de ses seins, replonger ses mains dans ses boucles, respirer son odeur, parsemer son cou de baiser ardents. Il soupira. Râla d’une voix rauque. Et pour finir, l’appela. Thaïs. Thaïs, Thaïs… Thaïs ! Thaïs aima entendre dans son prénom l’expression de sa jouissance et sa respiration s’emballa. Bientôt, sa vue se brouilla, son bassin se déchaîna, sa voix se brisa, se répandit dans la pièce, traversa les murs, emprisonna les gémissements de Sourou dans un millier de bulles qui éclatèrent en des millions d’étoiles autour de leurs corps accolés, brûlants, luisants d’eau et de sueur et parcourus de spasmes.


   Longtemps après les derniers soubresauts, ils demeurèrent blottis l’un contre l’autre. Attendant que leurs chairs s’apaisent. Que leurs respirations redeviennent régulières. Ils avaient chaud, ils avaient froid. Ils ne savaient plus.

   Thaïs avait joui, elle ne pensait à rien d’autre. Elle avait joui de la vision de Sourou qui jouissait grâce à elle et du plaisir même que cela lui avait insufflé au creux du ventre, entre les cuisses, jusqu’à la pointe des seins, au bout des doigts, dans la tête, sur la langue, au creux des reins. Ç’avait été magique. Magique et fou, si puissant que vers la fin, elle avait senti des pleurs lui serrer la gorge, car c’était trop, trop pour elle et pour son corps, trop grand, trop violent.

   Trop…

   La tête enfouie dans le cou de son amant, l’étudiante s’autorisa un sourire : elle comprenait Chris, à présent.

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