Chapitre 11

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Au petit matin, Asher n'avait pas traîné avant de partir pour la crèche, en passant au préalable par son appartement. Une pluie de questions s'abattit sur lui dès qu'il passa le seuil de la porte. Ses parents voulaient tout savoir, mais leur fils se contenta de leur assurer qu'il raconterait le soir-même, espérant qu'ils oublient au cours de la journée. Tout beau, tout propre, l’éducateur se rendit à son lieu de travail avec son bol de céréales dans une main et une cuillère dans l'autre. Il était tout content et avait l’impression de flotter. Ainsi, il pénétra dans le bâtiment le sourire aux lèvres. Seulement, il le perdit en voyant Flavie donner le biberon à Keaton.

Son visage était rougi, tout comme ses yeux. Elle lâchait quelques sanglots tandis que le bébé repoussait sa boisson loin de lui. La cuillère d'Asher tinta en contact avec le sol et le bol se fracassa. L'éducateur rejoignit la jeune mère, tout en prenant garde à ne pas marcher sur les éclats de verre.

— Flavie ! Que t'arrive-t-il ? s'exclama-t-il, terriblement inquiet.

— C'est... C'est... C'est...

Elle n'arrivait pas à en dire plus. Il lui demanda alors d'essayer de prendre de grandes inspirations. Pendant ce temps, il s'équipa d'un balai et ramassa ce qu'il restait du bol et des céréales. Il prit aussi le petit Keaton dans ses bras. Puis, son amie tenta de nouveau d'expliquer la situation.

— C'est... Neidhart... On... Nous nous sommes séparés...

La nouvelle eut l'effet d'un coup de massue, si bien que le bébé faillit connaître le même sort que le bol plus tôt.

— PARDON ?

Asher se retrouva à son tour sans pouvoir dire le moindre mot. Flavie et Neidhart se connaissait depuis très longtemps. Durant leurs études, elle se confiait régulièrement à son binôme. Elle le disait sympathique, bienveillant, attentionné et généreux. Après leur nombreux rendez-vous galants, les adjectifs romantique et passionné complétèrent la liste. Bien qu'il ne dévoilait pas toutes ces qualités à Asher, ce dernier se doutait, et surtout espérait, qu'il se montrait tel qu'elle le décrivait en son absence. Le simple fait d'imaginer leur rupture était absurde.

— Que... Comment... Argh ! Si je le croise, je... Argh ! J'aimerais dire que je le cognerais, mais je sais pertinemment qu'il me mettrait au tapis en trois secondes.

Asher accompagna ses propos d'un sourire pour dire que ce n'était qu'à but humoristique. Flavie l'imita, mais le sien était réellement triste.

— C'est moi qui l'ai quitté...

Deuxième coup de massue.

— Mais ! Tu me dis sans cesse qu'il est l'homme de ta vie !

— Il l'est. Il l'est...

— Eh bien pourquoi alors ?

— Personne n'est parfait. J'aurais préféré que son unique défaut soit... Je ne sais pas ! Faire toujours cramer le gâteau dans le four ou laisser traîner ses caleçons. Non, il a fallu que ce soit la jalousie.

— Flavie, ne me dit pas que tu l'as quitté pour moi ?

Elle le regarda avec un air ahuri.

— Par « pour moi », je voulais dire parce qu'il ne m'apprécie pas, non parce que je veux sortir avec toi.

Il agita ses mains pour accompagner ses propos.

— Ah, oui. C'est plus logique comme ça. Tu sais, il avait une réelle obsession sur notre amitié. Il m'était impossible de lui faire comprendre que je ne ressentais rien de plus.

— Flavie ? Pourquoi parles-tu au passé ?

Cette question sembla intriguer sa destinataire.

— Tout simplement parce que c'est fini entre lui et moi..., expliqua-t-elle tandis qu'elle baissa le regard.

— OH QUE NON !

Elle sursauta.

— Oh que non ! C'est loin d'être terminé, ma cocotte ! Hmm ! Hmm ! Je me suis déjà imaginé être ton témoin de mariage, ma tenue est déjà prête, tout comme la liste de propositions de prénoms si vous faites un deuxième enfant ! Impossible ! Je me suis bien trop projeté pour que vous brisiez mes plans !

— Mais, Asher... Tu ne comprends pas... On ne peut pas poursuivre notre relation avec ça. Je l'aime ! À la folie ! Cependant, je ne peux pas cautionner ça. Je ne peux plus. Il doit changer de comportement vis-à-vis de toi. On en avait encore discuté à la ferme et après la sortie, ça a un peu dégénéré.

Asher pivota en direction de la porte.

— Tu diras aux autres que je suis cloué au lit.

— Tu t'en vas ?

— Oui. Voir Neidhart.

— Non...

— Si ! Une discussion entre lui et moi est plus que nécessaire.

Il sortit sans dire un mot de plus. Une minute plus tard, il revint.

— Juste une chose, dans quelle salle de musculation travaille-t-il ?

***

Asher se dirigeait donc vers le dragon violet, le quartier des loisirs. À chacun de ses pas, il se demandait tout de même s'il s'agissait d'une bonne idée. Il appréhendait l'idée d'être face à face à Neidhart, sans Flavie pour le protéger. Devant le bâtiment en question, il dut se faire violence pour tirer la porte. Le fait de l’ouvrir était déjà une épreuve en soi tellement elle était lourde.

Dès qu'il entra, il comprit à quoi il devait s'attendre. Des affiches d'hommes et de femmes plus musclés les uns que les autres étaient placardées au mur. Ils étaient accompagnés de slogans pour stimuler la motivation du client, comme « ON N'A RIEN SANS RIEN !! » ou « C'EST UN MAL POUR UN BIEN !! » Les lettres majuscules et les points d'exclamation donnaient l'impression à Asher qu'on lui hurlait dessus. Peut-être était-ce l'effet souhaité. Après avoir observé rapidement cette décoration particulière, une réceptionniste l'aborda. Asher se rapprocha d'elle.

— Bienvenue monsieur. Je ne crois pas vous avoir déjà vu. Serait-ce pour un cours d'essai ?

— Tout à fait.

— Ce serait pour quand ?

— Maintenant, si possible. Et avec Neidhart s'il vous plaît. J'ai eu de bons échos de lui.

Les vrais, ils provenaient de Flavie, source grandement influencée, ils ne concernaient pas ce sujet et Asher n'en avait jamais eu la confirmation par une autre personne. Évidemment, il n'allait pas détailler tout cela.

— Ah. Je suis sincèrement désolée, monsieur, mais les répartitions des coachs sont aléatoires. C'est une question d'équilibre entre les coachs. Les seuls changements acceptés sont s'il y a un problème entre le professionnel et le client. Et encore, ce dernier ne peut toujours pas choisir. Dans l'immédiat, j'ai un créneau avec Éric.

— Je comprends parfaitement, commença Asher, mais, voyez-vous, je suis venu spécialement pour Neidhart.

La réceptionniste fut surprise d'entendre cela.

— Êtes-vous proches, tous les deux ? demanda Asher sur le ton de la confidence.

— Eh bien, oui, nous sommes amis.

— N'avez-vous pas trouvé qu'il était étrange ce matin ?

— Je ne sais pas comment vous le savez, cependant, oui, c'est le cas.

— En fait, il a rompu avec sa copine...

Asher lui raconta la situation de manière concise et elle se montra de suite très compréhensive.

— Je ne peux qu'accepter, conclut-elle. Il finit une séance avec un client dans une dizaine de minutes. Je vous laisse patienter sur un des fauteuils en attendant ?

— Il n'y a pas de souci. Merci infiniment.

— Merci à vous pour votre initiative. Ils forment un si beau couple.

Asher se posa donc sur l'une des assises. Au bout d'un quart d'heure, la porte automatique qui menait aux machines s'ouvrit. Un homme obèse, en sueur et qui tenait à peine sur ses jambes traversa la pièce. Neidhart le suivait.

— Bon boulot, Patrick ! Allez, on se dit à demain ! Courage ! Ça fait partie de ta remise en force !

— Je ne sais pas si je serai apte. Tu m'as complètement détruit.

Tandis que ce dernier quittait le bâtiment avec difficulté, la réceptionniste interpella l'entraîneur.

— Tu as un client de dernière minute, lui expliqua-t-elle. Ça ne te dérange pas ?

— Pas du tout. Où est-il ? Déjà aux machines ?

— Il est juste là.

Elle le présenta d'un geste de la main. Le coach, qui n'avait pas fait attention à Asher jusque là, se crispa en le voyant. Il mit un petit moment avant de parler.

— Enchanté, je suis Neidhart, lança-t-il d'un air plus ou moins naturel. Et vous ?

Asher fronça d'abord les sourcils, puis se présenta tout de même. On le guida ensuite dans la deuxième partie de la salle, celle qui contenait les machines. Il y en avait de toutes sortes, la plupart occupée par des montagnes de muscles. On y trouvait les mêmes affiches qu'à l'entrée. Les deux hommes s'arrêtèrent à côté d'un banc.

— Tout d'abord, il va falloir se changer. On ne va pas à la salle en pantalon et avec des chaussures inadaptées.

— Ah, oui. Il est vrai que je suis venu... sur un coup de tête, si on peut dire ça.

— Pas de souci. Je vais voir dans le local si l'on a ce qu'il faut.

Neidhart s'en alla en petites foulées et revint rapidement, une tenue complète jaune et vert fluo.

— J'avais bien du noir, mais je pense avoir deviné que vous êtes particulièrement adepte des couleurs.

— Tu as visé juste, répondit Asher qui se frottait les yeux, ébloui par les vêtements qu'on lui présentait.

— Tss ! Avec moi, le tutoiement est réservé aux personnes autorisées. Vous ai-je dit que vous aviez la permission ?

— Euh, non.

— Dans ce cas, ne le faites pas.

— Ah, pardon. Et merci pour cette magnifique tenue. Où sont les vestiaires ?

— Pourquoi faire ?

— Eh bien...

— Pfff ! coupa l'entraîneur. Tu as plein d'hommes et de femmes en sueur et peu vêtus autour de toi. Ce n'est pas la vue d'un caleçon qui va créer le scandale.

— Tout dépend de ce qu’il y a en dessous…

Asher déboucla timidement sa ceinture. Une fois cela fait, il commença à baisser lentement son bas.

— Roooh ! Allez, enlevez-moi ça !

Sans prévenir, Neidhart fit descendre le vêtement jusqu'aux pieds. Le jeune homme ne put s'empêcher de lâcher un petit cri de surprise. Il s'apprêtait à enfiler le short quand son entraîneur lui demanda de rester ainsi. Il ne discuta pas et enleva enfin son pull et son T-shirt. Neidhart se mit ensuite à l'observer, non sans embarrasser Asher. Et le caleçon à motifs groin n’aidait pas.

— Globalement, ça va. Corps plutôt plat. Je vois aussi qu'il y a un petit ventre et que des petites poignées d'amour sont en train de se former. Ne vous en faites pas, nous allons nous en débarrasser ensemble. Vous pouvez vous rhabiller.

Asher ne se fit pas prier pour s'exécuter. Neidhart prit ensuite un ton plus militaire et débita un discours qu'il devait sûrement répéter à chaque petit nouveau.

— Ici, ce que je veux voir, c'est de la rigueur, de la motivation et du dépassement de soi ! Pour ce premier cours, nous allons faire des exercices qui vont vous faire travailler les pectoraux, le dos et les abdominaux ! Mais avant tout ça, vous allez vous échauffer ! Attention, l'échauffement de début de séance n'est pas pour vous épuiser dès le départ et finalement devenir une excuse pour s'arrêter ! Ah ça non ! Ça sert à préparer vos muscles, tendons et articulations à une pratique sportive ! Un échauffement négligé équivaut à une forte probabilité de blessures et une baisse des performances ! Entre autres. Celui que je vais vous proposer, et par conséquent vous imposer, dure environ dix minutes ! En route, mauvaise troupe !

Sous les directives de son coach, Asher dut faire des cercles avec son cou, ses épaules, ses poignets et son bassin. Puis ce fut burpees, squats, jumping jacks, levés de genoux et fentes. Après cela, il passa au plat de résistance. Il enchaîna développés couchés sans et avec haltères, tractions, dips et crunchs et pompes et leurs variantes pendant une petite heure. Il effectuait les différents exercices sans rechigner, mais avec le temps, la fatigue se faisait grandement sentir, si bien qu'il poussa un « HOURRA ! » quand Neidhart lui déclara que la séance était terminée. Asher la conclut par des étirements.

— Bon boulot ! Et dire que je n'ai pas été tendre avec vous.

— Pardon ?

— Bah oui. Pour un premier cours, en général, ce n'est jamais aussi long et difficile. Je me suis permis de vous faire faire des variantes très exigeantes. Je savais que vous en étiez capable. La preuve ! Vous avez tenu bon !

Asher dégoulinait, avait les jambes qui tremblaient et un œil qui ne s'ouvrait qu'à moitié.

— Vous méritez une bonne douche en rentrant.

À ses mots, l'éducateur retourna à la réalité. Il se rappela qu'il faisait la crèche buissonnière et que ses parents se poseraient des questions en le voyant rentrer si tôt dans cet état.

— Est-ce qu'il y a des douches, ici ? demanda-t-il.

— Oui.

— Je peux les utiliser ?

— Oui. Elles sont faites pour. Vous avez besoin de savon ? Je peux vous en prêter.

— Ce serait génial.

— Par contre, mon gel douche est dans mon casier, dans les vestiaires. Voilà la clé. Casier 92. Prenez le flacon et vous me la ramenez, d'accord ? Je vous attends là.

— Merci beaucoup.

Asher tenta de s'en aller en trottinant, mais ses jambes lui firent comprendre que c'était impossible pour le moment. Finalement, il se déplaça en traînant la patte.

Contrairement à la pièce principale, le silence régnait dans les vestiaires. À l'aide des numéros inscrits sur les casiers, Asher retrouva assez vite celui de Neidhart. Il inséra la clé dans la serrure, la tourna et fut immédiatement surpris par ce qu'il voyait. À l'arrière de la porte et sur les parois étaient collés des photos du sportif et Flavie et parfois avec Keaton. Les membres de la petite famille affichaient tous un large sourire. C'est alors qu'Asher remarqua quelque chose. 92. Ce nombre faisait référence à la date du premier rendez-vous galant du couple : le 9 du mois de Cyril, le deuxième mois de l'année. Il ne put s'empêcher de sourire. Puis, il saisit le gel douche, referma le casier et rejoignit le propriétaire de celui-ci qui discutait avec la réceptionniste.

Enfin, il se dirigea vers les douches. Alors qu'il espérait trouver quelque chose qui favoriserait l'intimité, il ne fut finalement pas étonné de voir des douches communes. Heureusement, il n'y avait personne. De plus, elles paraissent être régulièrement entretenues. Asher se débarrassa avec plaisir de son accoutrement d'oiseau tropical et se plaça sous un pommeau de douche.

— C'était vraiment étrange quand même, se dit-il à voix haute pendant qu'il se savonnait. Je ne sais pas quoi penser de Neidhart. D'un côté, il fait comme si on ne se connaissait pas et est très cordial. C'est une première. D'un autre côté, il me donne volontairement cette tenue bien voyante et m'impose des exercices qui sont synonymes de torture. Alors oui, pour obtenir des résultats, il faut repousser ses limites, mais pas celles de la mort. Il essaye de se rattraper ou plutôt de se moquer de moi ? Ou les deux ? Et ce gel douche n'a même pas d'odeur. Il perd tout son intérêt s'il ne sent rien.

Tandis qu'il passait aux cheveux, Asher s'amusa à frotter encore et encore afin qu'il y ait plein de mousse. Par habitude, il se mit à chantonner et se trémousser. Il prit ensuite plaisir à danser et chanter comme s’il était chez lui. Sa performance dura quelques minutes. Sa voix s'élevait au fur et à mesure. Puis une autre fit de même.

— Asher ? lança Neidhart.

Ce dernier, qui secouait ses fesses, dos à son entraîneur, se retourna petit à petit, ses mains devant son entrejambe.

— Euh... Il y a une bonne acoustique ici...

Il ne rebondit pas là-dessus et passa à autre chose.

— J'allais vous demander ça à l'accueil, mais ici fera parfaitement l'affaire. Alors ? Ça vous intéresserait de vous inscrire ? Évidemment, je serai votre coach.

— Bah... Eh bien..., balbutia Asher, plus occupé par sa situation au moment présent que par la question qu'on lui posait. Oui. Oui, c'est bon pour moi.

— Je suis ravi de l'entendre ! Le paiement s'effectuera avec ma collègue.

Neidhart était sur le point de partir quand il s'arrêta subitement et ouvrit la bouche avant de se raviser. Puis, il dit finalement quelque chose.

— Allez, habillez-vous, j’en ai déjà vu assez.

— O-oui.

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